#L4 Ma sentimenthèque

De la comtesse de Ségur, caresser sous la couverture tissée de vieux rose , les gravures salies par des petits doigts sucrés, deviner dans les taches de moisissures autant d’histoires que dans un nuage, ne pas se dispenser de lire parce qu’il n’y a que ça, que ça, que ça, dans les rayons de la bibliothèque : l’objet.  

De Jules Verne, lire la description mécanique, accepter l’ennui et dans le fatras de métal qui coupe et rase, tourner les pages jusqu’à… apprendre qu’un homme peut pleurer, lui aussi, et que ça lui fait du bien, à lui aussi. Tout serait donc possible.

D’Arthur Rimbaud, aimer le voyant à l’âge du devenir sorcière, tracer des poèmes à l’encre violette, découvrir que l’adolescence c’est la pulsion de mort, c’est la nécessité de vivre derrière le khôl qui fait de grands yeux et dégouline d’espérances. Quand je serai grande, je serai poète, je dis. Depuis, il y a eu poussière.

De Léon Tolstoi, se composer une famille, vivre une saga, une passion sur fond de guerre, une autre que celle qu’ils racontent sans cesse, humer la sueur du cheval, se laisser porter par l’amour, l’amour… 

De Franz Kafka écrire le cauchemar de l’intérieur dedans sa tête, aucune sortie, aucune alternative, impasse, oreille qui bourdonne, tête qui serre. 

De Samuel Beckett, goûter la neutralité, renouer avec l’essentiel du mot qui pèse son poids, souligner l’absurdité du problème, dire point, c’est tout. 

De William Faulkner, s’immiscer dans un monologue intérieur, dans un temps qui s’étire, se compresse, se tord, bousculer la respiration, s’interdire de raconter des histoires, prendre l’histoire au pied de chaque mot, de chaque phrase, danser dans le tourbillon des temps, être « maintenant, bientôt ».

De Malcom Lowry, se noyer dans la bouteille de mezcal, tanguer dans les brumes de la lenteur, plonger dans une introspection immersive, se dissoudre dans l’ivresse d’une musique répétitive, impossibilité d’y échapper. Ah quoi bon ? nulle part où aller sur terre. Philip Glass on the rocks.

De Raymond Carver, bâtir la nouvelle en roman lapidaire, sténographier la vie, être rapide, clair, efficace, être la douleur, l’amour, la séparation, être tous sans pathos, viser le réel sans fulgurance, peindre à la manière d’ Edward Hopper. 

De Marguerite Duras, s’insérer dans les silences, se dessiner en points de suspension, lutter contre l’oubli, travailler la mémoire, être une femme, elle, être elle, être tu, s’engouffrer dans sa liberté de dire, être ravie.

De Julien Gracq, prendre la liberté de ne pas comprendre ce qu’il écrit, avoir la liberté de ne pas être lui, naviguer dans son abstraction et se raconter sa propre histoire avec style. Entrez dans mon rêve, venez…

De Yoko Ogowa, accumuler les silences en matelas de coton, découvrir les objets parleurs, frôler la science-fiction, être poésie, s’envoler là-bas, loin. Aux confins de la lecture, un nouveau continent à explorer. 

Et soudain je me demande pourquoi j’ai oublié Truman Capote.

A propos de George H

Journaliste, podcasteuse et animatrice d'ateliers d'écriture, j'aime marier réel et poésie, voix et théâtre. J'espère toujours écrire le Livre, mais le temps passe et presse-citron. Il me faut aller jusqu'au bout... Je compte sur moi et aussi sur l'énergie du Tiers Livre. Un site ? Oui, pourquoi pas : https://www.son-d-encre.com/