P8 Tu…

Tu es à terre. Tu n’as pas supporté ce brusque abandon, cette trahison, ce coup tombé du ciel comme un tonnerre après l’éclair. Tu ne t‘en doutais pas, enfin, c’est ce que tu dis, ce que tu crois, mais au fond, il n’y avait pas un petit soupçon, une appréhension dans tes réflexions ? Ton cœur n’était pas un petit peu serré et inquiet ? Tranquillement assise dans ton café douillet, ressassant ton ennui, rongée par l’attente qui s’étirait, interminable, indéterminable, tu te creusais la cervelle pour peut-être enfin absolument sûrement changer quelque chose dans ta vie, changer d’existence, innover, trouver un nouvel attrait dans ces journées qui ne finissaient pas, ces soirées à accompagner, à acquiescer, à écouter cette musique que tu aimais, mais à tant entendre, on fatigue, tu aurais aimé participer, mise de côté, tu rongeais ton frein, tu perdais ton énergie, ta flamme, tu perdais tes atouts, à pâlir, à t’effacer, à t’étioler…il était parti, revenu, tu faisais confiance et tu avais tort, ton amour s’est échappé et a pris goût au changement, une nouvelle compagne, un bébé, et tu n’en savais rien…jusqu’au moment de votre rencontre, l’accident imprévisible, le choc, tu passes près de la grande Roue pour ton rendez-vous avec Sonia…et tu tombes sur lui, le hasard,  tu le vois de près, lui, insouciant, gai, avec une femme plus jeune  qui se serre contre lui, ils sont ensemble, la sainte famille, le petit dans ses bras, lui qui n’en voulait pas avec toi, qui t’avait fait lanterner, qui t’avait fait perdre ton temps, ce temps qui est compté pour les femmes, tu étais sidérée, tu avais confiance…et lui… il est bien ennuyé, il aimait bien ses deux vies, bien séparées, bien agencées, finalement il est beaucoup mieux organisé que tu le pensais, il n’osait pas te dire, il ne voulait pas te faire mal, quel imbécile, maintenant, ça fait encore plus mal, amour torpillé, confiance piétinée, vie sinistrée…Et toi, tu te sauves en pleurs, c’est trop dur, tu ne te maîtrises pas, tu marches, tu cours, tu cours comme toujours quand tu as un problème à résoudre, tu cours sans regarder devant toi, mais cette fois le problème est compliqué, existentiel, courir ne suffira pas, tu tombes, il faut te relever, la vie n’est pas finie… tu vas couper, éjecter,  reprogrammer ta vie, compter tes amis, tu en as, tu les voyais moins, mais ils sont là pour t’aider…tu n’as plus ta mère, c’est lourd, un deuil, ça ne fait pas très longtemps, elle te manque, c’était trop tôt, tu regrettes d’être fille unique, tu aurais tant aimé avoir une sœur… ou un frère…et surtout un père…tu ne sais rien de lui, un autre abandon, bien avant d’avoir conscience de ce qui t’arrivait…et  ta mère, renfermée sur elle-même, s’oubliant dans son travail, être concierge, c’est un sacerdoce, ton enfance te poursuit, triste, esseulée, mais tu as su te faire des amies, rayons de soleil, appuis, réconfort, tu as ton travail de traducteur, tes collègues, le sport que tu aimes, tu as de quoi t’accrocher, te raccrocher à ta vie, il n’est jamais trop tard, tu verras, tu y arriveras…

A propos de Monika Espinasse

Originaire de Vienne en Autriche. Vit en Lozère. A réalisé des traductions. Aime la poésie, les nouvelles, les romans, même les romans policiers. Ecrit depuis longtemps dans le cadre des Ateliers du déluge. Est devenue accro aux ateliers de François Bon. A publié quelques nouvelles et poèmes, un manuscrit attend dans un tiroir. Aime jouer avec les mots, leur musique et l'esprit singulier de la langue française. Depuis peu, une envie de peindre, en particulier la technique des pastels. Récits de voyages pour retenir le temps. A découvert les potentiels du net depuis peu et essaie d’approfondir au fur et à mesure.