Je voudrais…

      Je ne suis pas présente au présent.

      Je rêve.

      Je n’ai jamais été présente au présent, je suis un personnage de rêve, je mène une vie de rêve, je rêve ma vie et je vis mes rêves, je confonds le jour et la nuit, je ne sais pas si je dors, parfois je sors, je sors d’une rêverie pour entrer dans un rêve, je suis souvent dans la lune, j’aime m’évader, le rêve est une fenêtre, on ne peut pas interdire le rêve, je rêve comme je respire, on ne peut pas m’interdire de respirer, il faudrait que j’expire, si je ne rêvais plus je serais morte, je ne suis pas présente au présent mais je ne suis pas morte, je rêve parce que je vis, mes rêves sont vivants, le réel est souvent décevant, mes rêves sont plus réels que le réel, je suis moi-même irréelle, je ne vis pas au réel présent mais au présent absent, je me dissous dans le temps, ma vie est dissolue, je voudrais bien l’absolution, la recomposition, la fabrication d’un livre qui relierait les fragments, je voudrais savoir lire, avoir un sixième sens, passer de l’autre côté du miroir, imaginer des merveilles, les écrire, les dessiner, m’amuser, oublier le monde tel qu’il ne me va pas, recréer l’Univers comme il me plairait, je sais que je suis née puisque j’existe mais la naissance est un grand moment d’absence, la mort non plus on ne s’en souvient pas, entre les deux la vie passe comme dans un rêve, je suis présente à la vie de mes rêves, je vis au présent dans mon rêve, je suis active et je fais tout ce que je veux dans mon rêve, le rêve est une occupation sans limite, le rêve est un élan qui s’étend à l’infini comme le ciel ou la mer, je me laisse absorber indéfiniment par la contemplation des nuages ou des vagues, mes yeux sont rivés sur l’horizon de mes rêves, le temps de mes rêves ne se conjugue ni au présent, ni au passé, ni au futur, je rêve dans une sorte de présent perpétuel, ce n’est pas une punition mais un état très agréable, le réel est punitif, les activités obligées de la vie quotidienne je les accomplis en rêvant, je m’abstrais du réel autant que je le peux, la vraie vie est ailleurs, ma vie, ma vie n’est pas à l’endroit où l’on me voit, les gens ignorent tout de moi, ils croient parfois me tenir entre leurs mains mais ils n’ont que du sable entre les doigts, je fuis le réel, je m’échappe, je m’évade, je ne supporte pas la prison du réel, je suis une rebelle perpétuelle, je lutte aussi contre moi-même, je voudrais me fondre dans le paysage mais ses angles sont coupants, je voudrais m’en tenir à mes rêves mais les cauchemars me rattrapent, je voudrais avoir la paix mais on me déclare la guerre, je ne sais pas me défendre mais on me tient en joue, je fais un pas de côté mais je me tords le pied, je suis née mais je vais mourir, je n’aime pas la solitude mais je suis seule, je n’aime pas me battre mais je milite, je voudrais dormir mais je suis toujours en éveil, je voudrais…

A propos de Françoise Gérard

Auteure de plusieurs récits publiés aux éditions La Chambre d'échos, chez les Cosaques des frontières, à compte d'auteur et sur son blog [ https://leventquisouffle.com/ ] . Participe depuis plusieurs années aux ateliers d'écriture de François Bon sur Tiers Livre. Aime dessiner.

14 commentaires à propos de “Je voudrais…”

  1. beau soutien, les copines rêveuses. c’est vrai que je devrais m’y mettre au rêve, mon horoscope me le dit.
    “Car si nous avons souvent besoin d’être ramenés au concret, au petit, au limité, au certain, nous avons tout aussi souvent besoin de ne pas oublier l’impalpable, le grand, l’illimité, l’inconnu”. Cette brillante perle de sagesse a été polie par le poète A. R. Ammons, et je la remets aujourd’hui entre tes mains. Nous savons bien toi et moi que tu préfères le concret, le petit, le limité et le certain. C’est pourquoi tu dois régulièrement faire une cure de jouvence en explorant l’impalpable, l’illimité, l’inconnu. Le moment est venu de t’en offrir une. Profites-en bien !

    https://www.courrierinternational.com/horoscope/capricorne
    Il faut que je suive les conseils de Rob. Demain je pars pour le rêve, l’illimité, l’inconnu. Promis.

  2. Le présent conditionnel de la rêverie doucement et savamment employé. Je trouve votre texte très beau !

  3. la rêveuse en éveil, ce texte toute en virgules te dit comme je t’imagine… Et puisque je ne peux commenter ton texte STOP, je dis ici (au moment où l’Amazonie, une grande partie de l’Afrique et de la Sibérie brûlent, où la terre brûle de nos cervelles brûlées) STOP à l’indifférence et au cynisme de ceux qui se gavent de la surconsommation… et que seuls les rêveurs et rêveuses sauveront ce qu’il reste à sauver… on peut toujours encore rêver…

  4. Oui, I have a dream… Merci Christine, tes mots me vont droit au coeur! « Je ne comprends pas », disait une amie rêveuse qui avait une âme d’enfant à propos de la méchanceté ou de l’indifférence qu’elle constatait… Moi, non plus, je ne comprends pas, je ne comprendrai jamais ce déni, cet égoïsme, cet aveuglément, ce cynisme, cette arrogance, cette bêtise qui continuent de provoquer tant de malheurs…