#L9 | Récréation

Riesenrad. La grande Roue du Prater de Vienne. Phare du parc d’attraction. Hauteur 65m. Âge 120 ans. Il y a plus haut. Il y a plus vieux. Ailleurs. Mais c’est un monument que les Viennois aiment. Un emblème. Qui fait partie du décor. En tournant tranquillement à la vitesse d’environ 3km à l’heure, une douzaine de cabines, wagons rouge et blanc accrochés à la structure métallique, offrent aux visiteurs une vue magnifique sur la ville et le Prater. Dômes et flèches des églises, toits verts étincelant au soleil, reflets des eaux du Danube, coteaux de vignes aux confins de la ville, chaînes des collines de la forêt viennoise. Et puisqu’on parle de décor, la grande Roue a tenu un rôle important dans des films internationaux, Orson Welles y a tourné « le troisième homme » sous la direction de Carol Reed, film noir décrivant une ville immédiatement après-guerre occupée par les alliés, pratiquant le marché noir dans les décombres, prix de Cannes 1949.

Pour ceux qui s’ennuient aux rondes nonchalantes de la Roue, le Prater offre d’autres plaisirs. La hauteur toujours, et la vitesse. Les montagnes russes. Des tubes, des échelles, des boucles, des rails, métal ou couleurs, jaunes ou rouges, des sièges accrochés encastrés, assis ou couchés sur le ventre pour plus d’émotions, montées rythmées par le cliquetis des machines, suspens inattendu au sommet, descentes raides rapides trépidantes, bruit de ferraille, cris de joies et d’horreur pendant ces quelques minutes d’effroi et de bonheur. La tête tourne, l’estomac dévisse, les jambes flageolent…La machine arrête, on se pose et on repart pour un tour…

Ou on découvre le Toboggan un peu plus loin, une centaine d’années, une relique, hauteur  25m, une tour en bois, 22m3 de mélèze et d’épicéa, un monument protégé qui ressemblerait vaguement à une pagode, toit rond pointu d’où se déroulent en escargot les pistes de glissade sous le toit plat qui accompagne le mouvement, 100m de descente plaisir et vertige en colimaçon sur un tapis, un sac en toile de jute, que l’on emporte sous le bras en montant un étage en tapis roulant, ensuite à pied par les escaliers, se tenant à la rambarde peinte en rouge et jaune, aussi rectiligne que la descente sera toute en rondeur, en spirale, assis sur la jute, les jambes allongées, les mains sur les genoux, rien pour s’accrocher, surtout pas, écorchures et brûlures garanties, atterrissage en douceur, et dégagement en vitesse pour laisser la place aux suivants.

Sortie vers l’allée principale du Prater, la Hauptallée, une ligne droite tirée au cordeau, un long couloir entre une épaisse haie de plusieurs rangs de marronniers, 4,4km de chaussée pour les voitures, accompagnée de chaque côté de pistes équestres et de sentiers pour les promeneurs. Une allée construite au 16e siècle, dans le poumon de Vienne près du Danube, chemin de respiration et de plaisirs, passage des carrosses, des cabs, des fiacres d’autrefois, des cavaliers défilant sur leurs chevaux, de belles dames en crinolines se promenant délicatement, et de nos jours les joggeurs, les cyclistes, les familles, parents et enfants courant, s’amusant, batifolant dans les prés tout proches, alignés près de la route, aux noms pittoresques, pré de l’empereur, du cirque, des jésuites, des fourmis…jeux de cache-cache, de mouchoirs, cabrioles, pique-nique, espace de liberté avant de regagner les rues et la maison.

La station Praterstern est au bout de l’allée, espèce de place de l’Étoile en plus petit, plutôt ovale, étoile à huit branches, huit rues qui partent dans toutes les directions, carrefour de communication, nœud ferroviaire,  des rails accompagnant les routes, rails tout droits, doubles, triples, tramway numéro 1, deux lignes de la U-Bahn sous terre pour traverser la ville, la gare plantée au milieu de la place toute en verre, des portes qui s’ouvrent, se ferment sans arrêt, des panneaux bleus dehors, des panneaux lumineux à l’intérieur, arrivée, départ, des escaliers roulants, quai 1, quai 2, l’odeur d’une boulangerie, des journaux, le guichet pour les tickets, des passants qui passent sans regarder personne, courent, se bousculent, le train va partir, dehors sur la place, ce sont les voitures qui filent, qui se faufilent, qui tournent en rond, feux rouges, feux verts, passages piétons, un réseau, une toile d’araignée, c’est l’affluence, c’est l’heure de rentrer.

A propos de Monika Espinasse

Originaire de Vienne en Autriche. Vit en Lozère. A réalisé des traductions. Aime la poésie, les nouvelles, les romans, même les romans policiers. Ecrit depuis longtemps dans le cadre des Ateliers du déluge. Est devenue accro aux ateliers de François Bon. A publié quelques nouvelles et poèmes, un manuscrit attend dans un tiroir. Aime jouer avec les mots, leur musique et l'esprit singulier de la langue française. Depuis peu, une envie de peindre, en particulier la technique des pastels. Récits de voyages pour retenir le temps. A découvert les potentiels du net depuis peu et essaie d’approfondir au fur et à mesure.