vers un écrire-film #07 | trois heures vingt-huit dans le petit salon, bulbe de sons

C’est le temps de la recherche, les yeux s’ouvrent dans le jet brusque d’une explosion de lumière, un film d’action réduit au silence, coule sans braire du téléviseur. Chaque nuit dédiée au souffle brusque des lumières, le salto des images pour y piéger les insomnies. Toujours vers les trois heures passées, trois heures vingt-huit à chaque réveil, l’horloge interne crispe le cœur, le battement décisif des paupières, c’est fait. Projection.  A plus de trois heures, la petite danse des mâchoires, malaise malaxé d’ombre, se réveille devant le poste allumé, le casque aux oreilles grésille dans le volume réduit à zéro, scaphandre de chaque nuit, pèse sur les cervicales quand le corps enroulé trop grand déborde des pieds du canapé. Sans teinte particulière, les derniers sons fuient depuis le lampadaire de la rue. Le craquement métallique des dents contre elles-mêmes, ce petit tour des mâchoires détestant mal le fil de fer – ou la viande dure – de l’angoisse mâchée par à-coups jusqu’au matin. Au matin, le bas du visage endolori. Le feuillage de la douleur bruit jusqu’aux oreilles, frotte l’enclume de la tête. Mais à trois heures, rien n’est encore décidé ce que qui s’imprimera dans le corps. Le petit poste déclame son jet de couleurs, percutant l’ombre du salon comme brume jaillissante immobile, ce qu’elle aurait pris par surprise en photo. Dans la poussière bleue, elle parvient à se lever, le corps empêtré d’un sommeil inégal fait le dos rond d’un chat, tend les bras dans le cuir d’un accoudoir, ne pourra tout d’elle relever, si piégé dans le fin fond du casque à grésilles. C’est de la poitrine que monte le suif de la soif, presque impérieux dans le bleu couché du téléviseur commun. Le robinet crée cette entropie délicieuse, cascade de souvenirs dans la nuit – la nuit cachette, irrésolue, qu’on parcourt à quatre mains, symphonie du nouveau monde, croissance à deux au fond du vide. A deux, les cordes se rallongent, peuplent progressivement la terre, ramifient les souvenirs. L’agitation de l’eau contre les doigts fait sourire, il pleut des joies communes sur la peau. Elle aimerait se tordre en tige épaisse et monter jusqu’au plafond, l’étirement croissant de la peau où plie, décuple la sève des synapses, ces doux raccords de nos cellules. Les mains dans la nuit, sentent passer la main de l’air froid, avancent dans l’épaisseur du vide, veulent s’enduire d’un baume sur les bras et le visage, faire glisser l’huile où plus aucune cellule ne sera disjointe. Glissement des trois heures vingt-huit dans le petit salon. Du fond de la ville, même à travers les vitres closes de l’appartement, on ressent les braises longuement préparées du périphérique. A moins que ce ne soit l’autoroute, qui se déplace autour de la ville comme une huile, penche et bifurque, se mêle à la bouillie des murs en pleine nuit. Les vibrations des trois tonnes cinq fomentent quelque chose qui se malaxe, une pâte préparée à l’avance, juste avant le levain du jour, l’odeur de sa levure, avant l’odeur du pain qui monte aux oreilles. Elle aurait un autre corps à border, tout serait différent, le pain des mains aurait cette chaleur substantielle, un ramassis de papiers qui ferait corps, gravats quelque part dans un angle – une chose qui se construit à plusieurs, fait toujours ce désordre bien plein – des pièces qui s’accordent au bon puzzle de bois mat, cette mémoire du corps. Mais tout est frêle et disloqué en territoire de solitude. Il faut s’asseoir bien droite dans la cuisine, ouvrir les bras, tendre le buste, entendre la canopée qui tangue à travers les murs, ce flottement de rue morte sous le lampadaire, le grésil inattendu de la mort qui perce de ses tiges les trois heures du matin bien passées, attendre que chaque sonorité vienne perforer le temps de la recherche. Et puis, écrire se dit-elle, les doigts sous l’eau, le fil de fer, bouge sous les mâchoires, attentif au petit déplacement des livres qui poussent au fin fond du téléviseur.

A propos de Françoise Breton

aime enseigner, des lettres et du théâtre, en Seine-Saint-Denis, puis en Essonne, au Cada de Savigny, des errances au piano, si peu de temps pour écrire. Alors les trajets en RER (D, B, C...), l'atelier de François Bon, les rencontres, les revues, ont permis l'émergence de quelques recueils, nouvelles, poèmes. D'abord "Afghanes et autres récits", puis en revues "Le ventre et l'oreille", "Traversées", "Cabaret", "La Femelle du Requin"... Mais avant tout, vive le collectif ! Création avec mes anciens élèves d'Aulnay-Sous-Bois de la revue numérique Les Villes en Voix, qui accueille tous les textes reçus, photos, toiles...

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