#photofictions #09 | boulevard des Amériques

Source : Atlas des Régions Naturelles – https://www.archive-arn.fr

un oursin géant posé sur l’herbe — depuis le drame de Juigné-sur-Loire tous les enfants devaient apprendre à nager. dans la cabine exiguë elle doute, ses orteils se rétractent sur les mosaïques blanches. le parfum de chlore ne la dérange pas, elle a même une certaine attirance pour cette odeur, sa mère utilise souvent de la javel à la maison, c’est presque réconfortant — mais le polyamide brillant du maillot qu’elle enfile pour la première fois l’oppresse, comme les sous-pulls qu’on s’entête à lui faire porter, toujours l’impression que le vêtement étriqué va lui arracher les oreilles quand elle l’enfile, que le corps ne peut pas respirer en dessous. et le rouge vermillon d’où s’échappent ses jambes trop maigres est beaucoup trop voyant qui fait ressortir les marbrures de sa peau. les cheveux même coupés courts sont tiraillés par le latex du bonnet trop serré. les voix des camarades montent en échos de cathédrale. elle entasse les vêtements dans le panier en plastique, les chaussures calées au fond, chaussettes en boules âcres dedans, la culotte elle la cache à l’intérieur d’une jambe du pantalon. novembre c’est pas un mois pour aller à la piscine. elle fait basculer le loquet qui ferme la porte de la cabine, ne s’attendait pas à sa chute brutale, sursaute. pousse la porte du bout des doigts, accroche le panier dans le vestiaire au milieu des autres. maintenant elle se dirige vers le bassin, ses pieds suivent une ligne de carreaux noirs. les épaules en dedans elle grelotte à sentir sous les pieds le sol froid et humide. le truc qui la rassure c’est que nager elle a appris durant l’été. il y a toujours son pied droit qui refuse de se mettre en dehors quand elle nage la brasse, les allers-retours à marcher façon Charlot le long du bassin du club Mickey n’y ont rien changé. mais elle sait nager. elle abandonne sa serviette fanée sur le banc carrelé, se glisse derrière ses camarades. elle approche du bassin, son pied droit se déforme sous l’effet d’une crampe. debout sur le plongeoir elle fixe la lumière qui filtre à travers les hublots du coquillage géant, se perd dans la vibration turquoise. Allez, le cri du maître nageur rompt sa rêverie, l’eau vient pincer les sinus, ce n’est pas désagréable

mots clés : 2018 - Printemps - Sport - 1946-1975 - Cercle Cotentin

A propos de Caroline Diaz

Née un 1er janvier à Alger, enfant voyageuse malgré moi. Formée à la couleur et au motif, plusieurs participations à la revue D’ici là. Je commence à écrire en 2018 en menant un travail à partir de photographies de mon père disparu, aujourd'hui c'est un livre, Comanche. https://lesheurescreuses.net/

22 commentaires à propos de “#photofictions #09 | boulevard des Amériques”

  1. Je garde les mêmes souvenirs sonores, olfactifs, colorés. On appelait ça la piscine tournesol. Joli réveil, tout en douceur. Merci.

  2. (L’odeur de la javel qui rassure : C’est bien vrai)(tiens il(?) Mets des majuscules quand il n’en faut pas – ça rattrape? :*)) premier jour de piscine le prof m’a indiqué que je ne savais pas nager (tellement pertinent : je n’ai pas non plus appris à marcher mais je nageait avant de marcher…) (magique cet oursin…) (merci)

  3. Tactile et olfactif, oui, aussi le même souvenir désagréable de maillot qui colle, de sinus pincés par le chlore (et au sortir, cheveux mouillés). Impression de malaise me concernant, en dépit des derniers mots. Sa méthode Coué ?

  4. Suis d’accord ! novembre, c’est pas un mois pour aller à la piscine ! j’en frissonne encore !

    • Une chance… pas vécue comme une chance à l’époque, celle ci va devenir un skatepark, ça te laisse une chance d’y entrer lors d’un prochain voyage en Cotentin ! Merci Xavier.

  5. Souvenirs que tu as l’art de convoquer et nous faire ressentir l’intérieur du coquillage comme si on collait l’oreille pour se rappeler du bruit de la mer
    Merci de cette petite madeleine à l’odeur de javel!

  6. le polyamide brillant du maillot, le latex du bonnet, le pied qui se dérobe sous le grand coquillage … toutes ces sensations javellisées ont gardé leurs couleurs intactes c’est beau

  7. Je sais que je ne devrais pas rire mais le doux calvaire de cette petite fille entre la cabine et le plongeoir me rappelle tant celui d’un garçon plus grand (peut-être) qu’il va me faire sourire toute la matinée. Merci.

  8. ah tes sensations piscine, la torture du maillot et du sous-pull, l’odeur de la javel, on y est sous cette étrange oursin, bravo!

  9. oui Catherine, ce qui m’avais cueillie d’abord en lisant sur les hures creuses (me tenais en retrait de ce blog par crainte d’être ensevelie sous mon retard 🙂
    mais avant d’arrêter pour ce soir me fallait le retrouver ce texte qui ‘a pas que le maillot et le sous-pull..
    tu sais nous faire entrer dans les souvenirs Caroline même si nous usurpons un peu de ta place