autobiographies #05 | 4 fois l’arbre

En gras, les restes du premier texte totalement remanié dès la première réécriture qui est là. En italique, des commentaires et des notes qui doivent peut-être s'écrire encore et changer de statut? Bref je ne sais plus si je réécris, si je note ou si je commente, si la note ne doit pas être aussi écriture, je ne sais plus grand chose. A suivre, donc.
  1. Relire le Popol Vuh, récit extraordinaire d’un mystère enflé venu de loin, déformé par quelques moines. Huracan débarque là où seuls existent l’eau et le ciel immobiles, prononce terre, crie lumière, les voilà, puis l’humain, l’arbre, la liane s’élancent en même temps. Pourquoi eux? Pourquoi en même temps? Ne pas tenter des réponses, naviguer dans l’étonnement des questions, mais comment? L’arbre et l’humain existent ensemble, point. Peut-être qu’il n’y a rien à écrire sur la rêverie infinie que suscite ce lien fondateur, la laisser tranquille.
  2. Sentir monter la tentation sociologique et oser une généralité : en vérité, l’humain voudrait être l’arbre, car en tout l’arbre domine. Il monte plus haut, plus longtemps (…), ne change pas de place, ne questionne jamais la sienne, sagesse qui force le respect et la jalousie. Pour marquer sa domination malgré tout, peut-être pour fusionner avec ces qualités qui lui manquent, l’humain envieux s’approprie donc un arbre ou l’embauche à son service : voilà mon arbre, dit-il tranquillement. Il le visite, le caresse, passe du temps à ses côtés. On n’a jamais vu aucun arbre dire voilà mon humain, ou dire oui je le veux lorsqu’une femme anglo-saxonne célèbre son mariage avec lui. Elle a enfilé une robe blanche, invité un prêtre, ses amis, sabré le champagne, la voilà mariée. L’arbre est toujours masculin, d’ailleurs. Qu’en dire, sinon que la fleur, elle, est souvent féminine? Dans certains villages indiens, la tradition impose aux jeunes filles d’épouser un manguier qui les protègera durant toute leur vie de famille. Il y a peut-être ici davantage de respect: se placer sous l’égide d’un arbre, ce n’est pas tout à fait le posséder, même si c’est lui imposer une responsabilité, une mission que le brin d’herbe ne saurait remplir. L’arbre est fort, solide, stable. Quel humain ne cherche pas ces qualités?
  3. Déplier encore l’étonnante docilité de l’arbre face à l’humain. Aucun arbre ne semble se défendre avant d’être abattu, aucun arbre ne doit s’apprivoiser avant d’y suspende un hamac, d’y construire une cabane, d’y grimper. Il n’est qualifié de sauvage que s’il pousse à la diable, sans qu’un humain ne l’ait planté. Foncièrement consentant, il est aussi généreux, aide l’humain à respirer, à se rafraichir, son fruit, son écorce, sa sève, son bois le nourrissent, l’abritent, le soignent, du berceau à la tombe. L’ours, lui, s’y gratte, sûr de ne pas le casser. Pourquoi cet abandon de l’arbre à l’homme parait-il si banal? Pourquoi ne pas oser écrire juste après: au fait, que donne l’humain à l’arbre? Pourquoi l’idée même de réciprocité, d’échange ou même de négociation parait-elle naïve voire idiote? L’écriture reste coincée là. 
  4. Se souvenir d’une grand-mère presque centenaire qui n’utilise jamais la troisième personne du singulier en parlant des arbres: « ça a au moins 200 ans ça ». Elle mourra bientôt là où galopent ses racines, comme le cèdre au milieu de son village. L’entendre encore demander aux enfants de ne pas stationner longtemps à l’ombre du figuier sous peine d’attraper une migraine. Car chaque ombre d’arbre a un effet sur l’humain : celle du tilleul rafraîchit et détend, celle du platane irrite les yeux, celle du citronnier tâche la peau… Certains arbres, selon elle, sont importunés par la proximité de l’humain, alors ils se défendent, et d’autres, plus amicaux, font du bien. Sa descendance ricane, appelle ce savoir croyance. 

A propos de Lisa DIEZ

Chercheuse polyvalente, sorte d'artiste tout-terrain. Valises posées depuis 5 ans dans les arts de la scène. Passages par la peinture, la réalisation documentaire, la photo, la médiation artistique… et l’écriture, soutien fidèle de ces nombreuses traversées. Deux sites : www.soinartistique.fr (Collectif ALS) et www.atelierdiez.com (vrac et chantiers).