Retenir une quinte

Le feu allait passer au vert, déjà la petite poupée orange s’alarmait, paniquait et clignotait, bientôt il pourrait passer, il serait libéré comme on se soulage dans la quinte de toux d’une grande glaire qui coinçait, il allait pouvoir passer, se dégager droite et gauche, et s’arracher à la cohue morne d’être plein de voitures arrêtées, d’être un parking mais vivant, encore chaud, avec le moteur toujours allumé dessous, un parking de morts pas morts qui dans une minute tous respireront ensemble, un peu trop vite, comme le dos entier tousse pour pousser la glaire gênante, les voitures bientôt passeraient, lui et toutes celles autour, et à nouveau le vent, le bruit, la route, avancer, la vitesse, même la petite vitesse de circuler en ville, il allait passer et cette mort là, inutile, arbitraire, de juste être arrivé au mauvais moment que le feu vert passait au rouge, allait cesser, la mort allait cesser il allait vivre, et pas les deux pieds aux pédales qu’il doit frustrer, comme si ces deux pieds là n’étaient pas à lui, comme si ses deux pieds étaient une grosse quinte de toux qu’on sent mais aussi qu’on doit réfréner a cause du monde et de la politesse, et ses pieds voulaient appuyer sur la pédale, et lui même voulait que ses pieds appuient, mais un autre lui-même en lui, le lui-même de la ville et des codes, des quintes et des lois, savait aussi que ni ses pieds ni lui ne pouvaient avancer et qu’il fallait s’en remettre à la temporalité absurde d’une couleur dans laquelle n’est pour rien, mais après tout rien non plus dans mourir et vivre. 

A propos de Milène

Milène Tournier est une auteure de théâtre, poésie et formes numériques. ( L’autre jour, ed. Lurlure; Poèmes d’époque, préfacé par François Bon, ed. Polder; Nuits, ed. La p’tite Hélène; Et puis le roulis, Ed. Théâtrales). Elle a écrit une thèse d’études théâtrales « Figures de l’impudeur ». Elle partage ses vidéos poèmes sur Youtube et écrit « en direct » sur Facebook.