#L9/ documenter c’est écrire

Le terme « bicoques » désigne des habitations typiques d’ici. Accrochées aux pentes abruptes au-dessus de l’anse où s’est développé le port, elles ont été construites de façon anarchiques par toutes les petites mains arrivées avec l’exode rural depuis les Hauts Plateaux. Paysans pauvres, souvent jeunes, partis pour embaucher sur les docks, sur les cargos, sur les chalutiers, dans les petits commerces ou dans les hautes demeures de la bourgeoisie locale. Cette dernière a d’ailleurs choisi de s’installer au-dessus des pentes, sur un replat devenu le quartier du Belvédère, au débouché des routes vers les Hauts Plateaux. C’est à ces mêmes bourgeois que l’on doit l’usage de ce terme de « bicoques » pour désigner les habitations sauvages des pentes. Au milieu du XXe siècle, la municipalité n’a pas hésité à tailler dans la pauvreté pour relier le port et le beau quartier du Belvédère en créant des escaliers cassants et des lignes de funiculaires, le tout éclairé par un réseau de petits réverbères novateur pour l’époque. Les bourgeois n’aiment pas se perdre entre les ruelles des bicoques quand ils descendent pour gérer les affaires de leurs compagnies sur le port ou, sans l’avouer, pour s’encanailler. Un œil averti peut encore de nos jours repérer dans ces petites maisons des éléments architecturaux propres à l’habitat des Plateaux. Le premier, très photogénique, qui saute évidemment aux yeux, sont les façades aux couleurs vives et chaudes enduites de ce bleu, jaune ou rouge, issus des peintures industrielles mais, à l’époque, des ocres des Hauts Plateaux. Sans doute un moyen pour les nouveaux habitants d’alors de se sentir plus vite chez eux et de conserver un ancrage avec le pays natal. Deuxième élément architectural repris aux Plateaux, la structure générale de la construction : la pièce principale rectangulaire, réservée au sommeil, couverte de nattes et fermée sur deux murs tandis que les deux autres sont percés d’ouvertures. Toutes les fenêtres sont inspirées du modèle des Plateaux. Petites, carrées à un seul pan, elles permettent de conserver la fraîcheur à l’intérieur et surtout, elles offrent moins de prise au vent lors de la saison des tempêtes océaniques. Le mur du fond, souvent contre le vent, donne sur l’arrière et dispose donc d’une seule de ces fenêtres tandis que celui qui, à l’opposé s’ouvre sur la cour, est percé d’une porte et de deux autres fenêtres. Les repas se prennent devant, dans la cour intérieure protégée par un auvent. Dans le coin le plus éloigné se trouvent les lieux d’aisance dont les évacuations suivent la pente. On peut noter que les demeures bourgeoises du Belvédère sont-elles tournées vers le large et prennent donc de plein fouet les vents marins. À signaler également que toutes les bicoques sont à l’origine construites avec ce torchis, mélange de paille et de terre des Plateaux. Aujourd’hui, briques et parpaings le remplacent au fur et à mesure des travaux d’amélioration. Avec le même soucis d’efficacité, pour la toiture, la tôle ondulée a très rapidement pris la place des très lourdes pierres plates qu’il fallait acheminer à grands frais depuis les Plateaux. Les tôles sont quant à elles directement débarquées du port. Parfois, ces grosses pierres plates, résistantes aux bourrasques les plus violentes, servent encore à éviter l’arrachage des tôles lors des grandes tempêtes. Cependant, les autorités ne les ont jamais appréciées. Elles ont parfois servi de projectile pour bombarder les forces de l’ordre depuis les toits surplombant les escaliers.

Le Luger est un pistolet semi-automatique de conception germanique mis au point au début du XX° siècle par Georg Luger et fabriqué par la société Deutsche Waffen und Munitionsfabriken puis par l’entreprise Mauser. Dans ses différentes versions, le Luger a été l’arme de dotation réglementaire des forces gouvernementales allemandes lors des deux conflits mondiaux, mais il a ensuite équipé un temps les forces de l’ordre d’autres pays occidentaux tels que la France. Les différents modèles sont dénommés par une lettre correspondant à leur type de munition suivi d’un nombre en référence à l’année de leur conception. Ainsi, pour le modèle P08, parmi les plus répandus, il faut lire calibre Parabellum conçu en 1908. Le Luger – parfois écrit aussi Lüger – est aujourd’hui une arme prisée des collectionneurs. Sa forme caractéristique, avec sa molette comme un œil sur la culasse, dans le prolongement direct du canon, fait que certains en le voyant pensent à une tête de canard ou d’échassier. De fait, le profil de cette arme se retrouve dans une importante iconographie qui rassemble aussi bien les films noirs hollywoodiens réalisés pendant la guerre froide que les reportages ou les photos de la période nazie. Le Luger était en effet l’arme de poing utilisée par de nombreux officier et sous-officiers allemands membres de l’armée ou des multiples services de sécurité à l’origine des nombreux crimes de guerre et crimes contre l’humanité que l’on sait.

Il est un prédateur nocturne vorace se nourrissant de poissons, de crustacés et de céphalopodes. Il se cache le jour. Il se déplace lentement et attaque par surprise. Il peut aussi se nourrir de cadavres. Il avale d’un seul coup ou déchiquette grâce à de violents mouvements de la face avant et des mâchoires. On sait peu de choses sur sa reproduction. Ses intestins dégénèrent. Il cesse de s’alimenter.

D’après https://fr.wikipedia.org/wiki/Congre_commun

La Compagnie de Commerce Maritime est une société fondée à la fin du XIX° siècle par l’unique héritier d’une des plus imposantes familles latifundiaires du pays. Sa mère, fille d’un très riche propriétaire de métairies sur les Hauts-Plateaux, épousa un jeune aventurier américain assagi et qui se piqua d’écriture quand il vit l’Océan depuis le Belvédère. Leur fils décida d’utiliser une partie de la fortune familiale pour se faire construire non pas une de ses yachts en bois précieux comme les oisifs de sa génération mais, un navire à vapeur tout d’acier et de rivets. Avec l’argent de son grand-père, le soutien de son père et l’amour de sa mère, il se plut alors à faire du cabotage entre les ports du sud du continent avant de remonter jusqu’aux États-Unis, sans craindre les aléas du vent et des tempêtes grâce à ses moteurs à charbon. À la belle saison, il n’était pas rare de voir sur le pont, à ses côtés, son père, carnet et stylo à la main, tirant sur sa pipe en écume face aux éléments. Soucieux d’apporter sa contribution à la fortune familiale, il se lança activement dans l’exportation du guano. Ainsi naquit la Compagnie. Gage de réussite sociale, elle recrutait ses mécanos, matelots mais aussi grattes-papiers, chez les fils de la petite paysannerie des Hauts Plateaux. Plus l’argent rentrait, plus la taille des navires augmentait. Bientôt, le jeune entrepreneur, se lança dans la création de plusieurs lignes commerciales régulières à destination de l’Asie. Ce fut encore un succès. Paradoxalement, la Compagnie ne survécut pas longtemps à son fondateur, pas plus qu’à la globalisation dont elle fut pourtant une des précurseures. L’arrivée des conteneurs, la concurrence des ports asiatiques puis la fin de la dictature militaire provoquèrent sa ruine et elle fut avalée par une entreprise nord-américaine. Les héritiers n’ont sans doute pas eu la « vista » de leur aïeul et se sont transformés en rentiers débonnaires. Cloîtrés dans leurs demeures du Belvédère à épousseter les vieux recueils de compte ou de poésie, ils ont été forts peu regardants sur leurs soutiens politiques qui étouffaient les incartades nocturnes de leurs rejetons dans les bars du port ou cassaient tous les mouvements sociaux sur les docks. Les petits eux n’ont pas oublié quand la grande tempête éclata.

Les fleurs du bouquet ne sont pas fanées, elles sont séchées. Ces bouquets de soleil, caractéristiques des Hauts Plateaux remontent à une très ancienne tradition. Ils sont encore réalisés par les enfants d’une maison neuve au début de la première saison sèche qui suit sa construction. Les fleurs, tout juste cueillies dans les environs proches, sont assemblées pour former une petite composition avec au centre un gros chardon entouré d’une couronne de dents de lion. Des violettes à longue tige sont glissées pour relever le jaune orangé de l’ensemble. Puis, le pied du bouquet est serré avec une ligature en ficelle à poulet. Ensuite, le bouquet est suspendu tête en bas par un clou au plafond de la pièce centrale de la maison. Il va rester là des mois, des années, à sécher, à prendre la poussière et à veiller sur le sommeil des habitants. Il ne sera détaché qu’après la mort du dernier vivant de la famille qui a construit la maison et il l’accompagnera dans la tombe. Si l’habitation change de propriétaire, le membre survivant se doit de déposer le bouquet sur la tombe familiale avant de quitter les lieux et qu’une autre famille ne s’installe. Pour les ethnologues, ces bouquets de soleil sont non seulement le signe de l’ancrage des habitants à la terre des Plateaux et à l’astre solaire protecteur et nourricier mais aussi la représentation de l’esprit de toutes ces générations qui ont vécu sous le même toit. Les premiers habitants des bicoques ont créé leur bouquet de soleil avec des chardons et dents de lion apportées des Plateaux mais bientôt, cette espèce de ciguë très pâle, toute frêle qui pousse dans les cours intérieures ou dans les interstices des marches des escaliers s’est imposée. Les quelques rares habitants des bicoques qui purent progresser dans l’échelle sociale en intégrant la fonction publique – l’armée surtout – et qui s’installèrent au Belvédère purent bénéficier pour leurs bouquets des produits des jardins de leur nouvelle demeure.

Les chaussures de Il. Elles tiennent plus du godillot ou du croquenot que de la chaussure de ville en cuir souple ciré noir. Plus rondes que pointues, plus rustiques que distinguées avec leurs gros lacets marron, on les voit plus aux pieds de ceux qui arpentent les Hauts Plateaux qu’à ceux des employés de bureau qui circulent entre les maisons de commerce du port et le Belvédère. Elles manquent de souplesse. Leurs grosses semelles de caoutchouc noir crantées sont très rigides. De plus, le cuir brun qui les habille est lui assez épais. Travaillées et cousues main – les coutures restent apparentes – ses chaussures de travail et / ou de marche nécessitent d’être cassées. Alors seulement, elles deviennent confortables comme chaussons. Imperméables, elles demandent peu d’entretien sauf, en fonction de l’usage que l’on en fait, l’application d’une fine pellicule de graisse. Issues des traditions artisanales des Hauts-Plateaux, ces souliers d’une vie sont désormais confectionnés à façon par des habitants des bicoques. Un grossiste fournit les semelles et le cuir puis les paires de chaussures sont écoulées sur les marchés. Les ouvrières et les ouvriers les plus doués peuvent produire plusieurs paires par jour pour un salaire à peine convenable, sans compter leurs heures et aux risques de graves blessures avec les poinçons utilisés pour les coutures. Pour gagner du temps, certains utilisent une colle industrielle mais s’exposent, ainsi que leur famille, aux émanations des solvants qui la compose.

Les enfants des escaliers ont été immortalisés par le Photographe. Leur nombre n’est pas connu, mais on peut l’estimer au moins à plusieurs centaines. Il s’agit surtout de garçons, parfois très jeunes. Certains sont orphelins, d’autres sont partis ou ont été chassés de chez eux. Livrés à eux-mêmes, ils ont trouvé dans les escaliers un terminus à leur errance. Là, ils se regroupent en bande et s’associent parfois à des meutes de ces chiens jaunes. Il n’est pas rare de voir ces gosses dormir tête bêche, à même le sol du palier entre deux niveaux d’escaliers, entourés de peaux d’os ne somnolant que d’un œil. Un peu de protection et de chaleur en échange d’un reste avarié à croquer. Tous survivent non seulement grâce à la générosité des habitants des bicoques, à la bienveillance maternelle des Sirènes, qui parfois sont leurs sœurs ou leurs mères, aux restes des marchés ou des poubelles mais aussi et surtout des vols à l’arracher. Il n’est pas rare qu’un matelot pris de boisson se retrouve délesté de son pécule dans un coin sombre des escaliers ou qu’un bourgeois en goguette remonte penaud au Belvédère dans le plus simple appareil. A l’époque des militaires, nombreux parmi ces gosses des escaliers ont été battus, raflés et internés dans des instituts de rééducation. Beaucoup ont disparu. Les principales distractions pour tenir dans ce quotidien de survie, de violence et de crasse consiste à se faufiler par la sortie des cinémas, entre deux séances nocturnes, et d’attendre cachés entre les fauteuils le début de la projection suivante. L’autre moment de répit qui s’offre à ces gosses est une de ces soirées où, réunie sur les escaliers, la bande se raconte les exploits et rumeurs du jour en fumant les cigarettes volées ou reconstituées par les plus jeunes à partir des mégots glanés entre les hauts et les bas de la ville. Les gares du funiculaire sont des lieux stratégiques pour cette récolte. Certains, devenus adolescents finissent par s’embarquer ou par embaucher sur les docks, certains deviennent hommes de main dans le milieu du port ou homme à tout faire dans les demeures du Belvédère. Parmi les plus dégourdis, certains ont été recrutés comme commis puis ont ensuite gravi un à un les échelons des maisons de commerce mais, la plupart n’ont jamais refait surface.

Codicille #L9 : Mot clé retenu pour cette #L9 : "épaissir". Épaissir le texte. Prendre dans le déjà écrit et le documenter. Dans l'esprit des propositions où l'on a creusé un lieu, une situation. On se souvient aussi de cette proposition, lors d'un autre cycle - Personnages ? - et cette demande d'amplifier, en dehors du texte principal, pour soi un des personnages pour juste lui donner consistance, densité. Pour cette #L9 aussi, effort d'écrire, au quotidien, sur sept jours. 
Donc ne pas top lambiner, le texte du lundi s'est vite imposé. Le mardi deux autres rédigés. Problème pour le trois. Forte hésitation puisque dans la demande d'un texte documentaire est précisé de ne pas faire du Wikipédia. On s'autorise à détourner. On a évité cette facilité ludique du parodique ? Le mercredi reprise des premiers jets, le jeudi pas convaincu par le choix des éléments à documenter et il en manque. Retravail. Le vendredi, dans l'impossibilité matérielle d'écrire. L'accepter sans même penser aux quatre derniers textes à venir. Au soir du samedi, sur feuille volante, deux nouveaux premiers jets et les deux derniers objets à documenter sont trouvés. Le dimanche reprise numérique et chuchotée des feuilles volantes. Ce soir nouveau retravail et quelques modifications dans les #L précédentes pour cohérence avec textes documentaires. On a donc un peu épaissi l'ensemble mais peut-être pas assez fatigué les textes de la semaine.
Demain, mise à jour du pdf. Repenser aux anciens cycles et à Foster-Wallace pour les notes en bas de page ? Ne pas oublier les remerciements et la 4° de couverture envisagée dans #L7. 
J'ai appris quoi encore depuis juin ? Ce qui s'écrit, ça accroche, ça racle encore beaucoup, c'est lourd  mais au  moins, ça existe. Surtout, installer un temps presque quotidien d'écriture. Avant, en dehors des cycles TL, plutôt rythme hebdo, le dimanche. Enjeu maintenant, s'y tenir avec reprise boulot. A suivre ...

A propos de Jérôme Cé

Surtout lecteur. Cherche sa voix en écriture avec les cycles du Tiers-Livre depuis pas mal de temps. Un peu trop peut-être. (ancien wordpress et premières participations aux ATL) https://boutstierslivre.wordpress.com/

2 commentaires à propos de “#L9/ documenter c’est écrire”

  1. Belle documentation. L’hétérogénéité des descriptions laissent comme une empreinte au texte initial.

  2. Rétroliens : Comment mettre en place un plan d'écriture ?