#L10 | L’écheveau du sort

Une ville illuminée entrevue une nuit, des bulles d’air colorées traversées de lumière ainsi qu’une nuée de lampions, les coques de phryganes toutes d’or et de pierres précieuses reposent telles des sépulcres, des corps chimères, mi peau mi cartilage, des insectes volants aux ailes déployées marchant au fond de l’eau, ville de carnaval, subaquatique, ville lumière, ville à fonder.
#P8 | La maladive exhalaison ou Le dytique(2)

Sur le sable, algues et racines enchevêtrées et la lumière qui vient du haut. Il marche sur le fond, sur le sol, sur le fond du marais. Son pied s’enfonce. Un nuage d’argile, un nuage de poussière s’élève dans l’eau, mais est-ce qu’il s’élève au fond, ou est-ce qu’il s’enfonce ? Les contours des choses autrefois si nets soudain s’atténuent. La lumière traverse des nuages de poussières. Les rais se diffractent ou plutôt, se diluent, la lumière traverse, et traversant, se perd et s’égare, chevauche des particules un peu plus solides que l’eau, et s’enlise, comme la jambe, comme le pied, la patte. S’enlise… non… traverse, s’efforce alors, non plus. Une intention nette puis la buée, le halos, le nimbe, une intention droite, et la courbe, l’onde, et la lumière ondoyant, s’étalant, disons traversant, auréole, nimbe les contours floutés des algues d’un halos vert et doré. C’est que les contours de toute chose ici deviennent flous. Autour des algues, autour des racines, des excroissances moussues, soyeuses, rayonnent, ondulent en mouvements lents, mouvement doré ondulant de toute chose, chatoyant, non moiré peut-être non plus, mordoré oui, vert et mordoré, des couleurs, des teintes au fond de l’eau vives et dorées mais noires également, obscures, intenses, irisées non, profondes et sonores, d’une sonorité grave, des couleurs graves comme des sons, avec cette intensité, dense, impénétrable de la couleur au fond d’un tableau,ou plutôt à la surface d’une fresque, couleur de ces étoffes de certaines peintures médiévales, ces étoffes aussi dans les églises, ces étoffes sur des parois autrefois faiblement éclairées, éclairées à la flamme, presque invisibles et chatoyantes alors sous la lueur des chandeliers, sous l’œil terrifié ou émerveillé ou halluciné d’hommes et femmes assis sur des bancs, le regard parfois errant sur les parois et dans l’église le son lent des psaumes, le son grave des psaumes, la litanie de paroles en latin, cryptiques et ces couleurs qui chatoient, le tremblement au plafond sur les voûtes les parois, le tremblement de ces étoffes aux couleurs indéfinissables habillant ces êtres au regard figé, on dit hiératique, des couleurs sombres, on dit pourpre, on dit mordoré… De telles couleurs qui se dévoilent un instant dans les eaux du marais alors que son pied se pose au fond et que d’un mouvement gracieux, il rebondit et s’élance et nage à travers l’onde, des mouvements de propulsion réguliers, rapides, rythmés et qui pourtant dans cette élasticité propre à l’eau et à lui propre également paraissent lents, comme immobiles comme en résonance parfaite avec la vibration invisible du marais, un mouvement vif, précis, immobile pourtant, comme si cette atténuation des contours, cette iridescence, non cette imprécision, ce chatoiement des couleurs débordaient, se diffusaient au mouvement, à toute forme de mouvement au fond du marais, à la fois saccadé, vif et immobile, une lenteur indéfinissable, des mouvements là figés, aussi figés que ces visages aux teintes changeantes à la lueur des flambeaux, une scène au fond du marais, une scène figée alors, figée alors dans le temps, un tableau traversant les siècles, et la silhouette de cet homme, cet animal, cet être indéfinissable, se figeant, se diluant alors dans le temps, prenant la figure, les contours imprécis d’un symbole, voire d’une trace, d’une empreinte ancienne. L’homme, l’animal, l’être indéfinissable rêve, rêve de bâtir et de tisser, et la pierre, au fond de l’eau comme les fils, se défont, se désagrègent, le rouet tourne en sens inverse et la torsade bien étirée, la bobine se désenroule, de ses doigts malhabiles alors chutent de longs brins de soie brute qui frisottent et s’emmêlent.

A propos de Marion T.

Après tout : et pourquoi pas ?