hors-série #voix | cette voix

Cette voix. Coupure de la nuit des temps.

D’écrire cette voix, sa voix, et s’oublier pour faire place nette à l’extérieur. Sans retour sur son timbre retenu. L’écho de cette voix immense. Cette voix rauque, timbre cousu au fil de l’aiguille, finement brodé dans une étoffe à déchirer, parvenue sèche à l’âge adulte. Respiration sifflante. Voix essoufflée. Voix d’absence quand elle était au téléphone. Toute fenêtre ouverte sur le monde, et moi assis devant à écouter sa voix parler à toute allure, ricocher, reprendre souffle, se faisant entendre à le taire, quand elle trouvait les mots pour se défendre. Aussi, entendre cette voix violente, parce que pleine de gravité, de ruches, de galeries, où le chagrin est si abyssal qu’on s’en recule d’écoute. Loin des bords toujours. Et pourtant la voix qui déborde, démesurée, dans l’insensé des harmonies, hors du dedans même du corps. De quel lieu serait cette voix ? Qui ne s’entend ni ne s’écoute qu’à bout de forces. Cette parole nue. Corps de pensées, tendu entre deux cordes, avec la peau pour résonance. Écrire cette voix. Sa voix. Et comme respirer ce petit air de tabac froid qui accompagnait déjà les sons enroués – les glaviots de la mémoire. Désert de cette voix donc, et le corps forcément, qui se fait entendre et qui permet d’accéder aux limites de l’insensé du timbre. Alors voix oubliées, voix étrangères au cœur de mes tympans, voix perdues, fermées à double tour, et qu’on appelle en cris. Déchirure dans ma voix qui dit autant l’angoisse de leur gémellité que de leur discordance. L’intolérable silence dans la voix de l’écroulé. Parent pauvre de la voix hallucinée, mais n’en n’ayant ni l’étoffe ni la texture. Folie de cette troisième voix qui se substitue à la mienne. Cette voix, coupure de la nuit des temps, qu’on ne peut donc entendre sans l’émergence soudaine du gel de la parole.


A propos de Camille Bréchaire

Camille Bréchaire vit et enseigne la littérature à Angoulême. Il lit et écrit dès qu’il le peut.

5 commentaires à propos de “hors-série #voix | cette voix”

    • Avec plaisir pour le partage ! Oui j’ai tout de suite pensé à ce bouquin quand Emmanuelle nous a demandé d’écrire une voix. Avec cet incipit très fort qui m’avait fait forte impression à l’époque de sa découverte. Et puis cette notion de raccord manquant qui revient sans cesse. Et le titre, cette voix, je suis parti de ça pour développer le texte. Titre trouvé au hasard d’un vide grenier je crois, il y a une dizaine d’années. Merci d’être passé dans le coin.

  1. Riche déclinaison. Même si je ne connais pas Pinget. Voix grave, émanant d’un oubli pesant. Merci.

    • Merci Jean-Luc d’avoir pris le temps de me lire malgré l’émulation actuelle sur le TL. Oui voix oubliées qui se superposent en quelque sorte. Si tu ne connais pas Pinget, je te conseille de lire ce livre, ça saisit dès l’incipit ! A bientôt.

  2. J’ai écouté directement. C’est très dense, alors ça donne envie de lire ensuite parce que de nombreuses images retiennent l’oreille et font prendre du retard sur le débit, qui chahute, du coup par coup. Voix très différente de celle de ta sentimenthèque, que j’ai enfin écouté hier à l’occasion d’un long trajet en voiture. La prise de son, oui, mais la voix aussi, autrement plus présente. En t’entendant je me dis que le stade d’après consisterait à décrire la nôtre, de voix.