Camino francés

Creuser le chemin pour la retrouver. Faut-il retourner en arrière, aller de l’avant… ? Et le présent, on en fait quoi ? Sans temporalité déterminée, affirmer : « Les choses minables ne la concernent pas. L’ovale est pur. Joues poudrées de rose où ses filles sont venues se caresser. Elle frotte doucement la pulpe de ses doigts contre sa peau encore rebondie. Naturellement, elle ne veut pas que le maquillage ternisse son teint composé. Fard bleu au-dessus des billes. Elle a fait rouler son regard de lumière dans de la craie. »

*

Dimanche

Face claire de vierge, la messe qui lui en donne la rigueur. Là, ses yeux ne sont plus rien, réduits dans la piété des heures, effaçant de sa figure les indices à distinguer dans une foule, ces petites choses comme :

– La paresse de la paupière gauche
– Le brillant quelque part vers l’arc de ses lèvres peut-être
– Les cils de passage sur les joues

Sa bouche embrasse l’hostie ; elle avale son Christ. Et avec appétit, témoigne l’écume qui déborde de ses lèvres ! De la sueur qui brille sur le front noble, ou alors est-ce la grâce divine ?

*

Aujourd’hui, les photos sont rangées selon l’automatisme froid de mon téléphone. Le gras des doigts qui veulent tripoter l’écran. Des bêtes qui cherchent à posséder ton identité. Ils ne veulent pas te tripoter toi, juste ton visage, agrandir à tout prix les photos pour mieux te voir, voir pour t’écouter et te connaître. Visage, visage, il faut une image.

*

Parfois, un pli au-dessus des yeux, puis d’autres qui se dessinent dans les coins de la bouche. Ce sont les lignes parentales qu’il faut bien suivre quand on vieillit. Visage agité lorsqu’il parle ma langue. Décalage de la parole et de ton regard. Regarde toujours ailleurs, d’ailleurs tu es loin. Le souffle du langage ressort par ta bouche en mouvement pincé, et tes narines qui frémissent. Roses, les narines, c’est tout à fait charmant – aussi il n’y a pas de trous dans ton visage, tout est bien plein, bien compact et pourtant délicat, un objet vivant qu’on n’oserait pas toucher. Et après ? Je refuse de croire à la structure des os et des muscles derrière ce visage d’icône. Il y a comme des impossibilités à croire en toi. Et puis ces pauses, ces arrêts sur la route qui mène à toi ? À en avoir le vertige. Être abstraite. Je m’entête, ne t’ai pas tout dit à ton sujet. Je ne t’ai pas dit par exemple que la couleur de ta bouche, c’est une plaie dans le sachet de thé. La plaie de la baie rouge parmi les herbes. La couleur se diffuse, encre colorée sur ta peau papier.

*

My hair : dry, dry, dry.
— Mes cheveux, secs, secs, secs.
— Secs. Cabello seco.
Seco, seco, seco.

S’apprivoiser par la matière des cheveux, passer par les langues multiples, exercer nos visages. Le sien entouré du roux dry, sec, seco.

*

Son visage devient comme les autres, une capsule temporelle. Face sur écran, les détails qui montrent qu’elle est en vie. Une femme qui a encore son visage. C’est peut-être la distance, mais elle me semble glisser loin de mon regard.

San Sebastian, boussole mémorielle. Fragments roulés par les vagues jusqu’à en devenir lisses, doux. La surface polie de ton visage. L’éclatement de la lumière, le vertige de ta tête, penchée sur le côté, comme prête à se détacher du cou, long comme un cygne. Signe que tu me plais, cette façon de pouvoir te définir comme une forme changeante au gré de la lumière, une surface pleine, qui réfléchit celle qui te regarde.

A propos de Alice Diaz

Enfant, veut être litote. Adolescente, passe beaucoup de temps derrière les écrans à créer des mondes et des personnages. Participe à des ateliers d'écriture. Expérimente la photographie. Fière membre du Castor Magazine. Educatrice spécialisée en devenir. Tient un blog où elle cherche à faire signe.

9 commentaires à propos de “Camino francés”

  1. des fois, ce qui fait hyper plaisir tant on marche à tâtons dans ces propositions, c’est quand un texte fait la preuve qu’effectivement ça marche, que c’était jouable… très explicitement, rien qui puisse me faire plus plaisir que cette diffraction des formes, qui rend chaque fragment indépendant – c’est l’éclatement qui dit l’unité : peut-être on ne regarde pas un visage autrement, quel qu’il soit – merci donc – et très impressionné par la dureté qui résulte de l’emploi de la 3ème personne….

    • Merci pour ton passage ! Comme un jeu, je convoquais la figure en moi pour mieux relâcher tout cela ici. C’était très plaisant de travailler la forme jusqu’à l’éclatement du propos, sous les formes qui me tentaient.

  2. Très très beau

    « Et puis ces pauses, ces arrêts sur la route qui mène à toi ? À en avoir le vertige. Être abstraite. Je m’entête, ne t’ai pas tout dit à ton sujet. Je ne t’ai pas dit par exemple que la couleur de ta bouche, c’est une plaie dans le sachet de thé. La plaie de la baie rouge parmi les herbes. La couleur se diffuse, encre colorée sur ta peau papier… »

  3. J’aime particulièrement le fragment sur le téléphone. La recherche de la profondeur à la surface.
    Mais tout est impressionnant de justesse.

  4. superbe et doucement mélancolique parfois sans pouvoir expliquer. C’est merveilleux ce elle a fait rouler son regard de lumière dans de la craie ou la couleur se diffuse encre colorée sur ta peau papier – sensible comme une rêverie fragile. J’adore !

  5. les lignes parentales qu’il faut bien suivre quand on vieillit.
    rien que pour ces mots j’aurais aimé

  6. Que rajouter ? Il y a de belles étincelles de cruauté aussi comme dans ce Dimanche ce qui n’est pas pour me déplaire… Bravo