#photofictions#03(1) | portrait

Tu me demandes de m’asseoir dans la lumière de ce fauteuil au sud du jardin du coté des enfants — dire encore les enfants à l’âge qu’ils ont, le dire : que tu as tirés dehors et tout le sang— dans la lumière —les vivants et les morts— qui éclabousse le houx, les bambous… les roses desséchées; la lumière ce soir pour faire une  image tu as dit, la lumière d’aout pour prendre une image de toi elle est parfaite tu as dit: ton beau visage, ton rayonnement (ton écrasante beauté), ta lumière qui.. et des grappes noires pourrissent du côté de la tour, elles tombent. Le vent dessine des ombres. Il éparpille nos lumières : combien d’années, combien ? tu me demandes d’abaisser les paupières, puis d’ouvrir et de fermer les yeux, tu me demandes de te regarder… oui dis tu, comme ça oui, dis-tu, pas plus, et regarde mon épaule… qu’est-ce qui reste de ce film coréen que nous avons vu tout à l’heure ? un motif circulaire et les visages d’une femme qui creuse un trou au bord du rivage, s’y enfouit: et la mer arase la surface. Toute trace disparue qu’est ce qui reste ? Lumière d’aout: une route crayeuse écrasée de lumière, elle qui le cherche, qu’est-ce qui reste d’elle…

le fauteuil de jardin sa forme incurvée très douce une fine résille métallique c’est là qu’elle s’assoit presque face au soleil, leurs rousseurs, le soleil et sa peau; 19h il doit  être ce 20 d’aout. C’est avec le reflex et l’objectif fixe le 50mm que la photographie est prise, seule la mise au point est sur mode automatique. Elle choisit une  grande ouverture de diaphragme et elle augmente  la vitesse, elle se rapproche du modèle, elle se tient légèrement au dessus du visage. La peau, les ridules, la constellation brune , les yeux nus... Elle lui demande d’abaisser les paupières, puis d’ouvrir et de fermer les yeux, elle lui demande de regarder un point en avant, l'épaule peut-être. et de rester là encore un peu dans la lumière. Appuyer. 

A propos de Nathalie Holt

Rêve de peinture. Quarante ans de scénographie plus loin, écrit pour lire et ne photographie pas que son lit.

10 commentaires à propos de “#photofictions#03(1) | portrait”

  1. Ta composition en lumières trace les reliefs des souvenirs et des sentiments. Qui sont peut-être les mêmes. Du précieux qui brille. Et si délicat. Merci.

  2. Merci Nathalie Holt pour ce monologue du modèle à l’écrasante beauté. « Dans la lumière », vous livrez, délivrez les émotions d’une relation complice,rare, entre l’artiste et son modèle.
    « Le vent dessine des ombres » , vous dessinez des vies. Et l’on sent les parfums des raisins qui finissent.
    Merci, merci Nathalie et bravi (des bravo pluriels).

    • l’odeur du raisin noir virait à l’aigre. sur la même grappe les fruits à point et les grains rabougris (des mouches et des guêpes) Comme elle était belle la lumière d’août merci Ugo pour les grands encouragements! et j’ai écouté le conseil de distinguer les deux paragraphes ( ne sais encore si mieux?)

  3. là j’aime bien les deux paragraphes qui reproduisent le tendre face face entre la photographe et son sujet (objet) et puis tout ce qui s’égrène autour de la prise de vue: la lumière, les raisins, l’écrasante beauté, le souvenir du film coréen, le tout tournoie ensemble…

    • Merci Catherine,beaucoup … ce film qui revient en écrivant je l’avais oublié et oublié à quel point s’y posait la question d’un visage (et donc du portrait)

  4. J’ai senti le texte tellement proche de la photo, qu’il pourrait presque la remplacer. Lire la photo, regarder le texte. Tous les deux sont immensément beaux !

    • merci Helena très touchée ( le texte à la place de la photo, il faut prendre cette image puis y revenir mentalement sans la revoir remonter la prise de vue comme revenir sur un voyage et sur les traces laissées dans la mémoire )

  5. je me souviens du petit morceau de scotch blanc qu’on posait sur le bord du pare-soleil « c’est là que tu regardes » disait-on – ici c’est l’épaule – il faudrait (nous) indiquer quel est ce film coréen (mais c’est vrai que les images disent autrement et autre chose que les mots) – mais c’est ce moment délicat simple touchant où ils et elles regardent ce quelque chose qui se fige