#L1 | revenir

Erbalunga, 19 juin 2021

Arriver c’est revenir, se charger d’impatience. Depuis le hublot attraper la densité des nuages accrochés sur la crête du Monte Stellu, la côte ouest du cap mâchant la mer, la netteté des routes minuscules sur le versant est. À peine le temps de repérer le plan familier de la ville, longer la lagune pour déjà se poser sur la piste de Poretta. De la passerelle, aspirer l’air chargé d’herbe tiède, sel, kérosène. Sur le tarmac on lui demande de contourner un essaim d’abeilles, suivre sans y penser les passagers vers le tapis mécanique, se laisser surprendre par un sursaut de joie quand la valise apparaît. Monter dans la 205 rouge, toutes vitres baissées longer la côte à rebours de l’atterrissage, attentive aux métamorphoses, les palmiers grandis, un ocre ravivé. Traverser la ville, ne céder à aucune nostalgie en passant au pied de l’immeuble de la rue Luce de Casabianca. Quitter Bastia vers le nord, le corps tendu dans les virages, reconnaître chaque marine, une église, un palazzu, un massif de lauriers, les agaves audacieux penchés sur la mer. Laisser remonter les souvenirs. Arriver A Campinca. Elle entre dans la maison fermée depuis l’automne, la poussière a entrepris la conquête des moindres interstices. Les poumons saturés d’air confiné elle court, ouvre portes et jalousies, par la fenêtre vérifie l’horizon, les îles d’Elbe et Capraia voilées d’une brume légère. Le jour file, avant la nuit effilocher les nids filandreux, ôter le sable et feuilles endormies dans les encoignures, chasser les mites, les araignées, déhousser les lits. Elle est arrivée, maintenant elle peut penser à l’aube.

A propos de Caroline Diaz

Née un 1er janvier à Alger, enfant voyageuse malgré moi. Formée à la couleur et au motif, plusieurs participations à la revue D’ici là. Je commence à écrire en 2018 en menant un travail à partir de photographies de mon père disparu, aujourd'hui c'est un livre, Comanche. https://lesheurescreuses.net/

16 commentaires à propos de “#L1 | revenir”

  1. Revenir c’est départir.

    DÉPARTIR, verbe.
    A.− Emploi trans.
    1. Vx. Distribuer
    2. Littér. Attribuer en partage

    La définition justifie à elle seule les remerciements.

  2. « La côte ouest du cap mâchant la mer  »
    Toutes les sensations, le mouvement… C’est parti

  3. Avec la netteté d’un horizon sans brumes de chaleur, votre écriture me re-payse, m’heureux payse, dans des lieux qui me sont pourtant familiers depuis des décennies. Merci Caroline Diaz. Revenez vite.

    • Oui vraiment les brumes ont été taquines, heureuse si tu te retrouves ici un peu, beaucoup …

  4. « se charger d’impatience », c’est tout à fait ça. Impatiente de poursuivre le voyage.