L’impossible retour

II
Tandis que je quittais l’hôtel, en bout de rue des cris montaient et j’attendis sans comprendre pourquoi — je le sais désormais — qu’arrivent jusqu’à moi les mots graves, scandés — ils s’échappaient des gorges d’un mur à l’autre de la rue, d’une maison à l’autre — la troupe qui s’avançait en une seule colonne— j’étais sur le trottoir, à son passage elle m’emporta — et bousculée, trébuchante, mon pas s’accorda vite aux autres à l’intérieur du bloc qui remontait maintenant les rues de cette ville — ce n’était qu’une étape, ma destination, c’était Ricla, ancien village, aujourd’hui banlieue de Saragosse — ce fut ainsi que je perdis ma valise sans même qu’on me l’arrache — une enfant m’avait saisi la main, celle-là même qui avait empoigné la valise en sortant de la chambre ce matin, elle avait le teint mat et les yeux noir olive, elle ressemblait à celle qu’un jour j’avais été — et ce fut suffisant pour occuper une place au milieu de ces gens, alors qu’un vol d’étourneaux traversait notre ciel et que le chant dont j’ignorais les mots s’amplifiait — comme pour les saluer — tandis que de rue en rue, de colonne en colonne, la foule grandissait — la ville semblait s’emplir de nous à ras bord — les oiseaux dans l’espace avaient figé leurs ailes au-dessus de nos têtes, assombrissant le ciel, le chant devint lugubre — une mort annoncée, pour moi encore secrète — l’enfant — où étaient ses parents ? — serra précieusement sa main dans la mienne et je m’imaginais alors, abrutie par les cris et piégée par la foule, qu’une tombe s’ouvrait et que ma vie d’avant, toute pétrie d’exil, s’y engouffrait dedans.

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