autobiographies #05 | cinq dures à avaler

Reprise d’un paragraphe des portraits #2.

7h30. La première prise. Une pilule jaune et dodue, deux petits cachets blancs, une gélule orange et rouge et une pilule verte. Jacqueline ne sait plus vraiment à quoi chacun correspond, mais elle prépare son semainier tous les dimanches en plissant des yeux pour ne pas se tromper. Déchiffrer l’écriture des médecins sur l’ordonnance, des pharmaciens sur les boîtes. Elle est trop âgée maintenant pour rentrer dans les protocoles d’essai de médicaments. Ça lui en a arrondi bien des fins de mois de faire le cobaye, quand elle habitait en mobil-home, avec son boulot de couturière à la chaîne et son mari en incapacité de travailler – 145 kilos, il a fallu renforcer le siège de la voiture – Elle en a monté des fermetures Eclair, des jaunes, des vertes, des bleues, des jeans, des cotons, des celluloses. Maintenant, elle n’a plus les doigts ni les yeux pour coudre un bonnet pour les arrière-petits-enfants qui viendront bientôt. Elle se demande un peu quand même si certaines des pilules qu’elle prend aujourd’hui ne sont pas à cause de celles d’avant. Mais ça ne sert à rien d’y penser.

copie 1

7h30. Première prise. Pilule jaune et dodue : 1, petits cachets blancs : 2, gélule orange et rouge : 1 (j’ai froid aux pieds, il faudrait faire du feu), (fautes de frappe à rectifier : oragne, une fois une collègue avait écrit alerte organe en titre de brève), et pilule verte : 1. Jacqueline ne sais plus vraiment à quoi chaque petit cachet correspond, mais elle prépare consciencieusement son semainier tous les dimanches, les yeux plissés pour déchiffrer l’écriture des médecins sur l’ordonnance, celle du pharmacien sur la boîte. Ne pas se tromper. Elle est trop âgée maintenant, mais quand elle était plus jeune, elle faisait régulièrement partie des protocoles d’essais de nouveaux médicaments. Ça lui en a arrondi des fins de mois de faire le cobaye, quand elle habitait encore dans son mobil-home, avec son boulot de couturière à la chaîne et son mari « en incapacité », on disait – 145kg, il a fallu renforcer l’armature des sièges de la voiture – elle en a monté des fermetures Eclair, des jaunes, des vertes, des bleues, des jeans, des cotons, des celluloses. Maintenant, elle n’a plus les doigts ni les yeux pour coudre un bonnet pour ses arrière-arrière-petits-enfants qui viendront bientôt. Elle se demande parfois si certaines des pilules qu’elle prend aujourd’hui ne sont pas la faute à celles d’avant. Et puis, elle secoue la tête, ça ne sert à rien d’y penser.  (j’ai oublié de noter ce à quoi je pensais pendant la réécriture).

copie 2

7h30. (Le fil de la souris est entortillé) pilule jaune et dodue : 1 ; petit cachet blanc : 2 ; (le b de ce clavier est plus difficile que les autres touches) gélule orange et rouge (je m’applique à écrire orange correctement) : 1 ; (de mettre les réflexions au milieu perturbe ma copie et ma concentration, peut-être faudrait-il un autre paragraphe en dessous du texte, je tente) ; Pilule verte : 1. Jacqueline ne sais plus vraiment à quoi correspond chaque pilule qu’elle prend trois fois par jour, mais elle prépare consciencieusement son semainier chaque dimanche, le yeux plissés pour déchiffrer l’ordonnance. Ne pas se tromper. Elle est trop vieille maintenant, mais elle en a avalé des cachetons. Elle a longtemps fait partie des cohortes de tests des nouveaux médicaments. Ses enfants lui disaient qu’elle se faisait du mal mais il fallait bien trouver de quoi arrondir les fins de mois, pour payer le mobil-home, avec son salaire de couturière à la chaîne et son mari « en incapacité », on disait – 145kg, il avait fallu renforcer l’armature des sièges de la voiture – Elle en a monté des fermetures Eclair, des jaunes, des vertes, des bleues, comme ses pilules, des cotons, des jeans, des polyamides, à s’en esquinter les doigts, les yeux et le dos. D’ailleurs aujourd’hui elle aussi est « en incapacité » de coudre ne serait-ce qu’un bonnet pour ses arrière-arrière-petits-enfants qui ne devraient venir bientôt. Elle se demande un peu quand même, si certaines des pilules qu’elle prend aujourd’hui ne so7h30. nt pas la faute à celles qu’elle a pris dans le temps. Mais de toute façon qu’est-ce qu’elle aurait bien pu faire et puis ça ne sert plus à rien d’y penser. Est-ce que le langage familier coule de source ? trop peut-être.

Copie 3

7h30. Première prise. Pilule jaune : 1 ; cachet blanc : 2 ; gélule orange et rouge : 1 ; pilule verte : 1. Jacqueline ne sait plus vraiment à quoi correspond chaque pilule qu’elle prend trois fois par jour. Elle prépare soigneusement son semainier chaque dimanche soir, le nez collé sur l’ordonnance, les yeux plissés sur l’écriture du médecin. Ne pas se tromper. Elle est trop vieille maintenant, mais quand elle était plus jeune, elle a souvent été cobaye. Elle testait de nouveaux médicaments contre la tension, le cholestérol, l’insomnie… Il fallait bien trouver de quoi arrondir les fins de mois, pour payer le mobil-home, avec son salaire de couturière à la chaîne et son mari « en incapacité », on disait – 145kg, il avait fallu renforcer l’armature des sièges de la voiture – Elle en avait monté des fermetures Eclair, des jaunes, des bleues, des vertes, des jeans, des cotons, des polyamides… l’une après l’autre à s’en esquinter les doigts, les yeux et le dos. Aujourd’hui, elle aussi elle est « en incapacité ». Elle ne peut plus coudre ne serait-ce qu’un bonnet pour ses arrière-arrière-petits enfants. Elle avale la poignée de cachet avec un grand verre d’eau et elle se demande un peu quand même si certaines de ces pilules ne sont pas la faute à celles qu’elle a ingurgitées plus jeune. Mais ça ne sert plus à rien d’y penser.

J’ai oublié « Première prise » dans la version précédente. Je me dépêche de réaliser cette consigne pour pouvoir passer à la suivante. Je suis en retard de 6 ateliers. Je ne sais pas si c’est très intelligent de le faire de cette manière, mais maintenant que je suis lancée…

Copie 4

7h30. Une pilule jaune, deux cachets blancs, une gélule orange et rouge, un cachet vert. Jacqueline ne sait plus vraiment à quoi correspond chaque pilule qu’elle prend trois fois par jour. Elle prépare soigneusement son semainier chaque dimanche soir. Les lunettes vissées, le nez froncé sur l’ordonnance, les yeux plissés sur l’écriture arabesque du médecin. Ne pas se tromper. Elle est trop vieille maintenant pour intégrer les protocoles de tests, mais quand elle était plus jeune, elle faisait ça… cobaye. Elle essayait de nouveaux médicaments contre la tension, le cholestérol, l’insomnie… Il fallait bien trouver de quoi arrondir les fins de mois, payer le loyer du mobil-home. Ce n’est pas avec son salaire de couturière à la chaîne et son mari « en incapacité » – 145kg, il avait fallu renforcer les armatures des sièges de la voiture – qu’ils allaient emménager dans un pavillon de banlieue. Elle en avait monté des fermetures Eclair, des jaunes, des rouges, des vertes, des jeans, des cotons, des polyamides… à s’en esquinter les doigts, les yeux, le dos. Maintenant, elle aussi est « en incapacité ». Elle ne peut plus coudre le moindre bonnet pour ses arrière-petits-enfants. Elle avale la poignée de cachets avec un grand verre d’eau et elle se demande un peu, parfois, si elle prendrait toutes ces pilules si elle n’avait pas pris toutes celles d’avant. Mais ça ne sert plus à rien d’y penser.  

Pas l’énergie là aujourd’hui de tout relire pour voir la version que je préfère. Y reviendrai plus tard.

A propos de Helene Gosselin

Un peu de sociologie de l'imaginaire, quelques années de journalisme à Montpellier. Mise au vert en Lozère. Venue ici par un heureux concours de circonstances. M'y accroche. Dévide, fouille, cherche sous les doigts.