Autobiographies #1| Fenêtre noire

Il y a une fenêtre. Il n’y a qu’une fenêtre. Il n’y a qu’une grande fenêtre. Il n’y a qu’une très grande fenêtre. Tout le reste est noir. Pas noir d’ailleurs, c’est juste qu’il n’y a « rien » d’autre, le reste c’est le néant, le noir absolu, un trou noir, etc. et le tout combiné. La fenêtre est ouverte. Elle est assise sur le bord, derrière elle une grande roue dont je vois les cabines. Elles ont deux triangles rectangles rouge et vert formant un rectangle. J’ai fait ce rêve je ne sais combien de fois, j’ai bien une idée de quand ça s’est arrêté, mais pas la date précise. C’était un des jours de « mais si… ». A chaque fois que je faisais ce rêve, j’entendais résonner dans tout mon corps physique et à moitié éveillé les cris qui ne pouvaient pas sortir de mon corps de rêve, ce double-intérieur qui ne cherche qu’à sortir mais ne trouve jamais le moyen de. Je me réveillais en sueur. Ereintée, enrouée, voire aphone, mais de l’intérieur.

J’ai toujours aimé me lever tôt. Pas aimer d’ailleurs, c’est plus que ça. Si je me lève à plus de 7h00, j’ai l’impression d’avoir déjà raté ma journée. Il faut qu’il fasse nuit quand je me lève. C’est mieux. C’est beaucoup mieux. Je peux avoir une journée à moi avant de. Sur le chemin pour aller au travail, à pied, à vélo, en tram, je regarde toujours les quelques fenêtres qui s’allument à peine, entre 4 et 5 heures du matin. J’aime voir ces fenêtres. Je scrute le moindre détail. Je me souviens d’une en particulier, j’étais à vélo, je ne voyais presque que le plafond de l’appartement du troisième ou quatrième étage, il devait être 4h05 étant donné sa localisation sur le chemin du travail, donc il faisait encore bien nuit. J’imagine tout de suite un homme, debout mais à peine, répétant les gestes matinaux pour obtenir le premier café. Cette journée là fut bonne. Je ne m’en souviens pas du tout. Donc elle fut bonne. Je ne sais pas à quelle heure j’ai passé les commandes, ni quel record j’avais encore réussi à battre. Non. Rien. Ça, c’était une bonne journée, je ne me souviens que de la fenêtre allumée à 4h05 du matin. Et de l’odeur du café qui envahissait le vert d’eau des murs de cette cuisine jusqu’à ma peau et permettait au travailleur de sortir de sa nuit.

Cela fait 5 ans que j’habite en bords de Loire. Il n’y a pas de fenêtre qui s’allume avant la mienne. Il n’y a que la Loire. Je n’ai pas de travail qui nécessiterait un itinéraire matinal justificatoire de mes pérégrinations matinales. Je peine à me lever avant le soleil de moi-même depuis que je suis ici. Pourtant, « tout » est là pour que je puisse. Il y a bien ma balade blésoise, une fois par semaine. Mais je ne me souviens d’aucune fenêtre allumée. Il a du y en avoir pourtant. Si, en fouillant bien, une au moins. Mais…pas les mêmes sensations. Je ne peux pas « voler » les images, je suis trop près. On pourrait me voir et se demander ce que je fais. La vie à la campagne. J’y suis née, et pourtant je n’y connais rien. Mais, probablement un reste de schéma génétique, je me méfis.

« -Alexia Monrouzeau, secteur Sablon I… »

Je sais même pas où c’est, le Sablon. Si, je sais, mais j’y suis jamais allé. Après tout, je m’en fous. C’est pas comme si j’avais choisi de venir travailler ici. Comme aucun des enfants de postier présents ce jour-là ou un autre dans la salle de tri d’ailleurs.

« Sergio De Giornana[1], secteur Borny II… »

Ouh là…pas de bol. Euh, ils l’ont bien regardé ? Ils sont fous ou quoi ? Et dire qu’il me disait en juin qu’il était tout content de commencer à travailler, « toute excitée je suis »…ah ben, tu vas découvrir le monde…je devrais peut être aller leur dire d’échanger avec lui. Ca va l’abimer. Et moi, j’en viens, alors…ce serait plus logique. Mais je ne dis rien. Je garde le Sablon I.

« -Alors, ces affectations ?

-ben j’ai eu le Sablon I. Par contre ils ont donné Borny II à Sergio… 

-N’y pense même pas. En plus, ça te rappellera ton enfance. »

Hein ? Viens de Borny moua. Pas du Sablon. Je sais que j’ai pas une tête à jouer au poker, mais là ça devait être particulièrement visible pour qu’elle daigne faire un commentaire explicatif :

« Mais si, on a habité au Sablon avec ton père en arrivant. »

Avec qui ? Non, pardon, rien. Pas de question. Non, vrai-ment. Rien.

Je ne sais pas comment s’est venu, mais il était tard, on habitait presque tous en Bretagne.

«-J’ai fait un rêve récurrent toute mon enfance, jusque tard, et même des fois encore, il revient…je te vois assise sur le bord d’une fenêtre, et derrière il y a une grande roue…

-Mais si… c’est pas un rêve ça. C’est quand on habitait au Sablon, avec ton père et ton frère. Je m’en souviens. Tu étais dans ton couffin, tu devais avoir 6 mois. »

Avec qui ? Non, pardon, rien. Pas de question. Non, vrai-ment. Rien.

Quelque part, au milieu du reste:

« Quand tu es né, comme ta grand-mère avait monopolisé ton frère, avec ton père on t’a gâté, mais gâté…jusqu’à tes 6 mois. Après on a arrêté, pour ne pas te pourrir. »

Mission réussie.  Non, vrai-ment, n’en rajoute plus, pitié. Je préfère de très loin le silence, le noir et aucune explication. Je les connais tellement bien, qu’ils me réchauffent, eux.


[1] Prenom oublié, nom de famille maquillé.

A propos de Alexia

Chercheuse par diplôme (Master 2, 2018) en littérature anglaise du 20ème siècle à Tours, indépendante car pas rattachée à une université pour l'heure, je fais des mousses au chocolat, des îles flottantes, du pain perdu caramel, des meringues, des crèmes brûlées...un jour, j'arriverais au niveau de la tarte au citron de Blanche!!! je l'aurais un jour!!! je l'aurais!!! En attendant, j'épluche aussi des pommes...