#P6 Rétrovision

Lundi 26 juillet. Fin de concert. Les cœurs sont contents, les bagnoles polies. Elles se dispersent selon un ordre précis écrasant l’herbe sèche du champ. Elles se compactent en file indienne, s’engagent sur la route communale, s’égarent et se perdent.  Je roule dans la traine rouge d’un 17. Seule m’obsède la couleur du véhicule entraperçu dans la lumière des codes : caramel laqué ou gris anonyme ? Je me rapproche jusqu’à identifier deux chevrons alu collés sur une carrosserie grise et sage. Nous parcourons 60 km jusqu’à la séparation. Sentiment d’abandon au dernier carrefour : troisième gauche.

Dimanche 25 juillet. Treize sur la plage. Trois hommes assis dans des fauteuils en toile boivent du thé. Crevant les vagues une femme d’un certain âge, six adolescents et quatre enfants. Tous habillés de noir, torse nu et bermuda pour les garçons, maillot une pièce pour les filles non pubères, burkas pour les plus âgées, la mère et la fiancée, j’imagine.  La plus jeune tombe, glisse, plonge, laisse l’eau et le vent s’engouffrer dans ses voiles. Il y a de l’enfance dans son rire. Un homme sur trois ne sourit pas.

Samedi 24 juillet. Ce n’est pas qu’elle est belle. Elle est jeune, elle est brune, elle porte un masque noir. C’est son ensemble fuschia qui éblouit, un violet carmin relevé d’une pointe rouge foncé. Je n’ai jamais vu femme aussi lumineuse.

Vendredi 23 juillet. Les grappes de raisins pointent parmi les feuilles de la vigne vierge. Elles se multiplient sur la façade blanche, grains ronds, serrés contre leurs frères dyonisiaques. Mais beaucoup pourrissent sur souche. « Trop de pluie dit la voisine qui gare sa voiture devant ma porte. Jamais vu un été si pourri ». « Est-ce que ça se mange ? » , je demande. « Sans doute, répond-elle, mais pas pourri ». Le sécateur coupe, les grappes tombent comme des boucles sur la chaussée.

Jeudi 22 juillet. Virer les têtes. C’est lui, le poissonnier du marché, qui le dit :  il vire la tête parce qu’elle fait peur. Pourtant sa chair est ferme, aucune arête n’entrave sa dégustation, son blanc est aussi pur que la neige, rien dans la lotte ne blesse si ce n’est sa laideur. Elle trop grosse, je lui préfère un bar moucheté. 

Mercredi 21 juillet. Qu’est-ce ? Une tache blanche, verticale sur la lettre S du clavier Azerty. Le S se transforme en $ malgré lui. Je frotte, gratte, non pas une tache, mais un effacement programmé qui se scinde en deux, au rythme de la frappe. Que signifie l’usure d’un S ?

Mardi 20 juillet. Vérification de l’info : l’œuf tombe au fond de la casserole quand il n’est pas frais. Et là, je fais quoi ? Poubelle.

A propos de George H

Journaliste, podcasteuse et animatrice d'ateliers d'écriture, j'aime marier réel et poésie, voix et théâtre. J'espère toujours écrire le Livre, mais le temps passe et presse-citron. Il me faut aller jusqu'au bout... Je compte sur moi et aussi sur l'énergie du Tiers Livre. Un site ? Oui, pourquoi pas : https://www.son-d-encre.com/

3 commentaires à propos de “#P6 Rétrovision”

  1. belle attention aux détails et alors le coup de l’oeuf en chute finale (dans la poubelle) j’adore!