#Gestes&usages #02 | corps en marche vus de dos

On les aurait suivi alors il y a environ soixante-dix ans elles quatre et le petit post-scriptum, comme je suivrais maintenant dans les rues de cette ville un peu plus éloignée de la mer, cette vieille femme pliée sèchement en son mitan en deux rectangles de tailles différentes à quatre-vingt-dix degrés appuyée sur une canne verticale comme les jambes et la tête redressée aux cheveux ras couverte d’un bonnet de navigateur plaisancier qui jette en sa pénible avancée de tortue des injures au monde ou au sort mais presque à mi-voix juste pour faire part de son débat intérieur à l’air ou à qui veut l’entendre, les deux femmes aux corps lourds en leurs manteaux opulents qui avancent sur des talons larges à la hauteur sage à petits pas automatiques jambes roulant presque imperceptiblement sous leur poids et s’arrêtent parfois pour un moment plus intense dans leur échange de mots sans importance évidente leur têtes se rapprochant discrètement leurs deux petits chiens abandonnant alors leurs trottinements pour entortiller les laisses et venir se renifler,  l’homme en complet bleu uniforme d’employé qui doit marquer son statut porté comme une carapace qui va balançant légèrement un bras l’autre retenant contre sa hanche une serviette de faux cuir à grands pas concentrés sur ce qu’il faut de dignité avec la rapidité bien entendu obligatoire attentif aux corps qu’il croise pour ne pas infléchir trop sa trajectoire mais ne pas les heurter, la démarche harmonieuse d’une silhouette à très longues jambes et buste faisant bouger doucement les tubes de laine plissée qui les entourent sous le long cou s’évasant en une nuque puis un crâne aux cheveux rasés d’une délicatesse féminine progressant en une marche simplement évidente un peu modérée pour s’accorder au trottinement appliqué et joyeux de la minuscule petite fille accrochée à sa main trébuchant un peu sur ses petites chevilles à fossettes parce qu’elle ne regarde ni le trottoir ni la direction décidée par sa mère ou sa tante sur laquelle elle lève les yeux basculant en arrière sa tête parée de toutes petites tresses bien serrées et de leurs rubans et perles,  ces deux jeunes femmes en shorts très courts sur collants noirs et chaussettes blanches avec bustes serrés dans courtes vestes doudounes aux gros boudins gris métallisé pour celle de droite aux fesses amples balancées au sommet des jambes aux mollets saillants perchés sur de fins talons très hauts qui martèlent les dalles du trottoir avec une assurance si affirmée qu’elle suggère une rage et bleu sombre avec reflets pour son amie grand et fine le visage de trois-quart tourné vers elle pour montrer l’intérêt pris à l’écouter en glissant ferme et sans à-coup ses jambes bien droites les talons légèrement surélevés par la forme confortable de ses baskets rouges…      et puis ceux, adolescents, qui sortent du collège technique voisin, mélange de couleurs de peaux, de jeans déchirés ou de pantalons de jogging blancs sur jambes maigres, de blousons de toutes natures, unis dans la gouaille des voix malgré les différences d’accents, comme dans la fantaisie fougueuse des pas en leurs diverses expressions, forces de poursuites, côte à côte glissé, comme dansé, brusque jeu de pieds, comme une ponctuation dans la phrase échangée, buste courbé pour mimer on ne sait quoi, bras lancés pour des menaces théâtrales ou simplement, placidement mains posées sur le guidon d’une trottinette poussée un temps avant de  filer brusquement avec elle en lançant un adieu. Oui plutôt suivre, à courte distance pour observer, dans ce passé lointain, longeant les courbes de la côte, les grosses balustrades métalliques sur une base de ciment au dessus de la dégringolade des arbustes le long des rochers vers la mer, cette femme vêtue de souple toile blanche, de taille moyenne, très mince, bien droite mais avec un soupçon de relâchement disant une fatigue maitrisée qui avance d’une marche coulée, économe et ferme, assez lente, la nuque sur laquelle dansent les souples cheveux courts se ployant parfois vers l’un des enfants qui l’encadrent ou se redresse pour offrir son visage au soleil, entre rêverie, plaisir du mouvement et attention à sa cour, ses enfants, le petit garçon bien dru émargeant de la prime enfance, fier du petit short de toile bleu à bavette qu’il inaugure et de sa chemisette blanche à la coupe masculine, brun de soleil entré dans la peau, cheveux noirs de jais, tête tournant avec l’impatience de celui qui revendique son autonomie entre  la mère là haut à sa gauche qui le tient d’une main ferme, aussi ferme que celle, à sa droite, de la petite fille, juste un peu plus grande que lui, son aînée de peu, possessive et directive, cheveux courts et raides presque blonds, délicate et évidente, ses jambes bronzées ne faisant bouger qu’avec une sage modération la jupe froncée de sa robe à bretelles en vichy bleu clair et blanc, la même qui danse joyeusement sur sa soeur plus âgée aux boucles brunes dynamiques et enjouées comme sa marche serpentant à gauche de la mère, corps et visage sautant des maisons et des voitures flânant pour jouir de la mer aux trois autres, ramenant de temps en temps un regard agacé sur la pré-adolescente un peu boulotte comme un bouton près d’éclore qui précède de quelques pas leur groupe, sa silhouette, sa démarche trainante, ses bras pendants, même sa robe de petite jeune fille, vichy à tous petits carreaux rouge et blanc, et décolleté bordé de croquet blanc dégageant bien le cou court de paysanne, exprimant avec détermination son ennui d’être là, partie de ce tout, avec cependant juste ce qu’il faut d’attention pour que l’écart entre elle et ce tout ne s’agrandisse pas jusqu’à la détacher, la laisser seule.

A propos de Brigitte Célérier

une des légendes du blog au quotidien, nous sommes très honorés de sa présence ici – à suivre notamment, dans sa ville d'Avignon, au moment du festival... voir son blog, s'abonner, commenter : Paumée.

13 commentaires à propos de “#Gestes&usages #02 | corps en marche vus de dos”

  1. Non en effet elle n’est pas – ne sera pas – seule
    Ça pulse ça vit ça avance ça emplit l’espace – et le mieux c’est qu’on vous y voit… Puissant (trop bien) (j’adore sans connaître ni l’aînée ni les autres – mais en voyant parfaitement la poigne de leur mère…

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