#L2 | Une semaine sur deux

La porte découpée en forme de vague est toujours là. L’antivol à vélo qui relie la porte et le poteau également, mais maintenant il est vert, un vert de printemps anachronique au milieu des fougères du chemin, qui sont, elles, déjà passées à l’automne. Dans le jardin le petit arbre rabougri fait de l’ombre à un bac à sable. Seaux de toutes tailles pour faire des pâtés en forme de donjons, de créneaux, de canards. Des pelles aussi avec plus ou moins de manche et un gros camion coloré aux essieux fatigués, rouillés et tordus. Pas mal de sable sur la terrasse tout autour des grosses poutres assemblées à mi-bois. C’est là que doivent trôner les châteaux, pâtés, tas et mondes fantastiques érigés en hommage à l’éphémère avant de retourner rejoindre les autres grains de sable à grands coups de balai. Une semaine sur deux. Une semaine sur deux il n’y a pas non plus de jouets dans le salon, pas d’albums illustrés sur la table basse. Ils remplissent les deux grosses caisses en plastique déposées sous la plante verte comme des cadeaux au pied du sapin. Sur les dossiers des fauteuils traînent des habits, vêtements, vestes imperméables décolorées avec des traces blanches de sel séché. Vêtements de travail siglés d’un nom de fournil, blancs, eux aussi. Surtout là où on s’essuie les mains. Et piles de linge propre plus ou moins plié qui doit avoir séché sur l’étendoir installé dans un coin de la terrasse. Dans la petite niche à côté de la porte, des chaussures coquées, blanches et déjà bien fatiguées, jetées là au milieu des grosses godasses de randonnée et des bottes en caoutchouc. Plusieurs paires. Deux pointures, du 39 et du 30. Au bout de la longue table un fouillis de papiers, livres aux couvertures austères d’où sortent des feuilles gribouillées et le jaune des post-it. Classeurs empilés sur la banquette, ordinateur portable, chargeur avec son fil qui courre sous la table, gros casque pour s’isoler dans la musique. Ronds de verres, tasses pas toutes vides, assiette sale avec couverts, miettes, reste de baguettes, trognon de pomme et grappe de raisin sans grains. Dans la cuisine, pas grand-chose, une large planche et un gros couteau à pain, un emballage de fromage chiffonné, un verre sale et sur le comptoir, une bouteille Thermos avec traces de doigts blanches. La porte est fermée. Mais la clé est sous le pot de fleurs, le deuxième en partant de la gauche, celui avec des feuilles de fraisier fanées.

A propos de Juliette Derimay

Juliette Derimay, lit avidement et écrit timidement, tout au bout d’un petit chemin dans la montagne en Savoie. Travaille dans un labo photo de tirages d’art. Construit doucement des liens entre les images des autres et ses propres textes. Entre autres. À retrouver sur son site les enlivreurs.