#voyages #06 | Te le dire à toi

Arrivée à Claetimin’hs. Bien différente de mes débarquements successifs à Paris, Amsterdam, Bruxelles, Ljubljana, Dubrovnik, Lisbonne, Rome, Riga, Sofia ou Madrid, collection de capitales qui ont toutes leur charme, leurs ruines, leurs vestiges, leurs quartiers Art Nouveau, leurs tramways, leurs coupe-gorges supposés, leurs plages, leurs terrains vagues, leurs musées, leurs églises, basiliques, monastères, leurs bars, leurs terrasses où l’on finit toujours par terminer la journée et d’où on prend la photo que l’on partage aussitôt. Que l’UNITED BUDDY BEARS, fraichement débarquée de Berlin avec ses cent-cinquante ursidés de résine bariolée m’ait fait fête à Riga, que le tramway 26 ait été en maintenance pendant mon séjour pluvieux à Lisbonne, que j’aie arpenté les rues de Rome à en être épuisée, t’importe peu. Tu rechignes, toi, aux voyages trop attendus, trop en gare, en terminal, trop à l’heure, trop réservés, loués, planifiés. Ta vérité est ailleurs et ce qu’il y a à voir et à savoir des lieux n’est pas forcément sur place. Tu m’as souvent écoutée dérouler le récit des jours passés dans un là-bas ou un autre sans que ton attention ni ton cœur n’en aient été chavirés.


Claetimin’hs. Une goutte d’eau sur ma carte mentale. Une pure invention. Cela en fait-il forcément une perle ? Tu es très attentive et tu as déjà remarqué que le nom de cette ville était l’anagramme du mien. Tu t’éveilles. Y aurait-il un lien ?  Là où je vois s’ouvrir toutes grandes les portes du hasard, tu dis que la coïncidence est impossible. Elle est extraordinaire cette faculté que tu as, toi, de voyager, sans avoir besoin de mettre en branle ni les bagages, ni l’itinéraire. Le transport se lit derrière tes paupières, après une lecture, une projection, une imprégnation. Lorsque tu fermes les yeux, l’univers t’appartient. La planète et au-delà.
La ville dont je te parle est-elle de béton ou de verre, s’étale-t-elle en bord de mer, en altitude, est-elle prête à basculer ? Pour se perdre dans quelles abysses ? Depuis ses terrasses suspendues, ressent-on un inouï vertige ? Est-ce une cité lacustre, y a-t-on les pieds dans l’eau ? Sous ses ponts, ses galeries et dans ses arcanes, la langue qu’on parle m’est-elle inconnue ? Est-ce que les corps se frôlent, est-ce que les corps se cherchent, forment couples, forment groupes ? Au-delà des derniers murs, la terre est-elle vierge ?

La ville dont je te parle pourrait être le début du voyage, sa page blanche. Sans la voir, je la saisis, sans la savoir je la désire.

A propos de Elisabeth Saint-Michel

C'est ma quatrième ( cinquième?) participation aux ateliers proposés par François Bon. Je trouve cela particulièrement énergisant. J'anime moi-même des ateliers d'écriture à Villeneuve d'Ascq (Hauts de France) au sein de l'association Filigrane. Je suis aussi enseignante auprès de jeunes enfants porteurs de handicap. Côté écriture personnelle, j'ai publié deux romans et deux recueils de nouvelles dont le dernier, "disparaître ici" est sorti en mars 2021.