Le bracelet élastique

Sans mentir, j’ai une tendresse toute particulière pour les élastiques. Je parle ici des bracelets élastiques. J’ai toujours un brin d’émotion quand je rencontre un élastique. Est-ce le souvenir du poignet fripé de grand-mère souvent cerclé de ce fin caoutchouc ? «On ne jette pas, ça peut toujours servir ». Elle disait ça. Un élastique ça peut toujours servir. Moi je dis que ça va toujours servir. Tout le monde n’a pas ce privilège. La vue d’un élastique abandonné sur un trottoir comme un chargé de mission sans mission, balancé comme un vieux papier gras, et qui finit comme ça, à la cloche, est affligeant. L’élastique fait tout pour se rendre utile. Trois brins de muguet, un bouquet de persil, un paquet entamé de pâtes, des petits papiers pour prendre des notes, il est là, il rassemble, il fait lien, il pare à la dispersion. Tout le monde ne peut pas en dire autant. Mais qu’on le balance après avoir mis les fleurs dans un vase, le persil dans un verre, les nouilles dans la casserole et les papiers à la poubelle, dénote une certaine cruauté. Tu comprends et tu te demandes comme moi comment ils faisaient avant. Comment faisaient les gens avant l’invention de l’élastique. Ils s’empêtraient sans doute avec des petits bouts de ficelle, ils nouaient sans conviction. L’élastique est un allié de l’homme. Grand-mère le savait qui les récoltait. J’étais attendrie par cette bienveillance à l’égard du petit, du presque rien, du sans-prétention, du vaillant, toujours disposé à rendre service. On le contraint, il accepte, il s’accommode, donne toute sa puissance tout le temps qu’il faudra. Ça te fait rire ? Tout le monde n’a pas autant de conscience professionnelle. Mais attention à ne pas trop jouer de sa souplesse. Prends garde au revers de manche. Tu l’étires, tu lâches un doigt et tic’, ça se retourne comme un boomerang illico contre toi. L’élastique, quand il arrive au bout de ses forces, qu’il a perdu de sa tonicité, peut céder. Quand c’est fini, c’est fini. Rupture. Il passe du cercle à la ligne droite. On ne recolle pas un élastique. On ne répare pas un élastique. C’est l’impossible recyclage, le sentiment de finitude. La mort. Rien de plus affligeant qu’un élastique cassé. Alors, un autre lui succèdera, plus jeune, solide et opérationnel dès la première prise. Un autre que je serais aller récupérer dans un pot en faïence marqué « thé », pas loin du pot « farine » qui sert de dépôt à des petites pièces jaunes, à côté de celui marqué « sel » dans lequel sont entassés des trombones. Une autre fois, je te parlerai des trombones. Et des pots en faïence de grand-mère.

A propos de Sylvia Boumendil

J'ai été éducatrice puis formatrice. J'ai suivi une formation "Histoire de vie en formation" à l’université de Nantes, un séminaire à Paris 8 "Faire l'histoire de nos apprentissages de la lecture et de l'écriture" et j'ai été formée à l'animation d'ateliers d'écriture dans la maison de Julien Gracq à St-Florent sur Loire "Lire et écrire en pays de Loire". J'ai publié un livre d'art et des textes dans des ouvrages collectifs. Sites : ecrire44.fr / sylviaboumendil.fr

2 commentaires à propos de “Le bracelet élastique”

  1. Vous donnez vie à l’élastique avec tant d’humour et de tendresse ! C’est un honneur pour l’objet et un plaisir pour le lecteur. Merci !