#40jours #22 | avenue de la plage

premier août il fait beau c’est-à-dire ciel bleu avec nuages en queue de jument —  La Pergola a été repeinte d’un jaune beurre frais durant l’hiver, c’est écœurant ce jaune je préférais les murs blancs les volets vert sapin — les vacanciers arrivent — l’avenue s’anime d’un seul coup, se charge de voitures — on ouvre les maisons, des voix traversent l’espace Dommage ces cirrus c’est signe de pluie — passe une jeune fille athlétique sur un vélo Peugeot bleu, sa petite sœur dans une carriole en bois vert accrochée à l’arrière — passent les pêcheurs à pied leurs bichettes à l’épaule — passe une famille à pulls marins mains nouées dans le dos — passe la belle Mathilde et son ventre rond

jour de grand vent — vol de mouettes suspendues au-dessus des vagues — la ruelle couverte d’une fine couche de sable — un couple se dirige vers la plage, visages fermés, l’homme dos courbé sous son ciré kaki, la femme plus alerte retient un braque argenté qui s’agite au bout de sa laisse — après leur passage le petit voisin se jette dans la rue, par-dessus son pantalon de toile il a enfilé une jupe à volants piquée à sa sœur, il entonne Amoureux solitaires d’une voix nasillarde, il se déhanche en riant — d’autres gamins jouent dans les dunes, on entend leurs cris portés par le vent, la vieille Madeleine apparait sur le perron de la Pergola, agite la cloche pour leur signaler l’heure du repas

soir de quinze août après le feu d’artifice — une chance il n’ait pas plu, l’air est doux on entend la marée qui remonte — le ciel est noir fendu d’une trainée d’étoiles laiteuses  — La Miette, Les Marguerites, La Pergola, chaque maison éclairée de l’intérieur révèle un lambris de bois, une faïence paysanne, un vieux sous plafonnier qui refuse de bouger, Trente ans qu’ils nous la font la blague du feu d’artifice — on entend d’abord les voix des gosses impressionnés, celles plus basses des parents qui se réjouissent de la météo, se lancent poliment l’ultime invitation de l’été — maintenant la cohorte remonte lentement la ruelle, éclairée par les flambeaux que les plus grands portent solennellement

fin d’été, une odeur de pluie, un ciel lourd d’orage fait ressortir le pignon blanc des Marguerites — n’empêche les fenêtres éclairées comme en hiver au-dessus du garage — dans le jardin Robert taille ses rosiers, sa fille balaie la pente sablonneuse avec un râteau à longues dents métalliques — une flaque persiste à réfléchir le ciel, au sud une éclaircie s’annonce — la poissonnière gare son estafette bleu ciel devant La Pergola, les femmes se retrouvent devant l’étal, la poissonnière secoue ses boucles rousses, ses mains pâles attrapent les araignées de mer, elle les emballe dans un journal, tend le paquet à ma mère qui jette au sol sa cigarette, l’écrase négligemment du talon

c’est dimanche en novembre la nuit est tombée — l’avenue calme et froide au dehors, à l’intérieur on s’agite avant dîner — aux Marguerites le salon s’éclaire, le père s’approche de la fenêtre, se penche pour atteindre les volets et les replier, plonge la maison dans un silence immobile — quelques rais lumineux filtrent encore qui redessinent la géométrie de la façade puis plus rien — puis des voix basses, le moteur d’une voiture diesel, des phares — derrière la silhouette noire des Marguerites désertée les lueurs lointaines d’un manoir en surplomb — je guette rien ne bouge, il n’y a que le bruit du vent dans le peuplier, de l’index effacer la condensation qui se forme sur les vitres

A propos de Caroline Diaz

Née un 1er janvier à Alger, enfant voyageuse malgré moi. Formée à la couleur et au motif, plusieurs participations à la revue D’ici là. Je commence à écrire en 2018 en menant un travail à partir de photographies de mon père disparu, aujourd'hui c'est un livre, Comanche. https://lesheurescreuses.net/

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