#L6/ Seul(e) et le monde

Parfois la box déconne, le wifi se bloque, la connexion débloque, l’ordinateur raccroche. Ça n’arrive pas souvent, mais cette rareté-même fait perdre la patience. On s’énerve tout seul devant son écran, on agace son clavier de pressions rapides et saccadées, comme si les coups de doigt pouvaient tout arranger, on est préoccupé par le projet en cours, le projet, le projet, l’urgence décrétée, on ne peut plus avancer, on s’essouffle, on bouillonne, on est submergé par l’impuissance, on peste contre l’injustice, pourquoi moi, pourquoi justement à ce moment-là,  on insulte la bécane, on lui grogne dessus, on donne des noms d’oiseaux au débit, au réseau, les paroles grossières traversent l’air plus vite que les ondes, on maudit le sort, on insulterait les dieux si l’on pouvait s’y fier.

On tente de respirer, de se concentrer sur une marche à suivre. On convoque la raison, on s’intime de passer à autre chose, d’attendre. Mais c’est ça le problème, on ne peut pas attendre, c’est ça le problème, il va falloir attendre, affronter la solitude, pire, l’isolement, seul, soi-même et son temps, sans recours à la machine pour se relier au monde. On se replie sur le portable. Ouf.

Le reste du temps (le plus souvent) on trouve ça normal que ça fonctionne sans anicroche, que d’un simple clic on dialogue avec un proche à l’autre bout de la terre, qu’un inconnu vous aborde de loin dans la blogosphère, qu’on ait sans discontinuité une fenêtre ouverte sur le monde, qu’on meuble ainsi sa solitude.

A propos de Laure Humbel

Dans l’écriture, je tente de creuser les questions du rapport sensible au temps et du lien entre l’histoire collective et l’histoire personnelle. Un élan nouveau m'a été donné par ma participation aux ateliers du Tiers-Livre depuis l’été 2021. J'ai publié «Fadia Nicé ou l'histoire inventée d'une vraie histoire romaine», éd. Sansouire, 2016, illustrations de Jean Cubaud, puis «Une piétonne à Marseille», éd. David Gaussen, avril 2023. Un album pour tout-petits, «Ton Nombril», est paru en octobre 2023 (Toutàlheure, illustrations de Luce Fusciardi). Le second volet de ce diptyque sur le thème de l'origine, prévu au printemps 2024, s'intitulera «BigBang». Actuellement, je travaille à un texte qui s'alimente de la matière des derniers cycles d'ateliers.

2 commentaires à propos de “#L6/ Seul(e) et le monde”

    • Merci Danielle, c’est ce que je cherchais, la non-personnification de mon narrateur / personnage. La difficulté de cette neutralité apparaît quand on veut développer, car on ne peut pas se raccrocher à son passé, à des anecdotes de sa vie, à un trait de caractère. Je cherche encore…