#P10 L’agenda

La fille monte l’escalier extérieur jusqu’au balcon et entre par la porte-fenêtre dans l’appartement à l’étage de la maison pensé il y a plus de cinquante ans pour y vieillir, de plein pied, le minimum mais tout y est, petite cuisine sans même la place d’une table pourtant haut lieu de préparation pour des festins passés, petite chambre, petite salle à manger-salon. Bonjour tu as bien dormi, elle dit d’une voix plus forte qu’elle ne l’avait prévu, la vieille femme est assise dans un fauteuil près de la grande fenêtre, elle parle doucement à un gros chat siamois installé sur ses genoux, là, là, c’est bien, ses mains caressent le poil. Je me suis levée à 6h, le chat m’a réveillé, il vient sur mon lit. Tu peux fermer ta porte. Oui mais il gratte et puis je suis réveillée alors je me lève et je déjeune. Une odeur de renfermé flotte, on peut ouvrir il fait beau ce matin. J’ai pas très chaud, elle pousse le chat et se lève avec difficulté, lent déploiement d’un corps fatigué, elle frotte ses jambes avec les mains pour chasser les poils déposés sur son pantalon, elle va examiner le thermomètre et le tapote, il fait frais c’est 15° dehors. Ça va c’est agréable, il y a du soleil, on peut laisser ouvert. La fille se dirige dans la cuisine et regarde dans un placard. Tu cherches quoi, la mère s’avance derrière elle, le thé mais c’est bon je me débrouille, c’est là dans le placard en haut, elle la pousse pour chercher, ah non tiens mais où c’est passé. C’est bon j’ai trouvé tu en veux un, non j’ai fini mon déjeuner, le chat m’a réveillé à 6h ce matin alors j’ai déjeuné. La fille s’installe à la table avec son thé, face à la porte-fenêtre pour pouvoir profiter des montagnes du Dévoluy au loin. Sur la table, la confiture, le beurre, les boites de médicaments et la mémoire, feuilles A4 reliées par une baguette de plastique noir, imprimé en paysage une page par mois, un cahier pour l’année, au crayon de papier sont notés des rendez-vous, des numéros de téléphone et toutes sortes de choses dont elle veut garder trace, les anniversaires des enfants et des petits enfants, cette bon sang de mémoire je retiens plus rien. La mère s’assoit à côté, tu veux pas du beurre salé plutôt, non c’est bon merci. Qu’est-ce qu’on va manger ce midi, elle se lève et va ouvrir la porte du réfrigérateur, j’ai fait une tarte à la tomate et il y a une tarte aux pommes dans le four, avec une salade verte et pour ce soir j’ai du saumon dans le frigidaire et de la salade, on peut aller faire des courses. Elle revient s’asseoir. Ce sera très bien à midi la tarte à la tomate et de la salade et ce soir le saumon et de la salade et on ira faire les courses cet après-midi pour la fin de la semaine. Un silence s’installe que la fille aimerait un peu prolonger. La mère se lève et fait quelques pas sur le balcon avant de rentrer dans la pièce pour aller tapoter le thermomètre, 15° il fait frais ce matin. Et tu rentres quand, dimanche c’est ça, non je repars samedi matin tu sais je passe déjeuner chez Lise pour couper le trajet. Ah oui, c’est ça et ton frère il rentre dimanche, non il rentre lundi matin tu l’as écrit sur ton agenda. Elle vérifie en suivant avec l’index pour trouver le jour, ah oui j’ai bien noté ça. Tu as pris rendez-vous pour le chat, j’ai appelé mais ça répond pas. Je peux le faire si tu veux. Non je vais réessayer, c’est un répondeur c’est pas elle qui parle en direct, je vais rappeler pour demain ou vendredi ou samedi. Je pars samedi matin tu sais bien je m’arrête chez Lise pour déjeuner. Bon le rendez-vous alors plutôt jeudi ou vendredi. Oui parfait. Et ton frère il rentre dimanche c’est ça. Il rentre lundi dans la journée. Il faudrait faire des courses pour demain, pour ce soir il reste du saumon et je peux faire cuire des pommes de terre. Elle se lève et va dans la cuisine, je sais plus ce que je cherche là, pour ce midi j’ai de la tarte à la tomate, est-ce qu’on ajoute de la salade. Il est où le chat, il rentre et après il va aller en haut tout l’après-midi pour dormir et il viendra réclamer. Je vais prendre rendez-vous chez le vétérinaire.

A propos de Isabelle Charreau

j’arpente plus facilement les chemins de terre que les pavés de la ville, je fréquente l’atelier pour le plaisir comme des gammes, sans projet de partition