#voyages #04 | une nuit d’Arles

C’est une nuit avec l’enfant ( et parce qu’il y avait l’enfant ce serait différent) on se gare sur une place de livraison de la rue principale sous un lampadaire : la poussière de sable comme de la cendre et les moucherons écrasé sur le pare-brise; elle a faim et elle a soif ( sur la route l’air brûlant s’engouffrait avec un bruit de carlingue ); au-dessus d’Arles c’est un fourmillement d’étoiles urticantes, on suffoque sur le trottoir (additionner les voitures les rouges et les noires qui arrivaient en sens inverse, et compter les étoiles et chanter en canon: three blind mice… ) L’enfant me dit qu’elle ne jouera plus à compter les étoiles, jamais elle dit… d’ici, de cette rue qui descend en tournant elles semblent plus grosses. Dans le grand café jaune Il n’y a que des hommes et pas de billard, tous au zinc ils boivent et ils fument (même les doigts amputés, et les poumons en passoire, jusqu’au bout, même sans bouche ils fumeraient, t’avait raconté ce médecin quand tu étais venue chercher les affaires: ses trois petits sacs plastiques, sa vie en sacs qui aurait pu se chanter en canons) ; les tables vitrifiées brun sombre, les bouquets de lavande en tissus et plastique dans des verres à moutarde, la banquette de moleskine à dossier haut où j’assois l’enfant et le distributeur à pistache qui ne distribue que du vide : même pas une tartine ? Il t’apporte des œufs durs et de l’eau à bulles. J’explique que je cherche une chambre, pour une nuit . « Ici dans la ville en juillet et aout tout est complet des mois à l’avance ». Il me donne un numéro — « là-bas des fois »— et ça sonne dans le vide… L’enfant s’est endormie sur la banquette, les miettes de l’œuf sur le poing fermé, le pouce dans la bouche et le front collé de mèches ( …et la nuit s’était remplie d’animaux étranges avec de grands yeux, et ils nous regardaient à travers les vitres de l’auto, et nous étions comme figées dans la lave qui dégouttait du ciel sans souffrance ) puis elle rouvre les yeux, elle voit ce chat sur la terrasse dans les peaux des platanes, les peaux qui desquament et tombent à une lenteur sidérante ( la lèpre ou autre chose) — ce chat je voyais qu’il mourait— et le patron du bar balance un seau d’eau savonneuse, et je crie qu’on ne peut pas faire ça et le corps glisse dans le caniveau… « Viens on va dormir plus loin, là-bas on achètera une glace » je dis à l’enfant… en passant elle dépose les restes de l’œuf dans l’eau savonneuse près de la gueule ouverte du chat ( et certaines qui n’avaient pas d’ailes volaient, et une chose invisible nous berçait ). Je prends une bière, elle un esquimau vanille, il fait froid, c’est presque insupportable ; la femme porte une casquette et une combinaison rouges, « on gèle ici!  » Elle rit : son maquillage comme un masque et ses ongles en violet et noir un sur deux, impeccables; elle demande si je vais loin… « il faut que vous dormiez c’est important, surtout avec l’enfant, sous les arbres là-bas derrière les camions, et elle montre avec son bras, on entend moins le trafic, il faudra verrouiller les portes… moi je pars dans une heure, ici il y aura toujours quelqu’un, on ne ferme jamais ». Là-bas vers les arbres, un homme urine contre un buisson : l’odeur de sa sueur, elle stagne… il siffle l’air d’une chanson italienne que je connais, c’est à cause de ce film avec un enfant dont j’ai oublié le titre : le visage de l’enfant écrasé contre la vitre je le vois… Couchée sur la banquette arrière elle me dit que si la lune reste comme ça à la regarder elle ne dormira pas, je réponds que les animaux que nous voyons s’envoler vont faire une ronde là-haut : « et la lune disparaitra derrière leurs grands corps »… elle s’endort. Je sors. Un routier m’offre une cigarette, il transporte des pneus, il a hâte de rentrer : mes deux enfants, il dit, et ma femme, ils me manquent, une semaine c’est trop long… pour son accent je ne sais pas, espagnol? un chien aboie dans une voiture à côté… J’aperçois la femme de la station service elle porte un casque à présent. Et c’est le bruit de la moto, loin. Et La chaleur ne retombe pas…

A propos de Nathalie Holt

Rêve de peinture. Quarante ans de scénographie plus loin, écrit pour lire et ne photographie pas que son lit.

8 commentaires à propos de “#voyages #04 | une nuit d’Arles”

  1. On se laisse emporter par ce texte, on est dans le café, dans la voiture… et j’aime beaucoup les « dérapages » dans l’imaginaire des parenthèses, et la lune qui regarde.

  2. Est-ce vous ? Est-ce moi ? Vraiment je ne sais pas. Ce que je sais Nathalie HOLT, c’est que votre nuit avec l’enfant me terrifie. A un point tel que je déteste la puissance de votre écriture qui m’emprisonne dans mes propres peurs, me ligature de fragments rassemblés faussement innocents. Et vous me faites être là où je ne veux pas, prisonnier d’angoisses potentielles. Trop forte vous êtes. Et l’on ne peut s’enfuir.

  3. je confirme le commentaire précédent: c’est abominablement étrange et angoissant, magnifiquement étrange et angoissant, ce tourbillon d’images qui nous balade on ne sait pas bien où derrière cet adulte et cet enfant si doux, un peu perdus semble t’il. faire de l’anodin une telle une errance poétique (et vénéneuse?) ahlala…