#P12 | les côtes d’Erin

Les côtes d’Erin

1 Il lui faudrait un voyage, car ici, c’est un peu comme là-bas, il lui faut sans cesse des voyages, ces poches sont bourrées de papier tandis qu’il tente de rejoindre la côte, les côtes, peu importe, il lui faudrait un voyage, avancer avec cette pensée et la seule chose qui fait que son histoire avance, sans cette pensée, ce ne serait pas un être statique, ce serait rien du tout, ou alors une grande angoisse 2 Il y a une habitude à prendre, c’est de laisser ces yeux se faire attraper par le vide de ces espaces 3 Ce petit sentiment qui ne s’explique pas, qui fait déborder, croise les lignes. Regardez la nature ou les villes, elles vous diront que tout cela, ce n’est qu’une histoire de lignes, celui qui n’est pas d’accord peut aller… 4 Quelqu’un lui apprit que cela voulait dire passé, histoire, ancien, en arrière, abandonné, antécédent, avant le temps. Ce quelqu’un, elle le retrouve ici. Et nulle part ailleurs. Mais encore faut qu’il qu’elle arrive ! 5 Arrivée – extérieur – jour 6 Le port sans envergure et la ville qui déborde 7 La maison où les bateaux étaient rangés avait sa jumelle ici 8 Une journée dans la capitale pour le poète 9 La bibliothèque de l’université est une lecture sans fin, une folie dont on ne peut sortir indemne 10 Les pavés mouillés sont le prolongement d’une route qui commence par-delà les mers 11 Pour faire bref : de l’autre côté d’Albion, il y a Erin, à la fois reflet et Autre 12 La couleur de fond est le vert. Peindre un ciel devient un casse-tête. La solution est de le peindre en reflet dans une mare 13 Compter les moutons c’est compter la matière qui existe seulement après la chlorophylle 14 La pluie tambourine sur les feuilles et sa musique rythme les pas du peuple d’Erin 15 La mer se confond avec le ciel. Plus tard, les cultes des eaux que l’on raconte une fois la lune haute 16 Les métamorphoses ont des accents celtes 17 A l’intérieur de l’extérieur, la matérialité en double – dans la maison une maison de poupées – et autres objets façonnés par des êtres soumis à la volonté d’un système. Ici tout est violence, avec des relents d’alcool. Le monde a son content de traumatismes, ici ils ont un goût amer 18 Claddagh autour de son annulaire. Le lendemain, son doigt nu 19 Un trèfle en métal entre ses seins 20 Sur le porte-manteaux un blouson de cuir qui a prit l’odeur de la mer, se souvenir de l’odeur est facile car elles vivent aussi sur une île mais quel corps avait traversé ce cuir, voilà que l’amnésie est commune 21 Sur la terrasse qui donne sur la mer, dans leurs fauteuils d’osier, de pieuses lectures… Un Jack prenait le temps d’allumer sa pipe. Quelques secondes où son visage était fumée 22 Nous avons fini par arriver, l’enfant a enfin accordé son cœur au chemin. Répit d’une route sans heurts. Il aura fallu une dizaine d’années avant d’y parvenir. 23 Des chemins de pierre à l’abris du vent. Odeur iodée. Des traces sur les parois. De la peinture ? Pourquoi donc ? 24 C’est une statue. Un ange de pierre à l’aile cassée. Non loin de là, il y a une statue d’une femme qui rit. C’est une statue qui systématiquement, donne mal au cœur. Elle poursuit la route dans sa tête. Récite mentalement ; une vaste prairie, une forêt, plus loin, un village. La tourbière, elle oublie la tourbière. 25 Ils font une promenade sur les falaises qui tentent de dominer la mer. Trop de vent leur coupe le souffle. Si le ciel se dévoile, possibilité de faire l’étude de la mer. Les pieds nus affrontent les rigueurs de cette fin d’hiver 26 Là, il y a le chemin qui se prolonge dans l’eau, jusqu’à la brume, jusqu’en terres d’Erin. Du moins c’est ce qui se disait, dans un temps pas si ancien. 27 Juste en bas, on peut voir ce couple de fous. En vêtements de plage. Nous frissonnons pour eux. Sur sa serviette de plage, elle paraissait très heureuse. Lovée contre lui, elle mordille son épaule à lui. Une épaule pâle, salée. 28 Le cou écarlate semble prisonnier d’un serpent de laine 29 La discipline qui forme les corps à devenir poupées. Comme elles sont statuettes, elles provoquent le vent et se brisent sur les roches vertes. Le destin en fait sombrer dans la mer déchaînée ; qui de nous peut dire ce qu’il en advient ? 30 Un nuage en bazar autour de sa tête 31 Trop de visages dans un miroir font que l’on couvre ce dernier et qu’on disperse les visages aux quatre vents 32 L’oiseau qui hante ses jours n’est pas exactement une colombe, voilà comment débute la fin de sa vie 33 Le souffle des moutons forment des nuages par-dessus leurs boucles et l’on peut en tirer une épopée 34 Le galop commence une pensée. Et cette pensée se disperse en échos dans toutes les vallées 35 Quelqu’un, du côté du cœur, nous intimait le silence pour ne pas effrayer les bêtes de la forêt, nous n’étions que des enfants, lui aussi était de la ville, il me semble…Son avis était celui que j’estimais le plus. Aussi nous écoutions ce que la nature voulait bien nous dire, même si ici n’était pas notre terre, nous la ressentions en nous-mêmes 36 Britomart a du sable dans sa crinière et cette impossibilité-là est à la fois l’ouverture et la conclusion d’un passage en terres d’Erin 37 Le climat océanique de l’ile donne des tempéraments particuliers 38 Même ici, sur cette ile qui n’était pas la sienne, en se rappelant des soirées organisées chaque mercredi, elle ressentait chaque jeudi comme une tragédie 39 C’est sur cette ile, dans une maison, qu’un homme a caché des armes dans les murs 40 Il aime les îles. A passé ses vacances en quête d’îles 41 L’axe de Saint Michael traverse cette partie de l’ile 42 Blouson de cuir associé à l’iode (bis). Les côtes moites sont des remparts, pour qui, pour quoi ? Passant comme sous un cerisier, des grappes roses et lourdes, des poids ronds. L’odeur d’une poitrine. Cela ne devait pas être, pas ici, et pourtant… 43 Le phare se reflète sur le sable très humide. Les chaussures de toile laissent des empreintes inimitables. Une fois, sur la plage au sable foncé, une empreinte particulière amorça une enquête. Sur le sable tracé des lettres humides, friables, Ulysses 44 Les falaises qui dominent la mer font penser au corps dont le nom est tu par une tâche humide. Des prénoms qui ne se prononcent absolument pas comme ils s’écrivent, réinventent la langue du monde. La confusion Edevane, c’est ce qui mène par ici 45 Elle a un visage brun, cette nature. Le vent déséquilibre les cairns. Les visages virent au rouge 47 L’alcool n’a ici que des ambassadeurs 48 Sa vie s’efface, il troue les murs et un jour comme tous les autres il rejoindra l’armée. Ces hommes qui sortent des bois, nuls ne sait qui ils sont. L’un d’entre eux est plus lent, dans la contemplation. Il divise les filles. Entre les deux jeunes femmes, il un salut militaire. Il se sentirait désolé la minute suivante, désolé d’avoir été aussi idiot. Un homme s’était jeté d’ici. Il n’était même pas mort. Juste abîmé 49 Il y a des catholiques, rien que des catholiques, fallait pas venir nous faire chier, vous les… 50 Jusqu’à la fin des années 90, des filles ont connu l’enfer dans ces lieux. Cela ne veut pas dire que c’est terminé. 51 Nous divisions la plage. Je vois double. Là, il y a longtemps, Michael a brisé la roche en deux. Et l’eau coule, se déverse dans la mer. D’étranges traces vont se confondre dans l’écume. Des plumes plantées dans des pics d’argent. Elles frémissent le long de la rivière. Elle pose, canne à pêche dans les tourbillons sauvages, ses yeux clos et un sourire flou, le soleil qui lui éclate à la figure. 52 De toute façon, c’est toujours l’histoire d’une femme qui se perd dans les lande 53 Le doute amorce la rébellion. 54 Un monde qui tombe est-il un monde à ramasser ?

A propos de Alice Diaz

Enfant, veut être litote. Adolescente, passe beaucoup de temps derrière les écrans à créer des mondes et des personnages. Participe à des ateliers d'écriture. Expérimente la photographie. Fière membre du Castor Magazine. Educatrice spécialisée en devenir. Tient un blog où elle cherche à faire signe.