autobiographies #14 | fragments-images

en bordure de la ville, gros points d’interrogation peints en rouge sur bouts de murs blancs

un hippopotame regarde les visiteurs de la ménagerie du cirque qui l’emploie depuis l’eau douteuse de la cage où il croupit

dans le métro une jeune en survêtement pastel aborde les passagers, son regard vide

dans la chambre du service psy une balafre sur la tapisserie orangée à environ trois mètres du sol

au comptoir de la médiathèque un homme âgé dont les vêtements et la crasse lui font comme une carapace rend deux livres très détériorés, le visage de l’employée

Agnès Varda devant le tableau « Sono stata io*. Diario 1900-1999 » de Daniela Comani au MAMBO

l’ombre maudite et défendue du vieux noyer

longtemps, Ray Bradburry enfant regarde les couvertures derrière la vitrine du libraire

un petit homme court pour rattraper un tramway jaune dans une rue en pente de Lisbonne

une femme au regard fixe remonte une rue en forte pente et traîne derrière elle deux grands sacs plein de provisions

dans sa chambre d’hôpital un homme mange une tranche de jambon blanc en regardant un concours culinaire à la télé

un jeune policier municipal éloigne les curieux qui s’approchent du cachalot en décomposition sur la plage

le visage ensanglanté d’une femme rousse à lunettes sortant d’un fossé en bordure de la lande du Dartmoor

dans un village en ruine des Balkans une vieille femme chasse à coups de pierres un enfant effrayé tout juste sorti de la forêt

le regard de la serveuse aux yeux sombres dans le bar de Valparaiso

dans la lumière du matin, entre les deux paliers, un pendu avec une valise à ses pieds

à Berlin, au musée d’histoire de l’Allemagne, un homme barbu d’une cinquantaine d’années devant la maquette reconstituant une des chambres à gaz de Birkenau, il pleure

une fille de dos, cheveux longs sombres, parka vert armée, Doc Martens noires, devant les bacs du rayon rock indé à la Fnac

Mark Baumer marche au bord de la nuit

la seule fenêtre encore éclairée parmi toutes les barres d’immeubles

draps rouges froissés sur lit devant fenêtre ouverte sur le matin des grands bois

des mots noirs contre elle dégoulinent sur les murs de la cité

une femme hurlante au milieu de la foule

tôt le matin sur la plage un retraité fait des assouplissements avec, à cinq mètres de lui, un jeune allongé en plein soleil, inanimé et visage tuméfié

la carcasse rouillée d’un vieux Tube Citroën à l’orée des grands bois

un vieux buffet marron avec son alignement de bocaux de haricots verts

un cadavre d’enfant calciné devant l’église en ruine d’Oradour-sur-Glane

une adolescente achète chez un brocanteur un lot d’enfants sépia

un vieil homme voûté promène au bout d’une longue chaîne un vieux bâtard pelé

un malade, à la même heure, chaque jour, le même parcours dans l’hôpital

dans le Montana, deux petites silhouettes dans le crépuscule, une femme et un gosse main dans la main

à New-York, un homme avec un tout petit sac de voyage monte à bord d’un Greyhound à destination de Seattle

un amas de nuages très noirs au-dessus des grands bois, sur le volcan

une prairie ondulant sous la bise, taches jaunes, violettes, vert foncé et puis un grand bois de sapins sombres

avant l’aube, un homme sur le seuil du vieux refuge face au glacier

depuis une rame de métro, les briques rouges de l’institut médico-légal quai de la Rapée

dans un caniveau un petit personnage en plastique, ses cheveux ratatinés par la chaleur qui les as consumés

une caravane abandonnée et ouverte à tous les vents au milieu d’un grand pré

un ours en peluche pend au bout d’une corde

crapauds écrasés sur la route du printemps

au portemanteau, son chapeau prend lentement poussière

une statuette au marché aux puces

une BMW éventrée par les balles

dans un musée un sac de couchage, c’est un bronze

trois gros galets dans une vieille valise

une sorcière qui s’est scratchée avec son balai

un enfant chasse un moineau pour un grain de riz boueux

enfant tête pastèque devant le VAB

grosse mouche velue autour de l’ampoule en hiver

dans le soir, les chauves-souris remplacent les oiseaux

un petit chat claudique vers les poubelles du centre de rééducation

un adolescent s’attable au Cabaret Vert

des enfants Roms tournent autour du manège

un obèse et son fils achètent des nems surgelés et des bières chinoises

trois gosses, visages marqués, inquiets, habits du dimanche, sabots, bouts de foulards en grosse laine pour elles, chapeau de paille pour lui avec, derrière eux, leur troupeau et comme une tortue qui passe, un petit volcan

un petit homme émerge du brouillard

des bouteilles de bourbon vides sur la tombe de William Faulkner

dans la clairière au bout du chemin, une boîte de Xanax, des préservatifs usagés

un enfant dispose des animaux en plastiques en cercle parfait autour d’une mare de lune

Denis Roche photographie l’ombre d’une langouste

un harfang éventre et dévore un engoulevent

Nick Cave descend en boucle Jubilee Street

Alep, lumière pâle de la tempête de sable qui arrive au fond de la rue, deux petits gosses près de la carcasse rouillée, explosée d’un bus

un petit carnet noir corné, l’écriture illisible au crayon gris

une fissure dans le manteau en marbre de la vieille cheminée parfaitement comblée par un mastic crème, doux, mat et lisse

entre la gare des bus et celle des trains un homme, assez maigre, pieds nus, brun à moustache, souriant, ramasse un mégot

des lèvres barbouillées de cerise

la nuit derrière la fenêtre, le bouclier d’Orion

Codicille : écrire au présent ces instants qu’on aurait voulu photographier ou ceux dont on a perdu la photo. Elles accompagnent ces images. Certaines en noir et blanc, d’autres en couleurs. Embrayages à fictions ? Photographier sans appareil, plus discret avec les mots. Les articles indéfinis pour moins de rupture que les démonstratifs.
* Désolé pour ce « je »

A propos de Jérôme Cé

Surtout lecteur. Cherche sa voix en écriture avec les cycles du Tiers-Livre depuis pas mal de temps. Un peu trop peut-être. (ancien wordpress et premières participations aux ATL) https://boutstierslivre.wordpress.com/

Un commentaire à propos de “autobiographies #14 | fragments-images”

  1. Merci pour ce texte qui embarque, sans protocole défini de construction des phrases, voyage en image universelles ou tellement particulières,à la lecture m’a rappelé l’Aleph de Borges.