# photofiction # 09 | au troisième

2017/Frontal/Printemps/Petit/Ville-1946-1975/Amiénois

c’est une affaire que je n’ai jamais comprise, sans doute parce qu’elle a eu lieu à la fin des années cinquante et qu’à cette époque-là, dans cet univers-là et ces familles particulières, semblables je suppose à toutes celles d’alors dans ces coins-là, le divorce avait quelque chose d’indigne (ces choses changent, et ce type-là s’est tiré il me semble au début du siècle), on l’appelait Roland alors que son vrai prénom était je ne sais même plus, je me souviens juste de quelques traits, il enseignait peut-être bien une langue étrangère, il était d’ailleurs assez proche de sa nouvelle belle-sœur qui avait la même occupation (mais elle travaillait à Paris 20, en revanche elle, je l’aimais bien je me souviens d’elle et de son mari qui était un ami, un type basané qui écoutait la radio dans sa voiture, une Honda je crois, grise, un coupé, elle était garée sous l’auvent à Cambo, où il avait acheté là une maison, grande et de plain-pied comme chez les Basques, tu sais bien, basquaise si tu préfères, qu’il louait durant des semaines, une vingtaine par an, un prix astronomique justifié par le jardin très arboré et très grand aussi, la piscine, le nombre de pièces et tout le bataclan) – eux, ces autres, là, ils habitaient là, au troisième étage à droite, rue du Château-Milan je crois me souvenir, la petite fenêtre qui donne sur la cage d’escalier en rond, dans laquelle il y aurait eu la possibilité d’installer un ascenseur si les propriétaires des étages inférieurs ne s’y étaient opposés avec la dernière énergie, le balcon de la salle à manger, et la fenêtre du bureau de son excellence – un bureau et une pièce pour les deux gosses qu’on nourrit déjà, ce n’est pas si mal pour les rejetons d’un premier lit (c’est élégant, c’est une façon de penser, une espèce d’avidité inutile mais grasse) – l’appartement était confortable, on avait changé le chauffage, on a posé un poêle au fuel, en se penchant un peu, en fumant sur le balcon de la salle à manger, on peut apercevoir le fleuve (son nom qui évoque l’addition ou la sieste – un truc lent morne gris) – sur son bord, rive gauche, on trouverait le bar intitulé « Mieux vaut boire ici qu’en face » qui à lui seul représente tout l’humour possible – de l’autre côté de la chaussée, à l’arrière du côté du boulevard Faidherbe (Louis, Léon, César – quand même – sénateur, polytechnicien, très troisième république) et de la rue du Commandant Defontaine (Gaston, Louis, Joseph – héros de la deuxième guerre mondiale, commandant de police, « sommairement exécuté » dit le Maitron), il y avait ces immeubles d’une facture plus bourgeoise, on les appelait les IZAHI (ce doit être un acronyme) (ISAI : immeuble sans affectation immédiate – c’est du propre) où vivait un prochain ministre de tonton, vingt ans plus tard – une partie de la nouvelle architecture du bourg, avec sa MACU (maison de la culture, abrégé élégant tout autant) (la première à avoir été construite,inaugurée par André soi-même) – les trente glorieuses dans tout leur apparat et leur splendeur

A propos de Piero Cohen-Hadria

(c'est plus facile avec les liens) la bio ça peut-être là : https://www.tierslivre.net/revue/spip.php?article625#nb10 et le site plutôt là : https://www.pendantleweekend.net/ les (*) réfèrent à des entrées (ou étiquettes) du blog pendant le week-end