#P3 | Moi je dis que les bonbons valent mieux que la raison

La guerre est déclarée. Les deux belligérants se font face autour d’une table. La table de la cuisine. Le décor est apaisé. Charmant. On a disposé une nappe propre et repassé pour l’occasion, un bavoir immaculé, une toute petite cuillère au manche finement poinçonné de fleurs entrelacées et le bol de porcelaine, celui décoré d’une scènette représentant une poule avec ses petits poussins. Son bol préféré. Charmant. Il domine toute la scène depuis la chaise haute où maman l’a placé avec milles précaution. Elle a même pensé à glisser un petit coussin dans son dos. Charmant.
Tout cela avait si bien commencé. ..
Le bol rempli d’une purée de carottes aux effluves sucrées, ramassées le matin même au jardin, naturelles, sans pesticides ni produits chimiques, biologique, pleines de vitamines, goûteuses. Parfaites. Cuisinées à l’eau, à point, juste lorsque la pointe du couteau pénètre la chair, tendres, égouttées puis écrasées longuement à la fourchette pour en faire une purée ni trop liquide ni trop épaisse. Parfaite. Enfin assaisonnée, d’une pincée de sel puis d’un bon morceau de beurre tranché sur la motte jaune d’or et dont on aperçoit encore la trace fondante et brillante à la surface de la purée de carotte. Parfaite.
Tout cela avait si bien commencé….
Il faut dire que le résultat est à hauteur des espérances. La purée fumante dans le petit bol, celui décoré d’une scènette représentant une poule avec ses petits poussins, lisse, juste chaude comme il faut, et avec le goût inimitablement délicat, parfumé et sucré des carottes du jardin. Il en a avalé goulûment trois cuillerées que maman assise en face de lui, a prises avec délicatesse grâce à la toute petite cuillère au manche finement poinçonné de fleurs entrelacées dans le bol de porcelaine, celui décoré d’une scènette représentant une poule avec ses petits poussins. Son bol préféré. Elle a pris le temps, de porter la cuillère devant ses lèvres de souffler délicatement sur la purée pour qu’elle refroidisse un peu. Elle a pris le temps, de goûter du bout des lèvres tout au bout du bout de la toute petite cuillère au manche finement poinçonné de fleurs entrelacées.

Les enjeux autour de la table sont palpables: Il ne s’agit pas que d’une purée: il s’agit d’amour. Maman y a mis toute, sa patience, son attachement, sa tendresse. Il ne s’agit pas que d’une purée: il s’agit de l’acte primitif de se sustenter, d’avoir les fesses roses et bon caractère, de grandir, de grossir, de bien travailler à l’école, de réussir son bac, d’avoir une bonne situation, de devenir quelqu’un. Il ne ne s’agit pas que de cette purée: il s’agit de toutes les purées qui manquent aux petits enfants qui n’ont rien à manger, des purées que la maman de maman préparaient pour maman, des purées de toutes les mamans du monde qui nourrissent leurs petits, des carottes poussées dans la terre, la terre qui nous nourri tous.
Tout cela avait si bien commencé….
Dans sa chaise haute il a mangé trois cuillerées, pas une de plus pas une de moins. Charmant. Avec ses petites joues rebondies et rosées, ses petites fossettes ou maman dépose un baiser, ses petites mains potelées sagement posées sur la table, sa bouche aux deux petites dents de lait qui s’ouvre largement sur son petit ventre affamé. Charmant. C’est à la quatrième cuillerée que tout s’est gâté. Rien qui pouvait l’annoncer. Aucun ultimatum, pas de pourparlers. Il a décidé qu’il ne voulait plus de cette purée. Pas une bouchée de plus au travers de ses lèvres pincées. Incompréhensible, imprévisible, impitoyable. Pourtant tout cela avait si bien commencé… Elle y avait mis tout son amour. Elle ne crois pourtant n’avoir rien oublié: la nappe propre et repassé, le bavoir immaculé, la toute petite cuillère au manche finement poinçonné de fleurs entrelacées et le bol de porcelaine, celui décoré d’une scènette représentant une poule avec ses petits poussins. Son bol préféré. Elle appelle en renfort l’aviation. Après maints looping vrilles et double piqué. Il ne cédera pas. Le ton monte …

Tout cela avait si bien commencé…Alors la table de la cuisine devient le théâtre d’un conflit armé. On s’impatiente, on crie on menace. Le chantage fait loi. La crème au chocolat en guise de traité de paix. Il ne cédera pas, les enjeux le dépassent, il ne sait pas pourquoi, mais tout à coup mais il ne veux plus manger. Ses pommettes virent au rouge, et ses yeux pleins de larmes roulent au milieux de son visage tuméfié. La cuillère est envoyée contre le mur et laisse une trace sanglante orangée sur le mur de droite. La nappe et le bavoir sont tachés d’une constellation de purée et le bol de porcelaine, celui décoré d’une scènette représentant une poule avec ses petits poussins- son bol préféré- éclate bruyamment en milles éclats sur le sol carrelé.
Les deux belligérants se font face autour d’une table. Ils ne lâcheront rien, les enjeux sont trop importants. Pas question de céder.

C’est plus qu’une histoire de guerre, c’est une histoire d’amour.

A propos de Géraldine Queyrel

Vend des rêves dans la vie réelle Rêve de fiction le reste du temps. Son blog : antepenultiemefr.

2 commentaires à propos de “#P3 | Moi je dis que les bonbons valent mieux que la raison”

  1. très bonne et belle description d’un quotidien que nombre d’entre nous a vécu… j’aime beaucoup cette image de transmission, de tout l’investissement qu’on ne voit pas et qui est là dans cet acte qui a l’air simple et juste nécessaire de se nourrir ou nourrir son gamin… bravo !