#L11 | l’esquive

Regarde comme c’est curieux… quelqu’un dont on sait rien, ni le nom, ni d’où il vient. Pas son âge non plus, pas son travail, pas ses amis. Rien sinon qu’il marche à petits pas pressés dans la ville irisée. Grise de ses immeubles, de son goudron, de son bruit sourd et continu, de ses lumières qui givrent l’oeil. Regarde le marcher. Tout s’agite autour de lui mais il a l’air de n’entendre rien, de ne rien voir de ce qui l’entoure. Non, pour lui pas de trottoirs encombrés d’une foule, par endroits si compacte. Gens affairés ou déambulant. Non, pour lui pas de voix diffuses dont les sons quelquefois se précisent puis se diluent parmi les autres, de bruits de moteurs, voitures qui accélèrent ou au contraire, freinent brusquement. La ville bat sa cadence. A toute allure. Mais lui. Regarde-le trottiner à petits pas comptés menus ignorant ce brouhaha loufoque, hirsute, cette vie tentaculaire. Il ne prête aucune attention à cette frénésie ambiante. Il paraît avoir comme une cécité pour ce qui l’entoure. Un trouble d’observance. Il est là, dans cette ville cyclope et ne regarde rien de précis, ne s’attarde sur rien. Tout droit devant lui, il va. Il marche suavement, sans se précipiter ni lambiner. Non pas qu’il soit tout à fait absent, non. Il ne paraît pas du tout non plus timide à l’extrême, non. Un sourire confiant l’atteste. Ses habits de coupe citadine lui donnent une allure décontractée, ses cheveux qu’il porte jusque dans le cou ne le distinguent pas des autres garçons de son âge. Mais il intrigue. Ce qui intrigue, c’est finalement, ce sourire constant à peine esquivé que l’on devine plus qu’on ne le voit et qui ne le quitte pas. Qui affleure. Il s’apprête à prendre le funiculaire. Il habite sur les hauteurs.

A propos de Louise George

Diverses professions et celles liées au "livre" comme constantes.