vers un écrire/fim #02 | le visage de la femme

1.dans un gros plan le visage de la femme en noir et blanc est illuminé de moitié ǀ elle parle de façon discontinue ǀ  sa bouche tantôt s’ouvre se déforme tantôt reste figée ǀ sa respiration les soulèvements de sa poitrine s’amplifient ou s’affaiblissent ǀ en accord avec les paroles émises ou tues ses silences ǀ son visage est une mer un paysage qui se ride et se déride ǀ elle fixe le sol ǀ et puis elle se tourne de profil soulève son menton vers ǀ la lumière inonde son profil ǀ un homme plus jeune debout semble-t-il filmé depuis le sol soit dans un mouvement de caméra en contre-plongée parle un peu et baisse les yeux ǀ  lui adossé à un mur dans l’encadrement d’une haute porte à demi éclairée ǀ dans un plan successif sur une grille à cuire dans une cheminée sur des braises fumantes sous un chaudron de cuivre : un poisson ǀ la main de la femme s’en saisit ǀ et le dépose tout en parlant encore par moments dans une assiette blanche creuse

2.la vision satellitaire d’un espace mouvant flou changeant vaguement de couleur qui tremble opaque ǀ et au fur à mesure lentement se densifie ǀ s’intensifie de détails et passe de simples taches petites et grandes ǀ à des géométries plus claires définies dessinant des carrés des rectangles des cercles des lignes ǀ et puis des maisons des champs des déserts au milieu de routes de rues d’eau ǀ successivement un gros plan sur des pieds chaussés qui marchent ( nous sommes ce marcheur) le long d’allées sur du gravier retentissant ǀ et qui s’avancent vers des croix plantées dans la terre le sol d’un terrain vague de fosses communes

3.dans le film les matelots étaient assis à une table dans la cabine du bateau ils jouaient aux cartes ǀ on voyait des bouteilles des maquettes de vieilles embarcations claires dans un nuage dense de fumée ǀ l’homme debout s’était rapproché d’une mappemonde placardée au mur ǀ il pointait du doigt des endroits sur la carte muette désignait de la voix ces endroits ǀ son profil y dessinait une ombre ǀ les autres hommes riaient volontiers ǀ l’homme debout lui était sérieux ǀ il marchait ensuite en direction d’un bateau amarré dont la coque blanche miroitait comme l’eau dans la nuit sous l’éclairage d’une lanterne

4. la caméra doit être placée à bord d’un engin à moteur qui pourrait bien être une moto ǀ et avance dans une rue de Tokyo dense d’échoppes et de lanternes et d’enseignes de gens assis par terre le sol est poussiéreux ǀ quelques couleurs de panneaux publicitaires bleu-clair mettent en relief les signes calligraphiques rouges à côté de palmes ǀ au plan successif deux jeunes femmes sont assises et lisent des textes posés sur leurs genoux elles ont l’air de s’appliquer ǀ relèvent la tête parfois pour semble-t-il se donner la réplique ǀ le gros plan d’après filme le visage d’une femme qui s’adresse sans texte à la caméra

5.le visage de la femme de profil se dessine en ombre chinoise sur le mur ǀ elle porte un chapeau à voilette ses cheveux sont tirés ǀ elle lit et fait des mouvements de ses deux mains ǀ dont une tient un livre qui sur le mur jaune ondule comme un bateau ǀ ses poignets portent des bracelets et ressemblent à des cous souples d’animaux ǀ les mouvements sont lents et se déploient de plus en plus rapprochés ǀ ils s’accordent avec les mots émis par la bouche de cette femme très articulés ǀ dans une chorégraphie où le corps le visage le livre de la femme se superposent à leurs traces pleines sur le mur et remplies d’obscurité

A propos de sandrine cuzzucoli

Aime le temps suspendu en contemplant, lisant, dessinant, parlant, regardant le plafond, les visages, peintures, ciels.. Dans mes études passées mais encore présentes!: la littérature américaine, italienne, les beaux-arts, la traduction et d'autres choses depuis... Ecris en revue depuis environ 5 ans, dessine depuis plus, c'est un aller-retour constant un peu comme un Appel de la Forêt, le titre d' un des premiers livres de Jack London- que j'ai aimé!