Elle avait cent ans aujourd’hui.

Il avait ri en la voyant, arrêté sur ce visage d’une dame qu’il ne connaissait pas. Pourquoi ris-tu ? Elle avait cent ans aujourd’hui. Il avait ri, parti dans un fou rire, à cause de cette face qui dérangeait le bon goût, qui rappelait le temps, le temps auquel il pensait , vaniteux qu’il était , pouvoir échapper. Elle y était tombée , elle, dans le temps, si bien tombée que l’ecchymose enlaçait son œil . Rouge violacé.

Tu avais cent ans aujourd’hui. Traces impossibles à dissimuler, personne pour t’aider à les cacher, exposée aux regards fuyants  ou insistants, gênés par les sillons trop profonds de ce masque qui résistait à la mort. Tu étais posée là, fauteuil de maison de retraite, bavette autour du cou, bouche ouverte. Salive possible, il fallait prévoir, rendre la vue hygiénique, pour les visiteurs. Montrer que ton visage était pris en charge, malgré les sillons dans lesquels on refusait de plonger la vue.

Vous ne regardez pas, vous placez. Elle était placée, elle et sa face trop cabossée. Immobilité du temps qui avait creusé. On s’apprêtait à creuser la tombe, mais la face résistait, toujours pas crevée, elle avait cent ans aujourd’hui. Bouche ouverte , dents disparues, nez rafistolé, encore tombée, stéri-strip nouvelle génération, rien de tel pour cicatriser. Placé en plein milieu, visage  qui se faisait sens-interdit.  

Oui, ce devrait être interdit de vivre encore avec une gueule pareille. Cent ans aujourd’hui , pas présentable la vieille, mieux vaut la cacher, elle et sa gueule. Avait-elle été belle, une fois ?  Oh oui, sûrement, les paupières étaient affaissées, mais l’œil vivait, il résistait, il suppliait, il ne mentait pas, lui. Peut-être qu’il avait aimé , reluqué, pleuré, bourlingué, boursicoté. Les paupières  affaissées, les cils disparus, mais  au centre, ouvert, l’œil défiait le passant, le visiteur du dimanche, celui qui apporte sa boite de chocolats pour se redorer la conscience. Il avait ri en la voyant. Elle avait cent ans aujourd’hui. Lui, on ne savait pas.

A propos de Marie-Caroline Gallot

Navigue entre lettres et philosophie, lecture et écriture.