Vues avec chambres

un jour sans couleur filtre au travers de voilages blancs qui s’envolent au-dehors par le battant resté ouvert, le vent les attire et les fait flotter en drapeau, ils sont parsemés de petits carrés en relief de fils très serrés de couleurs vives — ressentir encore l’envie précise au bout des doigts d’en tester la résistance, en les pressant doucement pour en toucher le « dur » contrastant avec le « mou », le flottant du rideau  —, quatre lys, quatre oiseaux, orange sur le fond noir des montants du haut lit, au-dessus de la tête et au bout de mes pieds, identiques et pourtant dissemblables, figés mais vivants, ils peuplent les cauchemars de chaque été, la chambre est vaste, claire, malgré la petite fenêtre unique, on y accède par deux larges marches recouvertes d’un linoléum vert pâle et la porte n’est jamais fermée, sur l’un des deux lits, un couvre-lit à volants, le tissu clair est fleuri de petits bouquets, les draps de lin ont séchés au soleil, mais l’hiver, l’œil jaune du poêle, à travers la lanterne magique de la petite lucarne tendue de mica, barbouille les murs d’ombres mouvantes, puis c’est un petit appartement avec une seule chambre dont les murs sont tapissés d’un papier à petites fleurs qui dessinent de diaboliques diagonales se croisant et qui font loucher dans la pénombre verte que le néon de l’hôtel diffuse dans la pièce jusqu’à vingt-trois heures, heure où tout s’éteint et où disparaissent les petites fleurs, le matin, j’aime entendre les bruits de la ville depuis mon lit en métal repeint en bleu, dans la chambre avec balcon sur la rue, il y a le théâtre et j’aime le murmure de la foule à la fin de chaque représentation tandis qu’à un autre étage, quatre grandes pièces dont deux communiquent par l’arrondi d’une petite tour et ma chambre a le privilège d’une terrasse donnant sur la cour fermée, le clocher de Saint-Nicolas sonne les quarts, les demies et les heures de jour comme de nuit et l’appartement a maintenant cinq ou six pièces ouvrant toutes sur une sorte de galerie intérieure avec un escalier, ma chambre est bleue alors que dans le deux-pièces tout neuf au rez-de-chaussée du petit immeuble, les murs sont tendus d’un papier noir à compositions florales très serrées, un sommier métallique y est installé, avec un amoureux, plus tard sur un terrain d’aviation, quelque part dans l’est, un appartement de trois pièces qui, pour tout confort, ne dispose que d’un robinet d’eau froide sur les murs, un papier hideux, à motifs géométriques des années soixante-dix, l’appartement comporte deux chambres, dont l’une occupée, le samedi soir seulement, par le pilote de réserve puis, c’est un appartement ancien au premier étage d’une maison dans une rue très en pente et sans issue, juste en face de la plus vieille hôtellerie de France, les pièces tendues de papiers peints fleuris qui se décollent, l’hiver des petits radiateurs électriques diffusent une chaleur maigre, enfin, la toute première maison avec terrasse et jardin, deux étages, trois chambres, une salle de jeux, une immense cheminée dans laquelle je peux tenir debout

A propos de Françoise Durif

Pousse son premier cri en 1959. Carrière stoppée net. Nourrit un ressentiment tenace vis-à-vis de la famille en général. A, malgré tout, connu quelques happy-hours. Et heureusement, il y a l'écriture !