#L3 Dans quelle langue, la ville

Pa… šta dođavola ona radi ovde? Pa sad imamo turiste, hum? Ne trebaju nam turisti. I pada jebeni sneg, šta dođavola ona radi pod snegom, čeka glupo? Pa … to nije moj problem. Hajde, hajde. Nije moj problem, devojčice. Gde je moj čaj? Već je hladno … Moram da kupim novi čajnik. Mačka opet mijauče … Hajde… Dolazim, dolazim …

Je n’ai jamais vu autant de neige – je me souviens, quel âge j’avais, cinq, six ans peut-être, on avait fait un bonhomme de neige dans le square de l’immeuble, on lui avait mis une carotte pour le nez, et des branches pour les bras, c’était mon premier bonhomme de neige, il était tellement beau, mon frère m’avait dit viens on monte, on va le prendre en photo du balcon et quand on est allé sur le balcon, j’ai vu les grands du quartier, ils lui pissaient dessus et ils avaient cassé un de ses bras et ça les faisait rire et j’ai pleuré et mon frère m’a dit pleure pas, ça sert à rien mais j’ai vu que lui aussi il avait de la peine, on a pas pris la photo, et c’est encore un souvenir en moins. Elle est différente la neige ici, elle est épaisse, elle est vraiment blanche, c’est étrange parce qu’il ne fait pas si froid, pourtant pour neiger il faut qu’il fasse moins de zéro degré, elle fait quoi la femme sur le banc là-bas ? Elle me rappelle quelqu’un, c’est impossible je ne connais personne ici, qu’est-ce que je suis venue faire ici, est-ce que je peux fumer ? est-ce que les femmes peuvent fumer dans ce pays ? Elle est vieille, elle est toute seule sur son banc, ça ne doit pas être un endroit dangereux pour les femmes, j’ai envie de m’asseoir sur un banc, c’est ridicule je viens de passer deux jours assise, je ne sais pas quoi faire, c’est quoi cette affiche, on dirait un militaire, je ne comprends même pas leur alphabet, je ne sais pas pourquoi je suis venue ici, en vrai je crois que j’ai peur, je crois que je suis terrorisée, comme quand on a détruit mon bonhomme de neige, et cette femme arrête pas de me regarder, pourquoi il n’y a personne dans la rue, je croyais que c’était une capitale, je me suis peut-être trompée d’arrêt… Il y a une lumière qui bouge, quelqu’un me regarde derrière son rideau, j’ai l’impression que je dérange dans cette ville, que je dérange cette ville. Je ne peux pas faire demi-tour. De toute façon, il n’y a plus de train. Tant pis je fume. Je fume et je respire et je regarde la ville, il me veut quoi lui ? Je leur veux quoi, moi ?

No one is never coming on my fucking cab… I shouldn’t have gotten this job… And it’s always the same shit on the radio. People do not trust cabs here. They trust nothing, except for their shitty snow, to cover their shitty lies… Man, I love this song. I used to listen to this song back home… Sometimes I feel so countrysick… You ran errands from one war to another… You can say here it’s not my shit, man, kill each other if you want, but I won’t be kill and I won’t kill, it’s not my shit your crosses and holy books… but man, can you make a life when it’s not your shit ? What to die for, then ? I’m a ghost on this land. Shitty white land. I am white as this snow, as a ghost. I am melting. No one sees me. Except that fucking military guy on that wall, telling me go, go fight for your believes. The city was here before, before crusades and other shits, and bombs, and nuclear, and fascism, fight for it and I’m like hey man I wish but I have no believe ! You don’t get it ? I am just a coward. I am just a coward who do not own any city and I just love that song on the radio and wish someone got into my fucking cab, so I can put the motor on and have some heat and some fucking money and maybe, yeah maybe some talk. That girl there, smoking one, she looks like a fucking tourists. Fuck it all, now there is tourists here, hum ? I guess I am not the most desperate anymore in this city… 

Больше нет никого, кто выходит с этой станции … Снег может все покрыть. Снег и огонь. Я чувствую, что умираю. Прошлой ночью мне приснился сон. Я видел, как падаю с лестницы здесь, на этой станции, с пластиковыми пакетами, полными дерьма на руках … И просто умираю здесь, когда меня некому держать. Некому пройти мимо, чтобы вспомнить обо мне. Посмотри на эту странную девушку … Она не отсюда. Если я дышу на нее, она будет дышать на меня, когда я отключусь?

Coquilles. Froid. Où, les autres? Mur. Plumes lourdes.

A propos de Lyd

Slavophile, psychologue, journaliste. Métisse. Des cafés de toutes les manières. J'aime aussi lire dans des langues que je ne parle pas. La poésie la nuit, la littérature au café, les nouvelles dans le train.

5 commentaires à propos de “#L3 Dans quelle langue, la ville”

  1. Quatre personnages quatre langues différentes le dispositif sert complètement le propos. Le lecteur se retrouve un peu exclu, la plupart d’entre nous ne parle malheureusement pas autant de langues et pas forcément celles ci, soit il doit accepter d’abandonner, soit passer par de la traduction électronique. Cela donne au lecteur une activité, une participation, en même temps que cela le met un peu à distance.
    J’aime beaucoup le bonhomme de neige qui se retrouve saccagé, une petite scène rapide qui dépeint d’un coup le rapport des deux personnages, leurs désirs et ce qu’ils affrontent (l’extérieur, les autres, la dureté du temps).
    J’aime beaucoup aussi la progression de l’envie de fumer, qui montre le temps intérieur.
    Merci pour ce texte

    • J’ai beaucoup hésité à proposer ce texte en quatre langues – et en plusieurs alphabets – mais cela m’est venu naturellement en faisant l’exercice. Je suis ravie que l’on puisse tenter de traduire ces langues et par là même découvrir tous ces alphabets autre et développer une certaine curiosité pour l’alter, tout comme je suis sereine que l’on puisse abandonner – ça laisse néanmoins une empreinte visuelle. Merci pour votre commentaire réfléchi, qui me touche beaucoup.

      • J’adore ce choix d’un texte en plusieurs langues, en plusieurs alphabets, cela nous transporte dans des univers inconnus, immédiatement, avec beaucoup d’audace!

  2. Lu en diagonale. Le simple plaisir du croisement des langues. Du russe. Et n’est-ce pas du tchèque ? De voir que malgré le temps, les mots reviennent et que je comprends un peu. Un plaisir très personnel, très intime donc venu d’un passé habité par l’Europe centrale et orientale dans sa langue et sa littérature : merci.

    • Du serbe 😉 Ravie de vous offrir ce plaisir intime qui est le mien également – ces langues qui nous ont habité à un moment.