Des trous en moi

C’était l’été ou la fin du printemps il s’était subitement mis à grêler ça tapait contre les carreaux la fenêtre perçait et à l’intérieur c’était la panique la mère affolée comme elle pouvait l’être cherchant désespérément une loque pour éponger l’hémorragie et la maison ce jour-là un navire qui prend l’eau et la fillette qui voyait la mère sombrer avec lui alors chez la grand-tante où elle allait parfois et où il faisait si calme si désespérement calme qu’on attendait derrière la fenêtre ornée d’un rideau de voilage qu’enfin le temps passe et qu’on puisse aller dormir ou rentrer chez soi un voilage qui isolait de la rue qui floutait le réel sauf la nuit où les passants magiquement pouvaient enfin regarder ce qui se passait à l’intérieur comme à Amsterdam où elle avait vécu bien plus tard se promenant la nuit le long des canaux et regardant à travers les fenêtres larges et nues les gens vivre comme si ils étaient des poupées dans un maison d’enfant et imaginant des vies comme dans ce film cette baie extraordinaire ce chalet hi-tech tout confort en pleine montagne au sommet des Alpes scandinaves elle s’y trouvait à travers les yeux d’une fillette parents en crise la mort omniprésente et cette beauté à vous couper le souffle une telle beauté que ça en était presque honteux d’avoir ça rien que pour soi et dans sa vie sa vie à elle aussi il y avait une vue vue urbaine à ses yeux si précieuse au dernier étage de sa maison la fenêtre sa campagne à elle son océan les toits de la ville à perte de regard 180 degrés de ciel et de vue rasante sur les toits des cabanons des graminées qui avaient germés par hasard une croix d’église orthodoxe émergeant des vagues de toiles noires et plus loin le dragon doré sous le pied de st-Georges et la nuit au loin les guirlandes lumineuses qui coulaient le long des buildings on aurait dit Hong-Kong ce qu’elle s’en imaginait en tout cas parce que par les fenêtres on imagine des choses il y avait eu cet homme apparaissant à la fenêtre d’en face toujours un bonnet sur la tête qu’elle avait baptisé l’homme au bonnet et dont elle avait tiré un récit même si la fenêtre était en réalité aveugle et que peut-être personne ne vivait là elle se souvenait bien des heures longues qui s’étirent son corps d’adolescente échouée comme un baleine sur son banc d’école bercée par le ronron d’une voix professorale et elle-même le regard toujours attiré par le dehors l’air frais le vent sentant son propre corps flotter derrière la vitre et s’éloigner doucement vers l’ailleurs tandis qu’au petit jour les rayons du soleil à travers la large fenêtre en trois pans de sa chambre vaste chambre au parquet luisant lui tapaient dans l’œil la mère une ancienne couturière refusait obstinément de lui octroyer des rideaux pensant peut-être qu’il était plus naturel d’être réveillée tous les matins par les rayons du jour mais elle elle la fenêtre qui restait gravée en elle comme une expérience hallucinante entre veille et sommeil c’était cette fenêtre de toit qui courrait sur dix douze mètres de large au plafond de cette maison arrondie bâtie au milieu d’une forêt de bouleaux sur un terril de sable la maison d’un homme qu’elle avait aimé et s’endormir les yeux perdus dans les cimes des bouleaux arbres battant aux vents ballotés que ça en donnait presque le vertige avec cette sensation d’être sur un radeau voguant en pleine mer

A propos de Sybille Cornet

Je n’ai pas de page Facebook ni perso ni privée. Ni d’instagram. Et pas de site non plus autour de mon travail. Je sais que question communication c’est pas top. Je vis mieux dans l’ombre. Mais je travaille à tenter d’en sortir. Je suis autrice et metteuse en scène. Principalement de théâtre jeune public. Le théâtre jeune public est un milieu qui vit un peu en autarcie. On se connait tous et toutes. Et donc la nécessité n’est pas forcément là pour me pousser dans le dos. J’ai une pièce de théâtre publiée Le genévrier chez Lansman. J’ai un texte publié dont je suis contente, une ode aux pieds nus (La matière du monde) édité chez Post industrial animism. J’ai publié des textes poétiques dans un magazine que j’adore et qui s’appelle Soldes almanach, magazine assez branque sur les nouvelles utopies. Il y a une adaptation sonore d'un spectacle performance sur le Syndrôme de Stendhal que j'ai écrit et performé ici : https://www.dicenaire.com/radioautresauborddumonde . Pour le reste, j’ai écrit et mis en scène une bonne dizaine de spectacles, adultes et enfants. Ma compagnie s’appelle Welcome to Earth. J’ai aussi fait un peu de poésie sonore. Pour l’instant je monte un spectacle pour tous petits qui raconte une amitié entre deux arbres, un petit pin nain et un bouleau. Ça s’appellera sans doute Inséparables. J’accompagne une actrice slameuse qui monte un seule en scène autour de sa grand-mère et de l’avortement. Le titre : Bête d’orage. Je fais partie d’une commission qui octroie des aides à la création aux créateurices jeune public et je lis beaucoup de dossiers d’artistes. Aussi étonnant que ça puisse paraître, ça me passionne complètement. Lire des dossiers d’intention de spectacles m’intéresse parfois plus que de voir le spectacle lui-même. J’étudie aussi la dramaturgie (mais ne me demandez par contre pas ce que c’est ok ?). Ah oui, je suis belge et je vis à Bruxelles, ville que j’aime entre toutes.