#2. TERRE

TERRE celle que tu vas fouler pour la première fois TERRE sol de tes ancêtres TERRE la douloureuse TERRE celle du silence TERRE celle qui plane comme une ombre dans les repas de famille TERRE celle de la honte TERRE celle des regrets TERRE celle d’un départ sans retour TERRE celle de l’absence des racinesTERRE revendiquée TERRE apostrophée TERRE nommée TERRE puis sentir le sceau cuisant de la matière desséchée asséchée vidée de sa substance vitale TERRE comprendre la brisure qui s’est inscrite dans le conscient mutique de ta famille TERRE celle qui est restée là-bas TERRE elle t’appelle TERRE elle te provoque TERRE elle te convoque TERRE celle qui émerge de l’autre rive TERRE celle de l’ailleurs de l’énigme TERRE si lointaine et si proche à la fois TERRE à quelques brasses juste de l’autre côté TERRE celle qui a insufflé l’exil TERRE celle qui s’était transformée en un brasier meurtrier TERRE celle par qui la blessure existe à jamais exposée au vent salé TERRE celle qui s’est tue et a détourné le regard lors du départ précipité de tes ancêtres TERRE deux valises à la main et un avenir sans fondation TERRE arrachement violent TERRE déchirure inévitable TERRE désespoir profond TERRE et ne rien laisser paraître TERRE ne croiser aucun regard TERRE partir sans se retourner TERRE sans l’ombre d’une larme avec un cœur de plomb TERRE sans aucune promesse de retour TERRE le vide à affronter TERRE l’inconnu TERRE la perte et l’anéantissement TERRE l’exil TERRE si souvent cachée si souvent pleurée si souvent implorée TERRE surtout là-bas de l’autre côté TERRE celle qui s’offre à toi comme si la mémoire lui revenait TERRE comme si rien n’avait existé TERRE comme une hypothèse semant une profonde inquiétude TERRE et le souffle chaud du vent imprégné des odeurs d’épices et de giroflées flotte dans l’air TERRE comme une caresse maternelle TERRE les bruits de la rue qui ravivent des souvenirs qui te sont étrangers TERRE citronniers figuiers grenadiers oliviers témoins de l’empreinte d’une histoire oubliée TERRE celle de la fertilité et de l’accueil TERRE celle qui t’attend au détour d’un chemin caillouteux

A propos de Dominique Estampes Paillard

Un jour, j’évoquerai l’ici et l’ailleurs de mon existence, j’écrirai ma fascination pour le silence des mots, je dénoncerai l’emprise de mes gènes sur les terres lointaines, je dévoilerai mon doute quotidien, j’évoquerai l’élégance de ma ville de « bord de l’eau » et encore plus mon coup de foudre pour NY, je partagerai ma passion pour l’image, la photographie, je rigolerai devant mes grains de folie, je révèlerai les nuits blanches à écrire, à lire, je dénoncerai le manque de souvenirs de ma ville natale, Casablanca, je ferai la liste de tout ce qui aurait dû, de tout ce qui aurait pu, mais encore plus de tout ce qui a été tout en me délectant du présent. Un jour, peut-être. https://unmondeauboutdurivage.com https://www.instagram.com/hoalen64/?hl=fr

4 commentaires à propos de “#2. TERRE”

  1. Du déchirement à l’espoir, voilà un parpaing qui traverse bien des émotions ! Le déroulé des mots va droit au but, il est très efficace !