#40 jours #12 | Général Gordon

C’est le numéro 15 de la rue. C’est un immeuble qui n’est pas dans l’alignement des autres, on ne sait pas pourquoi. Le trottoir devient plus étroit sur toute sa longueur, soit une vingtaine de mètres, où s’affichent deux vitrines de chaque côté d’une porte. Sur l’enseigne est écrit Général Gordon en une belle écriture cursive et penchée. De l’extérieur, on ne comprend pas vraiment quelle est la fonction de ce lieu. Aux deux extrémités des vitrines, deux peintures représentant les gardes de la reine avec toutes les particularités un peu désuètes es dues à leur fonction. Dans chaque vitrine, des objets : petites voitures de collection enchâssées dans leur emballage, je ne connais rien aux marques de voitures mais probablement anglaises avec la présence d’un bus comme il en circule à Londres, des plantes un peu rachitiques dans le fond, une affiche avec Charlie Chaplin en garçon de café tentant de contenir une pile d’assiettes et surtout ce rideau rouge écossais qui occulte probablement toute la lumière de l’intérieur et ne laisse surtout rien percevoir de l’extérieur. Il est tiré à l’arrière des deux vitrines et même derrière la porte d’entrée. Régulièrement je cherche à deviner ce qu’il peut bien se tramer dans cet antre étrange, et après plusieurs essais, une seule fois, ai réussi à distinguer une lampe de bureau posée sur un comptoir d’une intensité si faible que n’ai pu rien distinguer hormis une silhouette penchée le bras tendu vers ce qu’on peut imaginer être un verre ou une bouteille. C’est cette ambiance un peu secrète, à la limite du supportable qui requiert toute mon attention à chaque fois que mes pas m’entraînent dans cette rue. Et j’y passe souvent puisque c’est la rue de l’enfance avec tous les souvenirs qui s’y accrochent. Et là exactement, c’était une pâtisserie, et je regardais déjà les vitrines avec envie et n’arrive plus à refaire émerger le dedans de ce lieu où j’ai bien dû entrer au moins une fois. Dans l’allée, à gauche d’un soldat anglais je suis déjà, entrée pour me rendre chez des amis de mes parents qui avaient des enfants de mon âge avec qui j’échangeais des timbres. Cette boutique, dont j’ai longtemps pensé que c’était peut-être une brocante ou magasin d’antiquités, mais que je soupçonne désormais, depuis que j’ai vu comme un comptoir ( mais ne suis pas vraiment sûre non plus de ma vision) serait un pub ou un établissement plein de discrétion pour gens habilités à y pénétrer. Je retrouve des notes prises lors d’une de mes errances coutumières dans ce quartier :Passage rue Pointe-Cadet, très bref, et j’ai toujours l’impression étrange lorsque je passe devant le pub (?) que quelqu’un me dévisage alors même que je tente la même chose mais l’atmosphère est tellement sombre, pleine d’énigmes ou d’inquiétude : tout un roman à faire naître dans ce lieu qui m’attire sans que jamais je n’y ai mis le moindre orteil. On croirait presque avoir aperçu un tableau du Caravage avec la densité du noir et le mystère qui se déploie autour. Il suffirait juste, sous un prétexte quelconque, de pousser la porte un jour, un soir, une nuit peut-être, pour savoir ce qui réellement se déroule ici et finir alors par me sortir ce motif de la tête.

A propos de Solange Vissac

Entre campagne et ville, entre deux livres où se perdre, entre des textes qui s'écrivent et des photos qui se capturent... toujours un peu cachée... me dévoilant un peu sur mon blog jardin d'ombres.

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