Sur le vif

Auto-stoppeur au Pont-de-Champ. Grand adolescent, –Merci Monsieur, je vais devant la Mairie de Pont-de-Claix. Un bas de survêtement, une veste matelassée usée, cheveux noirs écrasés. Odeur de tabac. Il est d’ici. Ce territoire où l’on rejoint. Parce qu’on est périurbain. Le relief est sédimentaire. La Romanche verse dans le Drac. La plaine est à l’industrie et aux bancs de graviers. L’habitat est dispersé. La question du trajet quand on est adolescent est cruciale.
En arrivant sur la place de Verdun , Madame dévisage ces jeunes surexcités qui courent pour traverser et s’invectivent en pleine rue. Elle est à l’arrêt avec son cabas, lourd manteau, foulard de soie. Petite bouche rouge, joues tombantes fardées. Elle les regarde disparaître sans qu’ils ne prêtent aucune attention à elle. Madame pense tout haut. Elle engrange de quoi nourrir une conversation chez le coiffeur ou à la pharmacie.
Bistro de la gare. Un personnage des Sopranos en mâchoires. Cheveux argentés impeccablement peignés et lissés vers l’arrière. Enchemisé, du genre à prendre son temps quand il parle, en soutenant ses propos par un mouvement de la main, enserrant une invisible pierre. A la table du resto, il est en face d’une barbie brune trop maquillée au sourire assuré. Le couple qui les accompagne est transparent.
Café du nord. Sous la voûte. En robe verte. Elle est absorbée. L’espace proche incruste ses yeux. Table en bois épaisse et légèrement collante. Visages à la conversation. La nuit n’a pas de fin. Elle est la couleur.
Racler la façade. Combinaison blanche protection avec capuche contre les poussières. Assis sur l’échafaudage. Les jambes dans le vide. Le geste sans parole. L’œil au détail prêt. Peau burinée. Barbe éparse. Langue étrangère.
Galerie commerciale. Brasserie à steak frites. Elle trône à la caisse. Gestes réduits. Elle fait l’addition. Elle fait tour de contrôle. L’œil radar. Serveuses, commis, clients en visuel. Elle veille aux grains.
Dans un atelier de carrosserie. Un air de truand. Parka de motard. Les habits neufs et brillants. Œil du fumeur de shit. Sourire malin.
Chantier. Maçon de 23 ans. Bon géant. Campé sur ses deux jambes. S’en grille une au soleil. Les gars bossent bien. Il surveille les sangles. Il voudrait être ailleurs. Il déplie ses rêves. Conscient de ce qu’il a. Conscient de ce qu’il peut. Il prépare son coup.

A propos de Antoine Gentil

Enseignant spécialisé auprès d'adolescents en ruptures sociales. Anime des ateliers, écrit du théâtre et des textes de chanson.