P#6 éphéméride de l’été

P#6 éphéméride de l’été

Jour J (mardi) _ à l’heure de la sieste par forte chaleur les pierres craquent pour peu se fendraient d’un coup sec et les chéneaux en zinc se dilatent ; c’est comme si le paysage surchauffé se dézinguait ; de nouveau le ciel tire son voile en fin d’après-midi ; la moissonneuse-batteuse refoule la marchandise, vomit des bourrons de liserons ;

J – 1 (lundi) _ la porte est restée ouverte toute la journée depuis la fraîcheur du matin jusqu’à la fournaise de l’après-midi ; plus de vingt-huit degrés au thermomètre ; les cigales pourtant se taisent ; reste le souvenir du livre d’Aki Shimazaki Sémi : abura-zémi jiii, jiii, jiii… kuma-zémi jiii…cha…cha…cha… minmin-zémi : miiiiiin, miin, miin… nînî-zémi : tchiii…tchiii…tchiii…

J – 2 (dimanche) _ tu quittes l’autoroute blindée la nationale chargée tu empruntes la départementale et tu roules à l’ombre des premiers reliefs laissant à ta gauche la vallée qui poudroie

J – 3 (samedi) _ l’herbe mouillée colle aux chaussures la rosée de la nuit pénètre le cuir le grain est encore mou ; au marché les abricots se font rares

J – 4 (vendredi) _ couper les légumes sur une planche pas droite sous le porte-torchon hissé en hauteur un jour de serpillère ; observer les œillets laissés sur le sol mouillé par les pattes de madame chat : c’est le cri de la serpillère ; personne avant plus personne après

J – 5 (jeudi) _ monter en haut de la ville où se tient le marché sous les halles ; les trouver vides ; avoir oublié que le marché s’étend l’été sur l’esplanade en bas de la ville ; l’impression de faire ascenseur le cabas à la main

J – 6 (mercredi) _ trajets en voiture d’abord en moissonneuse-batteuse ensuite en passant par en-dessous derrière le coteau ; usure des pneumatiques consommation excessive de carburant ; battre du colza ; ne pas avoir le temps de finir la parcelle l’humidité remontant déjà ; la machine n’avale plus rien ; arrêter le chantier ; c’est une heure deux heures trois heures du matin quatre heures peut-être je n’y suis pas à sept heures de nouveau souffler les filtres laver les carreaux assouplir les courroies graisser les roulements faire le plein pour la journée prendre une douche et repartir vas-y y a personne ; moi je rentre à la maison ; écrire

Codicille : ordre à la fois imperturbable et interchangeable des jours d’une année sur l’autre à huit ou dix jours près en juillet : le temps des moissons c'est respirer au rythme du ventre de la machine(moissonneuse-batteuse)

A propos de Cécile Marmonnier

Elle s’appelle Sotta, Cécile Sotta. Elle a surtout vécu à Lyon. Elle a été ou aurait voulu être marchande de bonbons, pompier, dame-pipi, archéologue, cantinière, professeure de lettres certifiée. Maintenant elle est mouette et fermière. En vrai elle n’est pas ici elle est là-bas. Elle s’entoure de beaucoup de livres et les transporte avec elle dans un sac. Parfois dans un carton quand il ne pleut pas. Elle n’a pas assez d’oreilles pour les langues étrangères ni de mémoire sur son disque dur. Alors elle écrit. Sur des cahiers sur des carnets sur des bouts de papier en nombre. Et elle anime des ateliers d’écriture pour ne pas oublier de vivre ni d'écrire.

6 commentaires à propos de “P#6 éphéméride de l’été”

  1. Je découvre un monde en vous lisant ! Et l’impulsion de commencer sémi qui n’était pas loin dans ma pile de lecture. Merci

  2. J’aime beaucoup cette expression aigue de l’été (« comme si le paysage surchauffé se dézinguait « , entre autres), merci de nous faire entrer dans la saison des moissons