dialogue#4 Pluie. Mai.

Oui, nous y sommes. Presque. Venez. Par ici. Oui. Toute cette pluie. Et l’herbe comme elle a poussé, deux semaines à peine et on ne sent plus le chemin. La brusquerie des roses, ce matin en ouvrant le volet. Vous verrez demain en vous levant ce que les fleurs font à la terre; cette folie. La leur. Sentez comme elles embaument. Et le parfum de la pluie. Ces roses qui n’en font qu’à leur tête, qui nous entêtent. Même la nuit. Même d’ici. Et la terre gorgée d’eau vous la sentez. Le vent, avec la nuit, il remonte. Tous les arômes du jardin il les emporte. Faites attention sur votre droite c’est de la boue, après c’est comme un marécage qui s’étend. Montez sur le remblai! Je vous passerai une paire de bottes tout à l’heure, il y en a plein la maison, une armée même, on trouvera bien votre pointure; du quarante trois je crois. Oui. C’est ça. La pluie, la boue on ne peut pas prévoir. Bientôt il y aura un banc où vous pourrez vous reposer et m’attendre. Le banc près de la balançoire. Nous y sommes presque. J’irai ouvrir, ce ne sera pas long et je vous allumerai le jardin. Vous êtes fatigué? Non? C’est un long voyage. Bien trop long. Cette lueur, cette ligne vous la voyez, juste devant entre les arbres,comme elle brille— Oui. C’est là que nous irons. Demain je vous conduirais. Je vous montrerai. Vous monterez derrière; devant il y a encore le siège de l’enfant. Et je vous conduirais. Vos chaussures il faudra les laisser sur le seuil avant d’entrer dans sa chambre.

/Oui, nous y sommes. Presque. Venez. Par ici. Oui. (plus près – vous ne voyez pas la main que je vous tends) Toute cette pluie. Et l’herbe comme elle a poussé, deux semaines à peine et on ne sent plus le chemin (peut-être que tu as peur). La brusquerie des roses ce matin en ouvrant le volet (ce n’est pas le mot, je crois, qu’il faudrait — cette brusquerie qu’elle avait elle aussi quelques fois— je n’ai pas d’autre mot) Ces roses vous verrez comme elles mangent la fenêtre (vous le sauriez, vous, le mot — tu préfères te taire — vos mots sont pour les livres n’est-ce pas – vos mots ), qui la mangent sans ménagement: la fenêtre. ( ne dites pas non ). Vous verrez demain en vous levant ce que les fleurs font à la terre; cette folie. La leur. Sentez comme elles embaument. Et le parfum de la pluie (sentez). Ces roses qui n’en font qu’à leur tête qui nous entêtent/. Même la nuit. Même d’ici. Et la terre gorgée d’eau ( sentez la) Le vent, avec la nuit, il remonte. Tous les arômes du jardin il les emporte. Faites attention sur votre droite c’est de la boue, après c’est comme un marécage qui s’étend. Montez sur le remblai! Je vous passerai une paire de bottes, il y en a plein la maison, une armée même, on trouvera bien votre pointure; du quarante trois je crois. Oui. C’est ça. (elle l’a dit, je ne sais plus à quel propos ni de qui elle parlait elle a dit : du quarante trois comme lui… – elle vous a attendu jusqu’au dernier moment – elle t’attendait – vous le saviez — n’est-ce pas—, et vous arrivez dans ce costume de ville avec ces chaussures cirées et vous marchez dans la boue — c’est un peu ridicule vous ne croyez-pas – vous êtes parti aussitôt que je vous ai prévenu – vous n’avez pas eu le temps de vous changer – vous n’avez pris que le strict nécessaire – tu ne pouvais pas savoir – aussi vite – tu ne pouvais… ) La pluie, la boue on ne peut pas prévoir. Bientôt il y aura un banc où vous pourrez vous reposer et m’attendre. Le banc près de la balançoire ( notre banc des russes elle disait – je crois que tu le sais – j’oublie que vous étiez là avant moi). Nous y sommes presque. (Avant. Oui avant tu étais là ). J’irai ouvrir, ce ne sera pas long et je vous allumerai le jardin ( dans ce jardin —combien de fois l’a-t-elle dit — « dans ce jardin je le vois » — combien de fois l’a-t-elle dit qu’elle vous voyait… vous étiez partout où tu n’étais pas revenu ). Vous êtes fatigué, non? C’est un long voyage. Bien trop long ( trop long – ceci explique cela – le temps qu’il faut pour venir jusqu’ici c’est la raison que vous donniez — je crois surtout que vous aviez peur— tu as toujours eu peur). Cette lueur, cette ligne vous la voyez? Comme elle brille. Oui. C’est là que nous irons. Demain je vous conduirais. Je vous montrerai. ( et tu repartiras avec un peu de terre collée à tes semelles — ce qu’elle a enduré y as-tu pensé même une seule fois— vous lui écriviez- qu’elle était entre de bonnes mains. Toutes ces lettres — pour vous ce n’est pas compliqué. Ces lettres – des mots glissés dans une enveloppe – les mots c’est votre affaire n’est-ce pas. Qu’ils puent ) Oui! Presque. Ici. Venez! L’herbe comme elle a poussé. La pluie et il n’y a plus de chemin. Asseyez vous un moment ( pourquoi es-tu venu) il faudra que vous m’attendiez ( après toutes ces années). Le banc. (Non rien n’a bougé). Regardez. Cette lueur. C’est là que nous irons. Vous monterez derrière. Devant il y a encore le siège. Et je vous conduirais. (tu as peur ) Vos chaussures il faudra les laisser sur le seuil avant d’entrer dans sa chambre. Les roses. Oui. leur parfum. Avec la pluie. Demain nous irons. Reposez-vous un moment sur le banc…/

Marcher dans la nuit avancer avec deux personnages. Le premier paragraphe est l'épure texte qui s'est écrit d'abord avec la voix intérieure de celle qui devance l'autre dans la nuit.(pensé à la place des confidentes chez Racine)




A propos de Nathalie Holt

Rêve de peinture. Quarante ans de scénographie plus loin, écrit pour lire et ne photographie pas que son lit.

6 commentaires à propos de “dialogue#4 Pluie. Mai.”

  1. C’est curieux, ça vient de tous les sens. De toutes les directions, mais de tous les sens aussi. En apesanteur. Beau moment.

  2. La présence, la promesse de « demain ». Et « Ces roses qui n’en font qu’à leur tête qui nous entêtent ». Merci Nathalie Holt, c’est beau, craintif, troublant, attentif. Une invite à marcher dans la nuit, à ne plus y être seul(e).