hors-série #2 | La flûte

Le Champagne aide à l’émerveillement.
George Sand

Le Champagne peut être bu dans des flûtes ou des coupes. À la maison, nous possédons les deux. Flûtes et coupes. La flûte est utilisée plus fréquemment, elle conserve mieux l’arôme et les bulles du Champagne. On les voit d’ailleurs monter le long du verre avant d’exploser à la surface, au contact de l’air. La flûte est plus fine, élégante. Je lève mon verre… À la tienne !… Elle se manie plus facilement que la coupe, accompagne élégamment le geste de trinquer qui fait s’entrechoquer les verres, résonner leur sonorité cristalline étincelante, tandis que de son côté, la coupe est pleine, elle est large, évasée, difficile de ne pas renverser la boisson par terre. Le plus insupportable est la flute jetable. Entre nos doigts hésitants, cette matière ingrate, impropre, son bruit creux, morne, quand on la pose ou qu’elle tombe bancale sur la table. C’est bien le signe que le matériau ne convient pas à cette boisson, inapproprié. Le verre est nécessaire pour entendre son tintement argentin lorsqu’il s’entrechoque avec celui d’une personne avec laquelle on s’apprête à boire. La fragilité de ce matériau pour rendre la fébrilité touchante, émouvante, l’éclat d’un instant de fête. Trinquer. On porte un toast, on lève son verre. À la bonne vôtre ! On formule un vœu, un souhait, un engagement, un accord ou un hommage. La superstition veut qu’on regarde dans les yeux la personne avec qui on trinque. Chez certaines personnes (dans ma famille pour ne pas les nommer), cela peut prendre la forme d’une véritable chorégraphie. Je lève mon verre, je te fixe du regard, je le fais tourner au-dessus de ma tête et je le pose sur la table en le faisant tournoyer encore quelques instants. Contrairement à la bouteille de vin, qui exige le tire-bouchon, l’effort physique parfois peu élégant, la bouteille coincée virilement entre les cuisses, tirant de toutes nos forces sur l’engin, le rouge au front, le bras qui flageole, l’impression qu’il va lâcher, la bouteille de Champagne se débouche toute seule, d’un léger mouvement de la main, à peine une subtile pression conjuguée du pouce et de l’index pointant vers le haut et l’air comprimé à l’intérieur de la bouteille fait le reste. Le bouchon s’échappe rapidement, son arc de cercle en l’air est difficile à suivre, ses retombées souvent dangereuses, il faut faire très attention à ce qu’il ne parte pas dans n’importe quelle direction. Prendre soin d’approcher la flûte près de la bouteille pour viser juste et faire couler sans attendre l’impatient liquide à l’intérieur du verre, en l’inclinant tout doucement, afin que la mousse dont l’écume explose au contact de l’air, n’entraîne pas le liquide à déborder à l’extérieur du verre, sous la pression. Même si on lui préfère la flûte, la forme de la coupe de Champagne reste attrayante même si peu pratique. Dans la coupe, l’effervescence n’a pas assez de hauteur pour s’exprimer, la mousse s’y forme mal et ne tient pas longtemps, les arômes ne peuvent pas s’épanouir comme dans l’évasement de la flûte. En outre elle est incommode et présente un risque répété de débordement. Et cela n’a rien à voir avec la croyance selon laquelle elle aurait été dessinée sur le galbe des seins de Marie-Antoinette, ce qui est faux au passage, le roi Louis XVI aurait simplement demandé au dessinateur et graveur Jean-Jacques Lagrenée de créer un bol-sein en céramique pour le lait comme il en existait dans l’Antiquité. La qualité du verre est essentielle pour la révélation des arômes. Si la taille des bulles indique un bon millésime, le verre dans lequel on le boit est déterminant. La finesse du bord lorsque nos lèvres s’y accolent fait toute la différence. De même cette même fragilité entre nos doigts, un geste trop nerveux, un agacement passager, le verre peut se briser d’un coup sec, en mille morceaux. Dans une flûte, on ne peut pas boire autrement que par petites gorgées, c’est la meilleure façon de faire durer le plaisir. La flûte ne doit pas être trop étroite afin de mieux conserver l’effervescence et dévoiler son collier de fines bulles. D’ailleurs, la belle flûte est souvent munie d’un endroit dépoli au fond du calice d’où partent un élégant train de bulles. C’est ce qu’on appelle le point d’effervescence.

A propos de Philippe Diaz

Philippe Diaz aka Pierre Ménard : Écrivain (Le Quartanier, Publie.net, Actes Sud Junior, La Marelle, Contre Mur...), bibliothécaire à Paris, médiation numérique et atelier d'écriture Comment écrire au quotidien : 365 ateliers d'écriture, édité par Publie.net http://bit.ly/écrireauquotidien Son dernier livre : L'esprit d'escalier, publié par La Marelle éditions Son site : Liminaire

6 commentaires à propos de “hors-série #2 | La flûte”

  1. La flûte, oui, mais la coupe… La sensation de plonger dans le champagne, la danger qu’il déborde de nos lèvres, qu’il nous inonde, de s’y noyer avec fragilité, de se laisser envahir par les bulles qui nous envahissent sitôt la tête en arrière pour les libérer en cascade dans la gorge … Merci pour ce beau texte, très évocateur, promesse de plaisir.

    • Merci beaucoup Jean-Luc, c’est un vrai dilemme en effet, choisir entre la flûte ou la coupe, ou passer de l’un à l’autre, mais le plus important c’est le Champagne !

  2. regarde ce gâchis que se permettent les armateurs quand ils flanquent leur nouveau navire à l’eau (pfff la flotte…)… merci pour les bons vœux (à la fin, c’est le train qui part et non les bulles – il me semble…) :°)

    • Merci d’évoquer ce gâchis des baptêmes de bateau, je n’arrivais pas à m’y résoudre ! À très bientôt à Paris pour lever ensemble nos verres (et pas forcément de Champagne) !