#enfances #09 | de trois chambres

Une pièce de taille moyenne, peinte de gris très pale. Quand on tourne le dos à la porte fenêtre, haute et assez étroite, qui ouvre sur un balcon régnant entre une avancée jusqu’à l’aplomb du rez-de-chaussée, deux ou trois étages en dessous, et la porte fenêtre un peu plus grande de la pièce voisine, la porte peinte en jaune qui mène à la grande pièce voisine s’ouvre à droite et un rideau gris coulissant sur une poutre de bois clair peut fermer l’accès au petit local – lavabo, douche, toilette – peint d’un ocre presque du même ton que celui de la façade occupant l’avancée sur laquelle bute le balcon. Appuyé au mur du fond, sous un grand crucifix inscrit au milieu d’un lit de coquillages entouré d’un cadre de bois noir, un grand lit avance vers la porte fenêtre, le ciel immense, au dessus de toits de tuiles et un bout de mer, occupant en gros la moitié de la profondeur de la pièce. Il est recouvert d’une couverture kabyle qui aligne de petites rangées de motifs tissés sur des bandes étroites, bleues, roses, vertes. A droite du lit une table basse, portant un petit casier à livres de bois ciré et une lampe de chevet à l’abat jour de paille. A gauche, posé sur un tréteau en bois blanc légèrement doré par l’âge, son moïse aux fins draps de linon brodé, le moïse est un prêt de l’impressionnante dame aux chemisiers de crêpe de couleur tendre et aux maigres mains portant bagues en toutes circonstances qui s’est improvisée grand-mère et marraine de remplacement, la guerre interrompant les liens physiques. Les draps, du moins les plus beaux, sont son cadeau. La pièce ne contient rien d’autre, à l’exception d’une natte, d’un fauteuil carré au dos basculant, armature et accoudoirs de bois clair, siège et dos recouverts de paille épaisse, d’une table entre porte fenêtre et rideau gris, et d’une armoire en pitchpin alliant penderie et une rangée de tiroirs. Il n’y a pas de rideaux, juste des persiennes dont la peinture originairement vert clair porte traces de l’humidité de la mer proche.

Une très grande pièce presque carrée, peinte en blanc cassé. Au milieu du mur de gauche une double porte à imposte vitrée s’ouvre sur le hall. Face à elle deux fenêtres donnant sur le mur de ciment, la broussaille, un figuier et la terre battue – le retour du jardin menant à une petite porte métallique dans le mur de clôture. Perpendiculaires au mur de droite sont alignés trois lits, le plus près, le plus grand, un « vrai » lit ou petit divan est celui de l’aînée, le sien, le suivant est un ancien lit à barreaux en bois ciré dont on a enlevé un grand côté maintenant que la seconde fille est autonome, le dernier, pour la troisième, de même fabrication et même taille que le précédent mais il a conservé tous ses barreaux. Un petit vide ensuite permet d’accéder à un rayonnage de bois peint en bleu clair et de s’asseoir devant pour jouer en paix ou lire. La table basse circulaire au centre de la pièce et deux des petites chaises sont comme le rayonnage en bois peint en bleu, comme l’armoire penderie et la colonne de tiroir | sur les portes ont été peintes par l’atelier artisanal d’où sortent tous ces meubles accessoires des fleurs d’un vert improbable | appuyée au mur de gauche près de la porte une petite penderie fermée d’un rideau blanc, précédant un grand coffre d’osier du couvercle duquel, toujours ouvert sauf la nuit, dépassent en désordre des bouts de tissu, des jambes de bois, des jouets variés. Entre le coffre et le mur sur le jardin, dans le coin, se trouve ordinairement le dernier petit lit, tout petit, métallique, gainé de coton fleuri, sur roulettes pour pouvoir le faire voyager jusqu’à la chambre des parents.

Une sidération en découvrant la chambre au bout de l’aile gauche | à l’arrivée de la longue galerie ponctuée de gravures sans intérêt et de bancs qui auraient évoqué le couloir d’une administration s’il n’y avait eu les deux grandes jardinières et les rideaux d’un rouge éclatant assez surprenant dans cette ambiance qui leur faisaient face | qu’on lui avait attribuée, si grande que ni les meubles massifs ni le papier peint fourmillant de grandes fleurs brunes et noires entrelacées sur un fond tabac n’arrivaient à lui donner un aspect étouffant, encombré. Peut-être était-ce la lumière pourtant assez pauvre venant de la haute fenêtre s’ouvrant, dans le mur de droite, sur la terrasse, le parterre de gazon, face à sa sœur jumelle surplombant l’extrémité de la cour d’entrée et l’accès à la cuisine et à ses dépendances dont le spectacle, le semblant de vie, devait l’attacher dans les jours suivants. Appuyés au mur du fond, mur pignon, aveugle, deux massifs lits dont la tête à la hauteur impressionnante, les hauts pieds étaient d’un lourd bois peint au noir.La femme joviale qui arrivait les bras chargés de draps lui demanda lequel elle choisissait en se dirigeant vers celui de droite et, transie par la froideur de l’accueil de la maîtresse de maison, oppressée par la taille des meubles et de la pièce, elle faillit la détourner vers celui côté cour, juste pour marquer son indépendance, mais la chaleur du sourire, la lueur provenant du jardin, lui firent accepter la suggestion. Au surplus la pièce contenait deux petites tables de nuit noires à côté des lits, une grande, lourde et assez laide commode tombeau dix-neuvième à droite de la porte et, à gauche, une grande et raide armoire faisant office de penderie, sur le plancher de laquelle, elle le découvrirait les jours suivants, étaient posées trois piles de livres d’enfants de tous âges, une grande table basse circulaire au plateau de marbre gris, comme un grand guéridon dont on aurait coupé les pieds, deux tabourets d’enfants en paille et trois chaises dorées évoquant la salle de musique d’un vieil hôtel de ville d’eau ainsi qu’un grand cadre aux moulures et ornements sculptés peints en gris entre les deux lits et un petit miroir entouré de bambou accroché au dessus de la commode, bien trop haut pour que son visage s’y dessine. La couchette lui arrivait un peu au dessus de la taille et lui lançait un défi.

Codicile

un rien laborieux désolée… assez peu autobiographique comme demandé, d’autant que j’ai pensé à des réactions à des chambres occupées mais avec distances du temps telles que j’ai dû les ré-inventer mais comme, sans dire le contexte (d’ailleurs flou), j’avais besoin pour décrire de les centrer sur l’enfant les habitant j’au eu recours, un peu idiotement sans doute, à la troisième personne.

A propos de Brigitte Célérier

une des légendes du blog au quotidien, nous sommes très honorés de sa présence ici – à suivre notamment, dans sa ville d'Avignon, au moment du festival... voir son blog, s'abonner, commenter : Paumée.

8 commentaires à propos de “#enfances #09 | de trois chambres”

  1. lieux tous les 3 impressionnants, chacun à sa manière.
    l’extraordinaire crucifix sur son lit de coquillage et dans son cadre noir de la première chambre. « son » moïse aux jolis draps à gauche du lit, la proximité de la mer. la mer, une forme d’isolement et la guerre.
    dans la deuxième chambre, émue, à la vue des trois lits voisins si joliment décrits, les lits et leurs occupantes… une belle pièce claire et spacieuse. un quatrième tout petit lit, encore, dans un coin, sur roulettes…
    spectaculaire troisième chambre, dont je me suis d’abord demandée s’il s’agissait d’une chambre d’hôte. avec l’un de ces lits si hauts (comme ceux que j’avais moi même découverts dans un lit en angleterre). ensuite, pensé qu’il s’agissait peut-être d’une chambre de pensionnat…

  2. du mal à renter dans cette chambre 1
    et puis l’impressionnante perspective qui se dessine sur la mer me happe (la couverture kabyle m’entraîne à croire que c’est la Méditerranée)
    j’apprécie la distance, le détachement, l’usage de l’impersonnel

    chaque chambre est un petit voyage

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