L4. Sentimenthèque

« En citant les autres, nous nous citons nous mêmes » Julio Cortazar.

  • Frère d’âme de David Diop : L’ai lu et relu à voix haute, publiquement, ces deux dernières années, sur les terres du Nord de la France, sur les terres des tranchées de la guerre 14-18. A travers ma voix, l’histoire de cet homme qui regarde mourir son ami/frère sur ses genoux qui ne cesse de le supplier de l’achever, dans mon coeur, l’émotion de ce phrasé poétique et sombre et sous mes pieds, les champs où les cadavres furent enterrés. « Je sais, j’ai compris, je n’aurai pas dû. Par la vérité de Dieu. Lui Mademba n’était pas encore mort qu’il avait déjà le dedans du corps dehors, ma main droite dans sa main (..) »
  • A la ligne de Joseph Pontus : Parce que l’homme qui a écrit ce livre vient de mourir en février 2021 à l’âge de 42 ans après avoir publié ce premier roman, fait hypokhâgne, et pour des raisons sentimentales et personnelles, travaillé deux années dans des abattoirs en Bretagne tout en écrivant cette histoire. Parce que le récit est beau et puissant, parce que le mouvement de son corps sous la dureté du travail ne fait qu’un avec la beauté de son esprit et de son intellect qu’il jette sur ces feuilles de papier à ses heures perdues. Parce que l’artiste/homme est à l’image fidèle à son récit, parce qu’il m’a touché en plein coeur.
  • Réparer les vivants de Maylis de Kerangal : J’avais abandonné ma première lecture de cet ouvrage mais avait emmené ma famille le voir au théâtre de la Villette à Paris sous la forme d’un monologue accompagné par un batteur. Et les mots écrits parlés à voix haute m’avaient pénétrés faisant jaillir l’émotion du récit et l’intensité de l’histoire. Je l’avais aussitôt relu en rentrant chez moi et il ne m’a, depuis, plus jamais quitté. Il est celui de Maylis que je préfère, aucun n’autre ne m’a fait cet effet. Les mots à voix haute par ce comédien….
  • Le nouvel esprit du capitalisme de Luc Boltanski et Eve Chapellio : Plusieurs années maintenant que je tente de lire et finir ce livre de 900 pages dont je comprend les mots, parfois le sens, mais me heurte continuellement à la véritable compréhension et doit tout reprendre depuis le début. Un enfer ! Mais un livre qu’il me faut achever absolument.
  • Qui a tué mon père et tous les livres d’Edouard Louis : J’ai beaucoup d’amour pour Edouard Louis, sa vie, sa vision, son arrachement à cette terre du Nord, à sa famille pour fuir et se trouver sur les terres parisiennes. Le nord, un territoire dans lequel j’aime travailler.
  • Fief de David Lopez et 77 de Marin Fouqué : Je triche un peu, j’en mets deux en même temps. Deux récits du territoire dans lequel je vis et où je retrouve derrière les mots, des scènes du quotidien, des sensations qui émergent. A quelques kilomètres de Paris, on n’est plus à Paris, on est même pas des néo-ruraux, on est un entre-deux.
  • Une femme avec personne dedans de Chloé Delaume : Parce que j’ai eu la chance de travailler avec elle, parce qu’elle est pareille à ses livres et mieux encore, parce qu’elle expérimente l’écriture et m’a laissé libre de chercher la mienne, parce que ce titre est juste trop beau ou complètement terrible, parce que j’aime ses bien chères soeurs aussi.
  • King kong théorie de Virginie Despentes : Une parole sur les femmes et sur les hommes à laquelle j’adhère, je comprends, et dont j’entends la profondeur.
  • L’insurrection qui vient du comité invisible : La maison d’édition La Fabrique est un petit bijou de livres, d’essais, pointus sur la société et le monde. Le comité invisible est un collectif anonyme dont j’aime les propos et la provocation. A lire aussi : Maintenant.
  • J’en suis à 10 mais je n’ai pas eu le temps de citer Annie Ernaux, Pierre Michon, Julien Grach, Svetlana Alexievitch, Benoit Coquard, Rimbaud, Michel Serres et tant d’autres.

CODICILLE

Je saute dans le train en marche et ne suis pas certaine d’arriver à tout rattraper mais avance à mon rythme et selon ma compréhension. Tout ne sera donc pas dans l’ordre et peut-être pas saisi dans sa justesse, mais la nage a démarré….

A propos de Clarence Massiani

J'entre au théâtre dès l'adolescence afin de me donner la parole et dire celle des autres. Je m'aventure au cinéma et à la télévision puis explore l'art de la narration et du collectage de la parole- Depuis 25 ans, je donne corps et voix à tous ces mots à travers des performances, spectacles et écritures littéraires. Publie dans la revue Nectart N°11 en juin 2020 : "l'art de collecter la parole et de rendre visible les invisibles" voir : Cairn, Nectart et son site clarencemassiani.com.

4 commentaires à propos de “L4. Sentimenthèque”

  1. Si le l’oeuvre de Joseph Ponthus vous a plu, je vous conseilles le travail de Arthur Lochmann. Le bouquin s’appelle « La vie solide: La charpente comme éthique du faire. » Merci pour votre sentimenthèque 🙂

  2. En écoutant Edouard Louis, J’ai cherché plus sur lui, et suis tombée sur votre Sentimenthèque, ( Je n’arrive pas à lire tous et toutes).Vos livres et vos résumés m’intéressent beaucoup. Merci, Clarence.