perdue

Elle ne connait pas le nom de ce village, ni qui est le chef, ni la langue qu’ils parlent, ces hommes, et dans le bol, qu’est-ce-que c’est que ces légumes, ça ne ressemble à rien, et pourquoi des si grands trous dans ce pain ? Et les autres, dans le canot pneumatique, le canot pneumatique où l’eau rentrait par en-dessous, par les trous, où sont-ils à présent. Elle ne sait pas. Elle a nagé comme elle a pu, de toutes ses forces elle a nagé, un courant a dû la porter, Ouest, Nord ?… Sud ? elle ne peut pas dire.

Quatre petites filles sous le porche, elles éclatent de temps en temps d’un rire strident entrecoupé de murmures. Qu’est-ce-qui les fait si bien rire ? Rien, elle ne comprend rien. C’est comme être sourde et muette. Ou albinos ou n’avoir plus de mère que plus personne ne vous parle. Les filles poussent une caisse en plastique, une belle caisse toute neuve avec un couvercle, verte, à roulettes, presqu’aussi haute qu’elles, chacune à son tour s’assoit dessus et vas-y, roule. Une moto pétarade, s’arrête devant le café, deux gars en descendent, posent leurs casques sur une table, se mêlent aux hommes avec de grands gestes, poings fermés qui se rencontrent, comme dans les films à la télé. Les conversations ont repris, le brouhaha des voix s’amplifie, parlent d’elle peut-être ? Ou peut-être pas. Elle repose le bol, vide. La nuit est presque tombée, l’oiseau s’est tu.

À l’autre bout de la place, deux enfants tapent dans un ballon, faisant jaillir en elle l’image d’un petit garçon. Un petit garçon qui est peut-être en train de taper dans un ballon lui aussi, très loin d’ici. Un petit garçon qu’elle a laissé, qu’il a fallu, qu’il a fallu laisser derrière. Et les larmes se sont mises à couler, silencieuses, sans un spasme. Elle ne sait même pas qu’elle est en train de pleurer.

A propos de bizaz

chanteuse de chansons - voyageuse sans itinéraire prévu.