#enfances #01 | Docteur A. et mères Machin

notes sur l’établissage du texte

La mère Fissou — Je devais avoir une vingtaine d’années quand elle est morte. Elle approchait le siècle. Les derniers temps, elle restait alitée et dégoisait, va savoir quoi quand ça la prenait, dans un charabia ponctué de grands gestes tremblants. Lulu s’occupait d’elle. Elle la levait, la mettait sur le pot, lui donnait à manger une purée, faisait sa toilette, la peignait et lui attachait les cheveux, l’installait dans le grand fauteuil près de la fenêtre ou la recouchait. Je me souviens aussi, le temps du père Fissou. Il l’aidait à manger à table et l’emmenait, le soir, en la prenant par le bras, dans la maison d’en haut à côté du chai. Ils dormaient là, dans une petite pièce à vivre. Ils traversaient la cour, montaient dans le noir vers la petite lumière laissée allumée. Elle s’est éteinte avec lui. Je devais avoir une dizaine d’années. Mais les premiers temps, la mère Fissou, ces premiers qui étaient les miens, sans doute, mais aussi ceux de la maladie. — On la trouve là les mains dans le dos, sur la route | dans un chemin | dans le pré des vaches | dans un champ de blé, assise sur une botte de paille | à remonter un rang de vigne | le long de la rivière | sous le vieux marronnier, la tête en avant, un peu voûtée | un peu bossue, les jambes frêles un peu raides, en chaussons | en savates | à traîner ses savates, les mains dans le dos. Et asteur, qué t’o qu’a fout là ? | Oh la moué la moué… Tu zou voués oure qu’a l’est mussée chette ourse… ? | Ah ben te v’là ! Olé qu’t’entends reun ! Elle se retourne sans un mot | elle essaie de se redresser en se tordant le cou | elle tend l’oreille la tête penchée, les mains jointes dans le dos, à trafiquer ses doigts | à triturer je-ne-sais-quoi — moi non plus du reste. Elle porte un foulard sur la tête, un tissu plutôt fin, aéré. C’est l’été ? Eh mamie… mamie… Il y a cette larme à l’œil | cet œil | une larme qui coule sur sa joue ridée | fripée. Un gilet qui a l’air trop petit, un peu de travers | guingois | boutonné lundi avec mardi, par-dessus son éternel tablier gris souris et ses innombrables arabesques et touches de rose, de violet, de rouge, de mauve. Mamie tu reviens ? — Eh… ma foué…

La mère Chapeau — Églantine | Christiane | en tout cas, une voyelle fermée au début ? un double son de palais autobloquant ? une sorte de tinée pour finir ? et voilà qui réduit le champ d’énonciation. Elle venait nous rendre visite certains après-midi. Une petite femme dans l’âge avec un peu d’embonpoint, bien mise, une robe, un gilet, un foulard autour du cou, une chaîne et son pendentif, des souliers noirs, une mise en plis et une couleur pour éclaircir les cheveux blanc jaunâtre. Elle s’asseyait au bout de la table et restait là à parler, les yeux vifs derrière des lunettes rondes. Le feu dans la cheminée, les crépitements du bois, un claquement parfois, les retours de fumée avec un coup de pincettes et le soufflet. C’était la seule à savoir conduire. Sa voiture était garée devant la cour. Une 2CV rouge et noir. Un rouge bordeaux ou grenat sur le capot brillant, sur les sur jantes aux enjoliveurs chromés, et les portières, formant là une espèce d’arrondi, une boucle, comme une spirale suivant la coupe des fenêtres rehaussée d’une ligne blanche.

La mère Richard — Dans sa bicoque aux Archambauds. Un visage ovale | oblong, teint mat, taches brunes, de bonnes joues | des bajoues sillonnées de rides, le dessus des mains veiné | en plis et replis, des points noirs, jusque sur les doigts, autour des yeux, un gros dans le cou, un bouton gonflé | boursouflé | enflé. Bicoque | baraque. Une pièce sombre à peine plus large que la porte. Une petite fenêtre à droite. Un rideau ajouré, le coteau en friche. La grande pendule dans un coin, fétiche de bois borgne au balancier de métal doré, tordu. Le tictac totémique. La fenêtre en dentelle d’ombre jetée sur la table par un soleil bas. Et va donc jhouer dehors ! à courir dans l’allée, déraper sur le gravier, sauter de la murette, remonter, sauter, remonter, à faire la course, Starky et Heuche, à tourner autour des voitures, monter dedans, volant à gauche, volant à droite, les sirènes, voler direction l’espace, déraper en l’air et sortie en parachute, vite, vite à dévaler la pente, jusque dans le virage au milieu du coteau, jusqu’à la source en retrait derrière la haie, le chant des grenouilles.

Le docteur A. — Aronica. Un bonhomme fort, une poignée de longs cheveux sur le crâne, ça rebique, de grosses lunettes carrées à verres fumés. Dans son sac fourre-tout en cuir noir, un stéthoscope glacé. Et une voix grave, à friture | à grésiller. Aujourd’hui, c’est surtout son nom de médicament. Et dans le carnet de santé pour des vaccins, des rappels, la varicelle, la rougeole, la rubéole, l’impétigo, une angine blanche, sa signature illisible, des vagues, une barre et deux boucles.

A propos de Will

Formateur dans une structure associative (en matière de savoirs de base), amateur de bien des choses en vrac (trop, comme tous les grands rêveurs), écrivailleur à mes heures perdues (la plupart dans le labyrinthe Tiers Livre), twitteur du dimanche sur un compte Facebook en berne (Will Book ne respecte pas toujours « les Standards de la communauté »), blogueur éphémère sur un site fantôme (willweb.unblog.fr, comme un vaisseau fantôme).

Un commentaire à propos de “#enfances #01 | Docteur A. et mères Machin”

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