Statuettes

Celle qui sentait le cigarillo de celui qui se reposait, ivre de quelque chose contre son sein.
Celle qui raconta, ici et ailleurs, la vie de son héroïne de mère, sans que l’on ne puisse jamais démêler le vrai du faux.
Celle qui donna son nom sans le savoir à celle qui s’en servirait pour transmettre le passé.
Celle qui faisait des petits gâteaux secs sans mesures, au pif, une poignée de ci, une poignée de ça et c’était toujours bon.
Celle dont on ne savait rien de son amour, mais tout de sa haine.
Celle qui posait effrontément, corps juvénile bombé en avant face à un monde qui n’est plus.
Celle qui avait mille choses à dire, mais qui pourtant intimait à son cœur de se taire quand on gueulait contre son Dieu.
Celle qui gonflait ses joues de courage tout le long de sa vie ; ainsi ni coups ni larmes ne réussirent à les creuser.
Celle qui m’apprit le pratique ; glisser seulement la moitié de la bouche dans le goulot pour mieux boire, l’essentiel ; aimer les jouets autant que les « vraies » personnes, l’absence ; me privant par la sienne de mon frère de cœur.
Celle qui vivait sur son île dans des pièces minuscules, car elle-même en miniature, y conservait le mieux ses souvenirs.
Celle qui disait avoir été séduite de quelques œillades et de fleurs.
Celle qui, jeune femme, s’amouracha de celui qui ressemblait au personnage du film qu’elle aimait enfant.
Celle qui nous tenait prisonnières le temps d’astiquer le reste de la maison.
Celle qui glissait des billets dans les mains d’enfants qu’elle n’a pas eus.
Celle qui liait ses proches comme les pages de ses romans.
Celle qui passa dans nos vies comme le cygne blanc, son aura et ses légendes, avant de se fixer dans la mémoire familiale comme la trahison du cygne noir.
Celle qui n’oublia pas de rendre l’emprunté Vingt-quatre heures dans la vie d’une femme lorsque l’heure de son homme fut venue.
Celle qui défia sa pudeur pour converser librement avec sa nièce au mariage de sa fille.
Celle qui ressemblait à Jeanne d’Arc, même si les cendres qu’elle foulait n’étaient pas les siennes.
Celle qui creusait le passé pour se réinventer au présent.
Celle qui osa couper les routes du ciel avec un sourire qui lui déchirait le visage.
Celle qui défendait l’art des siestes.
Celle qui était sans tombeau fixe.
Celles qui ont fait croire à leurs histoires, celles qui en inspirent et celles dont elle est issue.

A propos de Alice Diaz

Enfant, veut être litote. Adolescente, passe beaucoup de temps derrière les écrans à créer des mondes et des personnages. Participe à des ateliers d'écriture. Expérimente la photographie. Fière membre du Castor Magazine. Educatrice spécialisée en devenir. Tient un blog où elle cherche à faire signe.

4 commentaires à propos de “Statuettes”

  1. Celle qui osa couper les routes du ciel avec un sourire qui lui déchirait le visage…
    beaucoup d’audacieuses par ici, merci !

  2. « Celle qui osa couper les routes du ciel avec un sourire qui lui déchirait le visage…  » et elle aussi « Celle qui vivait sur son île dans des pièces minuscules, car elle-même en miniature, y conservait le mieux ses souvenirs. » et elle encore « Celle qui gonflait ses joues de courage tout le long de sa vie ; ainsi ni coups ni larmes ne réussirent à les creuser. » Merci Alice