#enfances #02 | armoires à secrets (l’intimité)

elle aurait été fouilleuse de longue date. fouilleuse très indiscrète, sans que ne la flatte jamais la moindre once de culpabilité. il y en eut, enfant, des armoires, des placards, des tiroirs qu’elle fouilla. on ne sait pas par lequel commencer.

la garde-robe de ses parents, les pièces suspendues qu’elle parcourt d’abord debout, elle ne s’intéresse qu’au côté droit, le côté de sa mère, ensuite s’accroupit pour, sur le plancher du meuble, découvrir les boîtes de chaussettes, de bas, de collants fins aux couleurs chair, et enfin les slips et les soutien-gorge de sa mère. peut-être, certainement n’a-t-elle jamais tenu semblable vêtement en main, jamais tenu, jamais vu. chacune des pièces dépliées, examinées, tâtées, étirées, retournées. avec les sous-vêtements elle éprouve une sorte de stupéfaction qu’elle ne parvient pas à qualifier davantage. assurément surprise. d’ailleurs n’est-ce une infraction qu’elle commet, cette fois cela l’effleure, un attentat à la pudeur, de sa mère, une effraction de son intimité. aucun souvenir des slips du père, seules les affaires de sa mère l’intéressaient. à ce moment-là, elle grandit. d’où l’absence de culpabilité. comme si grandir se faisait au prix de quelque forçage.

est-ce alors que sa mère consentira, dans un sourire qu’elle revoit, d’une infinie douceur, à ce qu’elles aillent ensemble lui acheter un soutien-gorge, est-ce qu’elle le lui aura alors demandé.

une autre fois, c’est dans le tiroir d’une commode dans l’atelier de son père qu’elle fouine. entre les carnets de dessin, les fardes, les boîtes à fusain, les pinceaux, mais comment, mais pourquoi. la vieille bible à la couverture cuir usé. cette curiosité. elle aura eu raison, puis qu’il y eut un moment où elle tira à elle un paquet soigneusement ficelé de papiers, d’enveloppes, qu’elle eut l’audace de dénouer pour découvrir alors toute une correspondance de son père adressée à sa mère – étrange, au fond, les lettres du père dans l’atelier du père, elle ne trouvera jamais les lettres de la mère. la correspondance qui précéda leur rencontre (qui présida à leur rencontre). elle ouvre les lettres, et lentement comprend. une fois encore, comment n’a-t-elle pas craint d’être surprise. il s’agissait de la correspondance de deux personnes qui s’étaient rencontrées suite à des petites annonces publiées dans un journal. il y a l’amour de sa mère, il y a les doutes de mon père, qui lui parle d’une autre femme, une allemande, Gisèle, qu’il va finalement rencontrer, revoir, afin de « se décider », son choix, ensuite, pour la mère. Blanche se souvient de tout ça, qu’elle n’a jamais oublié. aujourd’hui encore elle cherche méthodiquement dans les armoires espérant retrouver ce paquet qu’elle avait ensuite reficelé.

le saugrenu c’est, qu’adulte, elle croit – elle – à la discrétion des autres, discrétion qu’elle considère d’ailleurs comme absolument exigible, fondamentale. tandis qu’il est possible que cette curiosité se soit finalement apaisée, qu’elle ait trouvé son content, et qu’elle n’ait jamais concerné que les affaires de ses parents, de sa mère tout spécialement. elle pense qu’il n’y aucune armoire, aucune pièce qu’elle ne fouilla, de la maison de ses parents. ces explorations, qui allèrent de la cave au grenier, en passant par la bibliothèque, la marquèrent durablement, et revinrent souvent dans ses rêves.

apprendre ce qui n’était pas dit. aussi de ses mains approcher l’impalpable. certainement transgresser les limites de l’intimité, comme si cela était son dû, mais dû également à son propre secret.

dans le placard du palier au niveau de la chambre de ses parents : la robe de mariée de sa mère, toute simple, courte. des robes et des chaussures d’une élégance rare, dont elle ne vit jamais sa mère revêtue, un tailleur Chanel, un sac Hermès en cuir noir (un Kelly). plusieurs petites paires de gants en cuir fin. une extraordinaire petite robe noire. une adorable veste blanche matelassée. cette femme qu’elle n’avait pas connue. elle a quinze ans, elle essaie les vêtements de sa mère. elle est belle dans les vêtements de sa mère belle.

elle se souvient encore du grand tiroir plusieurs fois exploré de la grande armoire 1642 du salon, l’immense buffet à deux corps en bois sculpté ceint d’un tiroir qui parcourait sa longueur. rien d’intéressant là-dedans. sinon toutes ces petites choses appartenant à l’ordre de sa mère. ordre qui s’est maintenu jusqu’il y a peu, sa mère avec l’alzheimer, oubliant petit à petit cet ordre par elle accordé et préservé à tant de choses plus ou moins menues. aucun fouillis, alors, dans aucun tiroir, tous si soigneusement rangés. aucun objet dans la maison entré qui ne se voit par sa mère une place assignée. sauf, bien sûr, à leur objets à eux, les enfants, ils étaient libres. par son travail incessant, leur mère les préservait du chaos. se préservait du chaos.

A propos de véronique müller

même si je perds le fil, je m'en sors plutôt bien mal.

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