En attendant Marcel | lire&dire – enfances – gestes&usages – nouvelles | 11&12/11

Un lundi de Pâques le jour du Poisson d’avril. Certains diront que les planètes se sont enfin alignées. — Les beaux-parents viennent manger à la maison. On n’aura rien à faire, m’a dit ME, ils apportent tout. — Il fait très beau ce matin, mais le ciel est particulièrement noir à l’ouest, et l’on entend tonner. — Le 1er avril, les Anglais ne parlent pas de poisson, c’est l’april fools day.

Je ne pense pas pouvoir découvrir prochainement (ni plus tard, en fait) la tombe du petit Marcel, et ce n’est pas grave. La découvrir, bien sûr, au détour d’une allée du cimetière de Saint-Thomas, serait une surprise aussi belle que de déterrer enfin le trésor d’une île déserte : une malle vide valant pour le chemin parcouru et les trésors d’inventivité qu’il aura fallu déployer pour ne pas la trouver autrement que par hasard. Mais, en attendant, il y a le petit pont de pierre, le ruisseau, les prés, les arbres, le jardin non loin. Et même la vieille caravane. On croise parfois sur le bord de la route, dans un fossé, au pied d’un poteau, d’un parapet, d’un arbre, un petit bouquet de fleurs signalant l’accident mortel. Si l’on va alors se recueillir au cimetière, sur la tombe, à qui s’adressent ces fleurs sur le chemin ? Nonobstant la cérémonie funéraire, une tombe n’est peut-être qu’une façon de ranger un mort, comme un livre dans une bibliothèque. Mais le dernier mot, l’ultime phrase vitale, elle, déployant au maximum, dans son dernier élan, cette force recouvrant l’énigme résolue de l’histoire, l’espace d’un instant encore, au mystère de l’énergie même du recouvrement final : la dernière page, où s’est-elle refermée ? le voile tendu de l’écriture, fait-il flotter l’esprit du livre sur le lieu de lecture final, comme si ce lieu faisait partie du livre, comme si cet esprit passait là, en dernière instance ? N’est-ce pas à cette instance, sur cet ultime lieu de vie où l’on ne va que trop rarement se recueillir, que les fleurs sur le bord de la route sont dédiées ? Ainsi en va-t-il du site au petit pont de pierre, comme un bouquet de fleurs grandeur nature, en passant.

Même si le soleil perce maintenant plus souvent, il y a eu encore beaucoup de pluie ces derniers jours. La Seugne, une nouvelle fois en crue, envahit les cultures. Une catastrophe pour les agriculteurs, mais le lac éphémère et ses flots de lumière, c’est un bonheur.

Rien à faire : j’ai eu beau essayer de réinitialiser le boîtier de gestion électronique — dit aussi BSI, Boîtier de Servitude Intelligent (on notera la contradiction dans les termes) —, le démarreur tourne toujours à vide. (De la marque Valeo, verbe latin signifiant je vais bien…)

Hier soir, la petite émission d’Arte Karambolage m’a appris que : ce qu’on nomme ici tiroir, les Allemands l’appellent poussoir ; le genre pictural de la nature morte pour nous relève de la vie immobile pour eux ; un danger de mort ici correspond là-bas à un danger pour sa vie. Une vue de l’esprit par renversement. En suivant (une fois les infos passées), de Simone Signoret, en vrac, et en « figure libre » dans le documentaire qui lui est consacré — j’aime ces vies d’actrices, j’aurais voulu être une actrice :
« Qu’est-ce qui vous fait peur ? — La brutalité, la mauvaise foi, le… le fascisme, sous toutes ses formes, le to-ta-li-tarisme sous toutes ses formes, la police… euh… mais pas la nuit euh pas… non, pas du tout, pas la nuit pas l’obscurité euh… pas les craquements… pas du tout. »
« Ces rôles-là, y en a un sur des, des milliers et des milliers et des milliers, comme ça, à jouer, à vivre, c’est-à-dire se payer ce voyage-là, cette vie-là, encore une autre vie : ça n’a tellement pas de prix ! »
« J’ai vu plein de gens, j’ai vu des gens… qui disaient qu’ils étaient acteurs ça voulait pas dire qu’ils jouaient, qui disaient qu’ils étaient écrivains ça voulait pas dire qu’ils étaient publiés, qui euh rêvaient de faire des films ça voulait pas dire qu’ils en faisaient, mais qui au moins euh… étaient complètement euh débarrassés des complexes bourgeois, que j’avais hum ! dans mon enfance et mon adolescence par rapport euh… [en chuchotant] aux artistes. »
« Vous connaissez beaucoup de métiers où les gens se déguisent tous les matins ? et vous connaissez beaucoup de métiers où il y a des fous rires, qui vont du du, du petit jeune homme de dix-huit ans jusque, au, à la dame qui joue la grand-mère et qui en a soixante-quinze ? c’est des métiers d’enfants. »

15 | photoperso © Will | 20240324_143754

Un jour, tu t’es demandé si ce que je cherchais à traverser, avec toi, ce n’était pas une certaine dimension de la violence. Je ne sais plus exactement ce que tu voulais dire. En tout cas, je peux aujourd’hui te répondre plus directement. Enfin peut-être pas directement, mais franchement, avec les mots de Gaëtan Picon dont l’Admirable tremblement du temps me parle plus que je ne l’aurais soupçonné. Donc :
« Il s’agit bien entendu de la recherche d’une respiration artificielle, le présent ayant décidément le souffle trop court : il s’agit de l’aveu d’une insuffisance, d’une extension vers le passé garantissant à son tour une extension rassurante vers l’avenir. Qui a perdu l’éternité se défend contre la mort par les fictions de l’immortalité : on se dit que l’on vient de si loin que l’on ira très loin encore, si loin que le terme ne peut s’imaginer. Dans la pénombre du cabinet des antiques, sur l’embu du miroir, l’or terni du cadre, la craquelure de la patine, sur l’objet tenu par tant de mains, comme sur les portraits de l’album de famille, nous écoutons un chuchotement de berceuse, une douce psalmodie hypnagogique. Et c’est un même mélange de faiblesse et de vanité, un même langage mystificateur — imprudemment emphatique, cette fois — qui est au fond de la célébration, de la commémoration des ruines. »
— Moi, je préférerais que ce soit franchement toi, qui parles. Quitte à ce que ta voix sonne faux.

Avec les derniers textes que je n’ai pas mis en ligne, je n’ai pas pris le temps de corriger la masse de notes avec Antidote. C’est chose faite et, entre les farces intempestives des petites erreurs d’accord, les attrapes de la conjugaison des sujets inversés, une belle disconcordance de temps, les mots oubliés et les mots en trop (et passons sur les tournures idiotes, sans doute encore trop nombreuses) c’était le moins que je puisse faire ! (Il faudrait penser à faire plus, un jour.)

Actes respectueux : « Loin d’être une invention du code civil, la majorité matrimoniale plonge ses racines au milieu du XVIe siècle. Son principe (30 ans pour les fils et 25 ans pour les filles) est posé par l’édit de février 1556 que Henri II fait publier sur les « mariages clandestins » ; il est assorti de l’obligation pour les enfants, même après leur majorité, de solliciter l’avis de leurs parents par des actes respectueux.
L’article 41 de la grande ordonnance de réformation dite de Blois (1579) confirme l’instauration de la majorité matrimoniale de 25 et 30 ans en deçà de laquelle l’assentiment des parents est requis, ainsi que l’exigence d’actes respectueux de la part des majeurs.
Le vent révolutionnaire tente de balayer la chose : la loi du 20 septembre 1792 ramène la majorité pleine et entière à 21 ans pour les deux sexes ; il n’est plus fait de distinction entre majorité matrimoniale et majorité civile. Mais le code civil napoléonien défait la législation révolutionnaire et conforte les dispositions de l’Ancien Régime. »
(Archives départementales du Lot — qui pourraient quand même mentionner l’auteur…)

(En fait, les textes auront été bien plus oniriques que je ne l’aurais imaginé…)

« C’est un vrai luxe de s’ennuyer, de foutre du temps en l’air et de se faire chier à huis clos, sans oublier d’aller au bar pour croiser quand même quelques personnes et se rappeler qu’il y a un peu de vie ici », confie Pierre Barrett, ou Mickaël Olivette, aux Inrocks de ce mois. — Je devrais prendre le temps de retourner un de ces quatre jeudis aux Zoom#bistrots.

|| Ugo, « le malaise en chantier » : « Un vieux rêve : une table de travail avec dans le dos un mur de livres. Des U de tôle supportent les planches de chêne. Aucune place perdue. Chaque U est une niche, un sanctuaire. Le mur de cinq mètres de long offre près de quarante mètres de rayonnage. Rangements, classements, mélanges, tout devient possible et le chaos sera total. » — Le pire, c’est que ça existe : trois vagues en aluminium thermolaqué, épaisseur de 0,15 cm, hauteur x largeur x profondeur : 135 x 50 x 35 cm, à 1150 euros ; combien pour 40 mètres de rayonnage ? ; et comme on ne peut pas ranger de grands livres, ça fait beaucoup pour mes livres de poche jaunis que je ne relirai pas et dont la plupart tombent en miettes. ||

Le texte de la semaine, au croisement des deux cycles d’écriture, du geste et de la nouvelle, hétérogène : il ressemble bien trop à ce qui se fait dans ce carnet de notes, surtout avec sa référence à (une béquille de l’esprit). Si c’est pour refaire ce qu’on fait déjà, alors il n’y a rien de nouveau, il n’y a pas de véritable geste d’écriture, effacé par la répétition de l’inscription.
(Peut-être pas si inutile, cela dit, le coup de la béquille dans un texte boiteux. À courir deux lièvres à la fois, non seulement on n’en attrape aucun, mais on finit vite par s’essouffler et, l’âge venant, boiter. Alors, si on peut s’appuyer sur ceci et cela, sur les autres, au moins pour éviter la chute.)

Ce matin, une newsletter de pour un colloque international sur la poétique de l’insaisissable : « ce qui tend à l’impensé, voire à l’impensable, trouve-t-il dans le discours littéraire moderne un moyen privilégié non pas d’expression mais de tentative inépuisable de manifestation ? » On se situe en deçà du discours, on examine moins ses messages directs débordant de signifiés implicites, que ses mille et un signifiants possibles, au moment de leur formation, sorte d’ »ex-pulsion » de langage qui se matérialise — se « motérialise » (merci Lacan) —, là où René Char disait que « les mots qui vont surgir savent de nous des choses que nous ignorons d’eux », et ce sont ces mille et une choses qu’on recherche, dans notre ignorance même, dans leur insaisissabilité, dans leur « pfuite », la forme de ce qui échappe au sens, au signifié, de ce qui le fissure et se faufile dans la fente, glisse entre les doigts du mot sur le bout de la langue.
(— OK, mais maintenant, si tu places ça ailleurs ? Parce que c’est bien beau la poétique, l’esthétique, la littérature, mais si avec expression j’entends le champ de la liberté, le Chant des Partisans ? Si avec manifestation je vois du Droit et de la Justice ? Si ce qui tend à l’impensé, voire l’insensé, relève du discours politique ?)

|| Non. Renvoyer simplement Ida Siekmann et Günter Litfin à leurs pages Wikipédia c’est les inscrire sur des liens trop faciles, quasi morts. Il faudrait plutôt les relier au lieu même de leur assassinat, au pied même du Mur : pourquoi pas ici et pour lui, les vieux murs gris de ce petit mirador détonnant au milieu des immeubles modernes qui l’encerclent ; et pour elle, les murs qui se sont élevés autour ; et, parmi 145 636 photos actuellement, pour tous les autres. ||

Dans une autre infolettre, du CAPC de Bordeaux, l’atelier Lascaux 5 avec Greta Humeau : « Pour les 3-6 ans en famille. Duo adulte-enfant. Entre surimi géant, bidet fontaine, urnes de colocation, sculpture anguilles, escarpins fourrés d’œufs… » — Moi j’ai 5 ans. Dix fois peut-être, et même pas tout à fait, mais je vous jure que ça se voit pas tant que ça. Je viendrai avec mes parents si vous voulez, et mamie Lulu. Je viendrai avec le petit Marcel aussi. Il vous dira, lui, comment il a fait pour rester jeune éternellement. Pas vrai Marcel ?

texte 9.5 | nouvelles 1

Gaëtan Picon, Admirable tremblement du temps : « Il y a un art de la Genèse, de l’éblouissement initial où la chose naît en même temps que son signe. »

« Nul ne cherche un objet, nul ne vise une technique : chacun cherche un objet devenu tableau — et cette mutation ne peut s’opérer que dans le temps. […] Mais le temps ne figure pas parmi les signes ; il n’est là que parce que nous le savons enfoui et que nous interprétons en termes de temps ce qui est apparemment un langage d’espace, voyant dans le réseau, la nervure des lignes, la finalité et l’histoire d’un travail. » (Gaëtan Picon, Admirable tremblement du temps)

CYNIQUE
Plus j’y repense, à mon directeur commercial qui vantait les mérites de sa marque en dénigrant les autres, concurrents de la grande distribution et fournisseurs inconséquents, qui la glorifiait en étalant son catalogue de clients de luxe, preuves à l’appui des hanses de sacs en cuir qu’on lui confiait, des flacons à remplir à la main qu’on lui envoyait, du coup de téléphone inopiné lui signalant, et nous l’annonçant, le marché de douze droguistes parisiens, en nous racontant ses voyages dans la plus grande droguerie de France à Marseille, et son concours de glaçage de chaussure je ne sais où, à nous, sortis de notre petite Structure de redynamisation vers l’emploi, et personne chaussé ni de cuir ni de daim, ou alors de contrefaçon, de synthèse, de sous-marque, coupé de caoutchouc, d’élastomère, de plastique, de pétrole, de vases fermentées, et de terre et d’usure. Aucun des produits fabriqués n’aurait pu remettre en état nos pompes | godasses | croquenots. Ça aussi, quelque part, c’était cynique.
(Il y a une chanson de Gwendoline qui dit, comme ça : « J’ai la France qui m’fait peur / Les pauvres dans la rue me regardent avec insistance / J’vais cirer mes chaussures. »)

Lulu m’a aussi confié le livret de famille de son oncle et de sa tante, Louis Rousseau (1888-1975) et Isabelle Missolin (1891-1975). Ils ont eu deux enfants. Le premier mort-né le 4 février 1927, sans prénom. Le second, Camille, né le 14 octobre 1933 à 11 heures et décédé le 16 février 1940 à 2 heures. Une méningite. Lulu se souvient que son cousin s’accrochait au cou de son père et criait qu’il ne voulait pas mourir.

« Il arrive que nous sentions l’image comme si elle était prise entre deux plaques de deux univers : l’un dont nous entendons la rumeur d’espace traversé, dont nous voyons les dépouilles, les recels, les stigmates, l’autre sur lequel nous ne sommes pas embarqués encore, mais dont nous parvient déjà le souffle. » (Gaëtan Picon, Admirable tremblement du temps)

Quand j’obtiendrai le Certificat Voltaire, avec plus de neuf cents points sur mille, cela fera-t-il aussi de moi un homme de lettres ? Qu’est-ce que cela apportera vraiment ? D’un côté, une nouvelle porte d’entrée pour le monde du travail puisque, sur le conseil de l’équipe Voltaire, « dès lors que vous obtenez votre Certificat Voltaire (épreuve Orthographe, Expression ou les deux), n’hésitez pas à le faire savoir aux recruteurs ! Il s’agit d’une véritable compétence différenciatrice. » Mais, de l’autre côté, dans son Dictionnaire philosophique, Voltaire lui-même rappelle comme il en va de la condition des lettrés :
« Tout homme public paye tribut à la malignité ; mais il est payé en deniers et en honneurs. L’homme de lettres paye le même tribut sans rien recevoir ; il est descendu pour son plaisir dans l’arène, il s’est lui-même condamné aux bêtes. »

Ça y est Marcel, j’ai les dates.
— Les dates de quoi ?
— De ta vie, le début et la fin.
— Parce que je suis mort ? C’est pas ce que j’avais compris. J’ai entendu quelqu’un dire Je porte en moi le corps de ceux qui furent aimés comme autant de hantises heureuses je porte en moi le ciel qu’un jour ils virent dans l’enfance le ciel bleu des espérances innommées je porte en moi leur gloire d’avoir été chair vivante.
— Oui, mais officiellement tu es mort. Regarde, c’est écrit : Nom : Fissou | Prénoms : Marcel Francis | Né le 26 août 1926 | à Semoussac | L’Officier de l’État-civil, Simon | Décédé le 10 août 1927 | à SEMOUSSAC | L’Officier de l’État-civil, Simon. Tu avais onze mois.
— C’est une vue de l’esprit. Mais quand on est passé de l’autre côté, les choses changent, la vue diffère, tu sais. D’ailleurs ce n’est pas une vue. Et par-delà la vie et la mort, il n’y a plus de côté. Le miroir est sans tain des deux côtés, et sans vitre ni cadre. Restent, peut-être, quelques purs reflets, quelques éclats. De fugitives scintillations.
— D’accord. Mais moi je suis bel et bien de l’autre côté, et cerné de tous côtés, enfermé, emmuré peut-être bien. Et pour moi tu es né il y a près d’un siècle, tu es mort, je ne sais pas de quoi, tu avais onze mois, un peu plus en comptant quelques mois de gestation, et, à cet âge-là, tu as vécu, tu as eu le temps de goûter le monde, de le voir, de l’entendre, de le toucher et le sentir, de le manger et l’expulser, de l’exprimer, lallation, d’aimer ceci et cela, le lait, le sein, le cou, d’aimer elle, d’aimer lui, d’être aimé, d’attraper ça, de le jeter, de crier, de pleurer, de sourire, rire, de t’asseoir, de te coucher, de te retourner, de te mettre à quatre pattes, de t’accrocher et te dresser sur tes jambes peut-être, de retomber sur les fesses, de recommencer, de gazouiller, babiller, papoter à ta façon, et dormir aussi, rêver, du monde, en images, sons et sensations, expressions, l’action, en substances, objets et gestes, la peau, elle et lui, leurs visages, les caresses, les mains, les mots, les paroles fantômes, en pe-te-ke, ba-da-ga, le pied dans la bouche, le pouce sur la langue, et dodo.

On sait que « le nouveau-né reconnaît la voix maternelle dès sa naissance sur la base des régularités rythmiques et mélodiques de la langue. » Mais : « Il faut attendre 5-6 mois pour que le bébé soit capable de traiter les informations plus subtiles et spécifiques de sa propre langue. Les patterns d’accentuation spécifiques des mots de la langue sont repérés et sont utilisés à partir de 8 mois pour la segmentation de la parole continue. » Peu après, « vers 9 mois, les enfants utilisent les marques prosodiques pour repérer les frontières des propositions », mais : « L’espace vocalique serait en place vers 10 mois, et les répertoires consonantiques d’enfants de différentes communautés linguistiques se différencient progressivement entre 11 et 13 mois. Ces modifications de la perception résulteraient de réorganisations attentionnelles guidées par les régularités prosodiques de la langue (rythme et mélodie). » De là : « Prosodie et mots grammaticaux constitueraient les deux sources d’information pour construire une première ébauche de la structure syntaxique des phrases. » (Avec Michèle Kail, L’Acquisition du langage — j’accentue.)

(Avec un extrait de Marie Joqueviel, Devenir nuit — merci au Café Europa pour Une certaine dose de poésie.)

Je n’en ai pas terminé avec le texte parce que j’espère pouvoir accrocher les actes d’écriture, d’antan (que je connais mal en fait — un chapitre de l’Histoire de l’écriture, sur les « pratiques épistolaires » au XIXe siècle ou « l’alphabétisation des sociétés », pourrait-il soutenir le vieil encrier, la plume métallique, les buvards déchirés et les cahiers d’écolier de mes souvenirs lacunaires et quasi imaginaires, désormais ? —, à mes outils actuels. Je pense même pouvoir le raccrocher au nouveau cycle sur la nouvelle, la première consigne d’écriture de f portant sur l’art de ranger ses livres — et l’essentiel, pour moi, relève de « la superposition des strates qui conduisent, simultanément, à cette marche en avant du récit, avec clôture ».

|| L’épreuve Voltaire — dans une petite rue à Angoulême, sur le campus de l’école MediaSchool — (« communication, journalisme, production audiovisuelle, digital et développement web, événementiel sportif, luxe, informatique et numérique, management, commerce, tourisme, compta-gestion, transition écologique et solidaire, ressources humaines, immobilier ou encore banque-assurance » (ouf ! n’en jetez plus), indique le site internet) — sise 2 rue Vigier de la Pile — (François Vigier de la Pile, avocat au présidial d’Angoulême, qui a publié en 1756 une Histoire de l’Angoumois) — grand soleil, chaud, la rue déserte — un long mur rénové, écru tirant ocre, sans ouvertures de prime abord — ou alors retirées dans le mur de la longère, dans leur structure d’aluminium et de verre mat, dépoli, closes sur elles-mêmes — c’est juste si l’enseigne de l’école est perceptible — (et on y faisait quoi, à l’origine, dans ce grand bâtiment ?) — on entre par une niche comportant de petits tas de brochures et un petit escalier — un espace détente, avec trois fauteuils, deux tables et quelques chaises hautes, une machine à café ici, une autre pour des boissons, des biscuits, des barres de céréales et de chocolat — une porte sur un espace vert où l’on joue au ping-pong — dans les coins opposés, deux petits bureaux en vis-à-vis, comme deux bulles, derrière des parois courbes de verre et de lattes de bois, à claire-voie — au fond, une rangée d’écrans, quatre ou cinq — on n’a pas l’air au courant pour l’épreuve Voltaire ; Mais si, la petite salle à gauche ; Tu crois ? elle est occupée ? — on attend, moi en allant et venant, lisant les affiches, et l’autre, une jeune femme, sur une chaise haute consultant son smartphone — sur une feuille A4, la liste des applications d’intelligence artificielle les plus consultées, ChatGPT en tête, Le Chat noir de MistralAI inexistant, toutes les autres inconnues — on m’explique qu’avec Character on peut discuter avec des personnages comme Jésus ou Napoléon — (j’ai vérifié, c’est vrai, et le Bouddha aussi, même s’ils sont nombreux ; on peut même discuter avec Vladimir-Poutine) — la salle reste occupée quelques minutes — je m’installe sur une table de classe dans une chaise un peu basse, tel un petit écolier — la jeune femme, dans la rangée contre le mur, se trouve dans une espèce de chaise instable et un plateau pivotant réduit (une sorte de strapontin d’amphi à une place ?) — durant les deux heures d’épreuve, trois phrases simples de dictée, les quatre cases possibles à cocher pour des erreurs éventuelles glissées dans cent quatre-vingt-quinze phrases, la jeune surveillante en face de moi regarde je ne sais quoi sur son écran en tapant de temps en temps — la salle est carrée, deux fenêtres donnent sur la rue vide, les murs de couleur crème, des réflecteurs pour la lumière — (j’ai repensé au film Cube) — sur le tableau blanc, l’heure à laquelle l’épreuve s’arrête : 16 h 20 — j’ai pris tout mon temps, avec mon double décimètre pour suivre une à une, ligne après ligne, chaque phrase, pour mieux repérer les mots soulignés a, b et c, pour pallier ma vue mauvaise, éviter trop vite le mal de tête, gagner du temps, rester concentré de façon relâchée, prendre le temps de réfléchir, d’analyser les tournures ambiguës, de lire à voix haute tout bas au besoin, de réécrire s’il l’avait fallu — du mur, derrière, on entendait parler. ||

texte 9.4

Hier, j’ai eu le sentiment d’un dénouement. Pourquoi ? — la fin du cycle d’écriture avec le premier exercice de f pour un nouveau sur la nouvelle — la série de photos du petit pont de pierre que je m’étais promis de faire et qui a bien changé parce qu’il a été rénové — les livrets de famille de Lulu où j’apprends enfin la date de décès de Marcel, que j’imagine en renaissance — le démarreur, pensant qu’il allait enfin fonctionner après démontage et remontage, et que le moteur allait tourner. Mais je savais aussi que je n’en avais pas encore terminé avec le texte, les actes d’écriture.

De retour de son voyage scolaire à Londres (traversée de la Manche de nuit, aller et retour pour une sensation de tangage du ferry toute la semaine), ME m’a rapporté un magnet et un marque-page du Shakespeare’s Globe. Maintenant, dès que je m’installe au bureau, je lis l’inénarrable formule de Shakespeare au pied de mon écran, et dès que j’ouvre Orhan Pamuk, j’ai aussi la suite, inscrite sur un crâne : « To be, or not to be, that is the Question: / Whether ’tis Nobler in the mind to suffer / The Slings and Arrows of outrageous Fortune, / Or to take Arms against a Sea of troubles, / And by opposing end them. » Je me demande si je ne préfère pas mon impassible reproduction de la vénus de Willendorf, son corps de visage animal.

« J’espère du Roman une sorte de transcendance de l’égotisme, écrit Roland Barthes, dans la mesure où dire ceux qu’on aime, c’est témoigner qu’ils n’ont pas vécu (et bien souvent souffert) “pour rien”. »

Et puis retour à Saint-Georges, pour le démarreur de la 206, et récupérer Noisette. Je l’ai démonté, papa l’a comparé à l’ancien (c’est bien les mêmes), on est allés manger chez mamie, c’est maman qui cuisinait, elle a aussi fait la vaisselle, les deux poules sont entrées pour demander du pain, je suis allé faire un tour à la rivière, mamie m’a remis ses livrets de famille, elle a donné des miettes aux poules dehors, tonton Ben a testé le démarreur (ça marche impeccable), on est rentrés à la maison, papa a fait la sieste, j’ai remonté le démarreur, le voisin roumain est passé discuter avec maman, avec sa petite dans la poussette, il faisait beau mais le vent restait froid, enfin remonté (putain de démarreur !), papa l’a branché à la batterie du tracteur : ça tourne dans le vide, le pignon ne s’encastre pas dans la roue d’inertie, ça tourne encore dans le vide.

Texte 9.2

Jean Boulineau (sans dates) et Denise Cadet (ca 1597), mariés le 2 février 1616 à Saint-Ciers-sur-Gironde || Jean Boulineau (1628-1685) et Marguerite Daubugeon (sans dates) || André Boulineau (1666-1711) et Marguerite Pelissonneau (1670-1720) || Jacques Boulineau (1696-1755) et Catherine Pérodeau (1698-1753), mariés le 5 novembre 1714 à Soubran — la mère de Jacques s’est remariée avec le père de Catherine ! || Jean Boulineau (1727-1803) et Jeanne Chaillot (1728-1784), mariés le 7 novembre 1757 à Soubran — en second mariage, un premier le 7 janvier 1750 à Soubran avec Jean Arrivé (du temps ou Jean était encore un prénom épicène ?) || Marie Boulineau (1758-1820) et Jean Rousseau (1750-1829), mariés le 16 janvier 1781 à Soubran || François Rousseau (1799-1873) et Marie Roux (1796-1879), mariés le 12 février 1822 à Soubran || François Rousseau (1825-1901) et Marie-Thérèse Charrassier (1843-1891), mariés le 29 avril 1878 à Soubran — en second mariage, un premier le 10 février 1858 avec Rose Pérot à Soubran || Louis Jean Rousseau (1888-1975) et Isabelle Missolin, (1891-1975), mariés le 26 juillet 1924 à Saint-Georges-des-Agoûts — en second mariage, un premier le 17 août 1912 à Soubran avec Marie-Héloïse Rousseau (une cousine ?!) || pas de filiation directe, mais un pas de côté avec Isabelle, la sœur d’Alice (la mère Fissou, mon arrière-grand-mère).
(Vertige des noms, des dates, des lieux, de naissance et de décès, de mariage. Vertige des vies passées, oubliées, sans histoires (ou si peu). Vertige des actes pour en attester, vertige du papier et de l’encre à durer. Vertige de l’administration et des archives. Vertige de l’écriture.)

Soirée Fluo

On devait d’abord se retrouver à la Structure. Je suis arrivé le dernier avec ma quiche lardons gruyère. Cécile, Aurélie, Véro, John, Rachel et Vanessa avaient déjà commencé à grignoter dehors en buvant un coup, les plats de charcuteries, de pizza, du pâté, du fromage posés sur le rebord d’une rampe d’accès handicapés. Les mini canelés de Véro, c’était une tuerie !

Il faisait chaud dans la petite salle de rendez-vous du gymnase ! et on était combien ? — Une cinquantaine. — Ouais c’est ça une bonne cinquantaine. Je savais pas où mettre mes affaires. — Faut dire que les tables au milieu, ça prenait de la place. — Ils les avaient mises là avec du matériel pour la lumière noire. Des chasubles fluos, des t-shirts blancs, des bracelets vert, jaune, orange fluo et de quoi se maquiller. — On a pas hésité à se peindre même les cheveux. Avec le souci du détail : des petits points jaunes sur de gros traits bleus. — Des primitifs. — T’avais l’air mignon avec ton serre-tête à papillons rouges et verts.

Vanessa elle était à fond. J’étais à peine arrivé avec ma quiche qu’elle me collait des trucs de pom-pom-girl à fanfreluches sur la gueule.

J’avais vraiment pas envie d’y aller. J’ai essayé de me détendre avec la musique, fort dans la voiture. Gwendoline, une espèce de post punk à retardement. Mais c’est les infos qui m’ont remis d’aplomb. C’est dégueulasse, je sais, mais l’annonce de l’attentat à Moscou, j’en ai éprouvé une petite jubilation. Je me suis dit : Putain, c’est pas trop tôt ! qu’elle comprenne un peu la poutine à la glaviouse ! Bataclan ! dans ta face ! Après voilà, la poutine rien à faire, lui, dans son bunker doré. C’est toujours les mêmes qui prennent, qui venaient pour un concert. Mais ça, j’y ai pas vraiment pensé sur le moment. Sur le moment ça allait déjà mieux. J’ai monté le son.

John avait l’air prêt à jouer au volley comme moi, en tenue de tous les jours, jean et polo. Mais au dernier moment il s’est changé, il a enfilé un jogging et un t-shirt. Tout le monde avait une tenue de sport. Je passais vraiment pour le dernier des vieux punks à rester à jouer avec un jean et un vieux polo. Après, on jouait dans le noir, ça s’est pas vu. Mais je crois que tout le monde s’en foutait.

Et ça gueulait, ça gueulait dans ce gymnase ! — Trois matchs en même temps, pas étonnant. Mais pour s’entendre, avec la musique, t’avais pas le choix. — Y en a qu’avaient pas besoin de musique. Y en a, la déconne c’est naturel et ils le font bien savoir. J’ai vu des joueurs passer sous le filet pour aider l’équipe adverse de bras cassés en gueulant Mais il est où, mais il est où le directeur ? — Oh ça c’était la Cécile. Elle jouait peut-être petits bras, mais avec une grande goule.

Le plus gratiné, c’est celui qui s’est pointé en dernier avec un masque genre Scream dégueulasse et juste une chemise de patient du CHU tachée, pas de pantalon. T’aurais vu comment il le regardait, l’entraîneur de l’équipe de volley, avec sa tenue sponsorisée et ses genouillères. Sacré Patrick.

Le pire, même quand tu veux pas y aller, c’est que tu retrouves plus vite emporté que tu l’aurais cru. Tu lâches prise assez vite en fait. À croire que c’est plus naturel que tu le voudrais.

Apparemment, personne savait pour l’attentat. Personne en parlait. On était pas là pour ça, évidemment. Forcément, quand tu viens jouer au volley dans le noir en tenue et maquillage fluo. Mais quand même. J’avais un peu honte de cette petite jubilation en moi, j’aurais bien voulu savoir si y en avait d’autres des tordus comme moi. À croire que personne, vraiment, avait eu l’info. Ou alors tout le monde s’en foutait royalement et alors c’était pire que moi. Le lendemain, j’ai quand même déchanté en apprenant que l’attentat était revendiqué par l’état islamique — leur colle pas de majuscules à ceux-là non plus —, j’aurais préféré que soit des opposants russes pour fêter la nouvelle élection de poutine.

On nous avait dit que ce serait tranquille, qu’on se fatiguerait pas, qu’on se ferait pas mal, c’est juste pour être ensemble et s’amuser. Tu parles ! cinq matchs d’un quart d’heure et tout juste deux minutes pour tourner sur les terrains. — Putain ouais ! pas le temps de souffler ! — Et quand tu joues, tu joues, tu fais pas semblant ! — Surtout les jeunes de la Mission Locale qui savaient un peu jouer et qui font du sport, ils y allaient à fond. — Ouais enfin, on s’est pas mal débrouiller. En tout cas j’ai retrouvé des vieux réflexes au service et aux amortis ! — C’est ça, des réflexes de vieux qui se souvient quand il était jeune. Et maintenant : t’as mal !

Après les matchs, retour dans la petite salle pour un casse-croûte et un verre. Chacun avait apporté un petit quelque chose, les tables étaient pleines. Mais pas d’alcool. Du coup Aurélie a pas osé sortir ses bouteilles de vin. Les petits canelés de Véro faisaient sensation, mais j’ai réussi à en rapporter une dizaine à la maison dans le plat de ma quiche.

Régulièrement, y avait un ballon qui venait d’ailleurs, et fallait surtout faire attention au gars, ou au gamin, parce qu’y en avait, qui risquait de débouler derrière. Dans l’équipe, c’est Patrick qui partait chercher les ballons en courant à travers tout le gymnase.

Avant les matchs toutes les équipes se sont fait prendre en photo dans un coin du gymnase. Une prise normale, une autre grimace.

Personne s’est rien cassé. — Pourtant on en a vu des chutes, des plongeons, des percussions, des grands écarts, des poignets tordus, les doigts claqués par le ballon, quand c’était pas le dos ou la tête. — Même sans ça, quand la balle arrive vite au service avec un petit effet. Mes bras s’en souviennent. — Eh, on s’est quand même pas mal débrouillés au service. John et Bérénice, ils ont assuré. Et Vanessa aussi, elle a fini par y arriver.

Wham! on s’en serait passé. Mais jouer en musique, dans le noir, c’était pas plus mal. À défaut de pouvoir jouer, on pouvait danser et y en avait une qui faisait que ça d’ailleurs, à se dandiner, à tourner. Si ça se trouve, avec le téléphone, j’aurais pu balancer Gwendoline. Ça aurait été pas mal ça, le « Héros national », pour nos petites assos, à finir au bistrot.

Après, la lumière noire, en pleine poire, t’y vois pas plus clair.

Texte 9.3

(Et voilà surtout que Danièle ajoute sa pierre (sa tuile) à l’édifice généalogique : où Martial retrouve sa place parmi ses frères et sœurs, auprès de ses parents et grands-parents : où la greffe entre les deux arbres est faite. — Mais Danièle, tu ne serais quand même pas de la famille ?!)

((Une nouvelle recherche, du côté de mon père cette fois, m’entraîne sur un arbre plus grand, plus large : avec Dada (1920-2014), je remonte d’abord jusqu’à Pierre Fruneau (1816-1888), puis Michel Mombarbut (1716-1750) d’un côté — vers quatre personnes du xviie siècle : Jean Chevallier, Marie Barle, Pierre Brun (ca 1637-1693) et Catherine Soubilleau (ca 1634-1694) — et Jeanne Vantelon (1704-1759) d’un autre côté — et quatre autres personnes nées a priori au début du xviie siècle : Pierre Coudret, Jeanne Gascher, Mathieu Roulin, Marie Seguin. Vertige dada du temps et des noms, de ces femmes et ses hommes sans histoires, sinon perdues, qui ne se sont jamais rencontrés, sinon sur le papier, l’écran.))

Et ce soir, avec l’équipe de la structure (ou Structure, je ne sais jamais), n’oublions pas la Soirée Fluo.

Une série sans fin de notes sans liens a priori (une véritable gageure, comme une théorie de la physique dont on attend la démonstration expérimentale) relevant de l’écriture le plus littérale, objective, propre et plate, neutre (la fantaisie n’étant pas exclue, elle serait même prise très au sérieux), pourrait-elle finir par composer cet « isolat référentiel de figures interdépendantes », substrat du champ de force métaphorique ?

|| Évidemment, quand on décide de ne publier sur son mur Facebook que ce qui a trait, de près ou de loin, de l’ordre du réel ou de l’imaginaire — en s’autorisant un affichage relativement sauvage pour en sortir —, à ce qui fait mur — et qui fait que le mur (ou murus, pour jouer les pédants?) est d’une certaine manière bien vivant —, impossible de ne pas penser au Mur dans tout son éventail, à commencer par le tristement célèbre Mur de Berlin. Mais impossible aussi, je crois l’avoir dit, de s’y attaquer de front, tant il m’apparaît plus long que la Muraille de Chine et plus haut que le mur des montagnes de l’Himalaya. En revanche, j’accueille avec plaisir tous ceux qui s’y cognent, écrivains·nes et lecteurs·rices. Merci donc à Emma pour cet extrait de Mon Temps libre, de Samy Langeraert : « L’identité de la “première victime du mur” ne fait pas consensus. D’après certains, il s’agit d’une femme de cinquante-huit ans, Ida Siekmann, morte le 22 août 1961 des suites de ses blessures après avoir sauté par la fenêtre de son appartement de la Bernauer Strasse. Pour d’autres, c’est un jeune homme de vingt-quatre ans, Günter Litfin, abattu le 24 août alors qu’il essayait de rejoindre le secteur britannique en traversant un canal à la nage. On peut lire sur Wikipédia que “les coups de feu ameutèrent les passants qui assistèrent au repêchage de son cadavre par la police”. Sur un site officiel de l’administration allemande, on apprend que la Stasi lança immédiatement une campagne de diffamation… » ||

(La Soirée Fluo ne me dit déjà rien qui vaille, mais après l’avant-dernier post sans concession d’André Markowicz que je viens de lire — comme : « Reste une armée d’assassins qui tire sur les civils (d’autres massacres liés à la – maigre – distribution de denrées alimentaires se sont répétés). Reste un État qui déplace des populations entières. Reste, pour le monde dit-démocratique, la honte de voir ça, et de laisser faire. Et ça aussi, cette lâcheté, ou cette indifférence, ça porte en soi la haine, et donc la guerre, et donc la mort, pour des générations et des générations. » —, j’éprouve une certaine honte de m’y rendre, même si ma présence ou mon absence ne changera rien à l’histoire.)

Lors d’une table ronde à la Cinémathèque française en 2014, Serge Toubiana interroge Werner Herzog : « À propos de La Soufrière, j’ je suis frappé par le fait que… Werner, v’ vous réagissez, vous êtes, l’ le film, la réalité vous appelle, la réalité euh… ce volcan qui menace de d’entrer en éruption, f’ fait appelle à vous, fait appelle au cinéma, le cinéma vient euh… répondre à une demande de la réalité, de la géographie, du paysage. »

Texte 9.1

Ce soir, un documentaire sur la grotte Cosquer — aucune envie, finalement, de regarder la série Citoyens clandestins sur Arte, qui nous ramène au 11 septembre, malgré l’avis de Cécile et le casting de choix ; voir comment, d’une manière ou d’une autre, plus ou moins directement, la radicalité va infiltrer l’islam, les musulmans vont être stigmatisés, la sphère médiatique, le monde politique, et pas mal de pourris, flics ou voyous, violence physique, violence psychique, les mots plus durs que les gestes, dans les tours, dans des caves, et merci la ville… je ne sais pas, j’imagine, j’exagère, je me trompe, ça me suffit : non —, prétexte à l’étude globale de la vie des hommes préhistoriques, sur les côtes européennes, méditerranéennes et atlantiques, quand l’Europe était recouverte par un glacier colossal, quand le niveau de la mer était plus bas de 120 mètres, quand la côte atlantique se situait à 200 kilomètres plus à l’ouest, faite de plaines et de collines, quand la Manche n’était encore qu’un fleuve, mais puissant, au delta géant, quand tout aura été englouti avec le réchauffement climatique, la fonte du glacier, la montée des eaux, sauf sur la côte nord de l’Espagne et la côte sud de la France, avec des restes, des riens, un imaginaire de fresques et de gravures fragiles pour des récits de coquilles et d’os brisés.

Geneanet — Je n’avais pas pris le temps de découvrir les fonctionnalités du site. Avec Martial (le père du petit Marcel), sur Saint-Georges-des-Agoûts, je découvre une fiche indiquant le lieu et la date de sa naissance, ceux de son décès, ceux de son mariage avec Marie Alice Missolin. Et surtout, un onglet représentant son arbre, très sommaire puisqu’il se réduit à deux tuiles : elle et lui, l’identité et les années de naissance et de décès. D’un clic, celle de Martial ne mène nulle part ailleurs que sur cet arbre en germe. Mais la tuile d’Alice ouvre un arbre développé sur les branches duquel apparaissent : son frère, ses parents, ses grands-parents, quatre de ses bisaïeuls et quatre de ses trisaïeuls (dates inconnues, morts avant 1816, nés au xviiie siècle, peut-être entre 1760 et 1770). De clic en clic l’arbre se reconfigure, avec de nouvelles tuiles, de nouveaux noms et prénoms, d’autres dates, des décalages dans les rangs familiaux, la famille s’est agrandie et l’on perd les liens de filiation, l’arbre a poussé mais d’où en fait ? Fissou a disparu, Missolin aussi, et qui a créé cet arbre ? « Rmaquin ». Quelqu’un qui aurait un lien de parenté avec tous ces gens, donc avec moi ? On peut consulter son arbre généalogique : 172 233 personnes… ! C’est vraiment sa famille ? Je serais lié à tout ce monde ? Mais pourquoi Martial, lui, reste-t-il isolé ? « Rmaquin » n’a pas effectué de recherche parce qu’il ne concerne plus sa famille ? Une petite recherche avec son père, Pierre, sur Roziers-Saint-Georges, permet de retrouver l’arbre des Fissou… sans lui. L’auteur se nomme « gabrielalbu », l’arbre compte 111 377 personnes. C’est aussi la famille sur cette branche coupée ? J’additionne tout, et moi et moi et moi, et voilà ? Et jusqu’où remonte ces deux arbres, au plus des siècles ? Vertige de la mort.

J’ai passé la journée avec Voltaire, entre détournements de mots, confusion dans les termes, expressions ambiguës, nuances de sens, et une batterie de tests sur ma capacité à identifier, ou non, sur une liste de 195 phrases indépendantes, une ou deux erreurs sur 3 mots ou groupes de mots soulignés. J’ai bien dû faire une quinzaine d’erreurs, la plupart relevant de l’inattention — tiens, la plupart : si la locution est suivie d’un complément, le verbe se conjugue avec le genre et le nombre celui-ci ; si elle est employée seule, comme pronom indéfini, le verbe se conjugue au pluriel.
J’ai appris plein de petites choses. Par exemple, que le verbe conserver possède un sens bien précis en marine : il s’agit, pour des bateaux, de naviguer en ne se perdant pas de vue, de là l’expression de conserve. À ne pas confondre avec de concert. Et démarrer provient aussi de la marine, avec le sens de désamarrer, larguer les amarres. Mais j’ai la tête retournée. Je serais bien capable de ne plus faire la différence entre des boîtes de conserve et une boîte de concerts.
(Demain, l’épreuve.)

« En peinture, le talent de rendre un paysage énigmatique vient de la capacité à deviner qu’un autre monde existe, caché à l’intérieur du nôtre. » Orhan Pamuk, Souvenirs des montagnes au loin) — Seulement en peinture ?

Anne-Marie Garat, postface à Penser comme un iceberg (j’accentue) : « Ni rêverie ni rêvasserie comme le prétend le commun, mais le songe endormi ou éveillé qui reconfigure notre rapport au monde par le langage métaphorique : la métaphore comme socle de la pensée. Une manière de penser, véritable artefact mental qui, au lieu d’obéir à la raison raisonnante, procède par un transfert analogique du propre au figuré, et inversement, composant un isolat référentiel de figures interdépendantes, matériau du symbolique et source de la re-présentation — présentation une deuxième fois sous l’aspect du simulacre : feinte, fiction (même étymologie) par laquelle s’accomplit le sens, si plurivoque, équivoque qu’il soit. Pas une astuce bonne aux esprits faibles, à qui il faut imager pour intellecter, servir des exempla, des histoires pédagogiques ou pastorales pour les tirer de leur hébétude foncière. Plutôt cet état, qu’on dit second et qui est assurément premier, et même primordial depuis que notre humanité des cavernes commence d’appréhender la réalité empirique qui l’environne, le milieu visible, céleste et terrestre, matériel, organique, en opérant proprement une lecture, l’acte du déchiffrement et de l’interprétation des signes. En postulant une existence à l’invisible, qui n’est pas la part cachée, la coulisse ou l’envers de la vie, plutôt sa présence entière. »

« Dans la famille Bossuet du cimetière de Saint-Thomas-de-Conac, je demande Marcel Fissou. — Non ! Mais il y a Angèle (1869-1902), mariée à Olympe Louis « Arsène » Delas (1866-1902) — morts le même jour, le 2 février ! par quel malheur ? —, il y a le père Auguste (1845-1932), il y a le cousin germain William (1881-1961), et il y a un Bossuet inconnu dans une tombe sans prénom, m’a dit peu ou prou la secrétaire de mairie au téléphone. »

Aujourd’hui, dans son carnet web La Grange, Karl est en phase avec l’exercice de f: partir d’une histoire, votre propre histoire via vos successifs outils d’écriture, et ça peut remonter à l’enfance. Karl parle du café ce matin, et il écrit : « S’assoir dans un café, prendre un livre, un café et un carnet de notes papier. J’ai acheté celui-ci car il avait de petites cases, un papier vert clair et les lignes en vert plus foncé. Je veux sentir l’humanité, à l’affût entre les pages de mes lectures, pendant les brèves pauses où je bois dans la tasse. » — Moi, le matin, c’est souvent avec la radio en fond sonore, le café. Parfois les notifications du Monde en fond d’écran. Des tartines de brioche ou de pain grillé avec une couche de confiture (prune, figue, fraise) et d’infos (en veux-tu, en voilà). Mais ce matin, surtout, le café n’était pas très bon. Ça m’apprendra à utiliser ce paquet qui trainait, de marque inconnue, dans lequel la texture du café moulu valait bien celle d’un sable noir.

Mais le soleil en début d’après-midi sur la terrasse, tasse de café en main, lumière et chaleur sur le visage. C’est bon. Quelques chants d’oiseaux. Et des véhicules, une débroussailleuse. Et les chiens d’en face qui m’ont aperçu et qui gueulent.

J’ai trouvé le dernier billet littéraire de Nelly Kaprièlan, dans les Inrocks du 14 mars dernier, dur avec les écrivains-écrivants (disons plutôt, avec Barthes) : « Car même si, de temps en temps, le romancier-tâcheron prend soin de parsemer son texte d’aphorismes sur la vie, la mort et la coiffure pour mieux faire “littéraire”, le vrai problème, c’est qu’en fait, il tourne un film. Ou une série. Dans sa tête. Et il nous le donne à voir. Mais pour dire quoi ? Rien. Juste pour nous distraire. Juste pour l’entertainment. Est-ce suffisant ? »
Moi, je me dis que si j’arrivais à distraire, un peu, ce serait déjà pas mal. Possible que ça arrive de temps en temps, mais je me demande de quel genre de distraction il peut alors s’agir.
Ensuite, le coup du film ou de la série qui défile dans sa tête, je trouve l’idée assez bonne comme exercice d’écriture, avec le découpage des plans, des séquences, et le montage, les collages et les superpositions d’images. Mais je comprends que ce ne soit pas suffisant le tout en images et en actions. De toute façon, ici, ce ne sont que des épreuves qui restent quand le film est fini. Et c’est peut-être ça que Nelly a aussi en tête avec son « romancier-tâcheron » oublieux des mots aussi, des phrases, de la ponctuation (et même les espaces, les blancs, les vides, pour les plus pointilleux). Tout ça il faut l’articuler.
Là où elle a raison, c’est pour l’entertainment. S’il en est vraiment question, on peut même directement qualifier le romancier de tache. Mais là où je ne la suis pas vraiment, c’est pour le rien à dire ? Tous les romanciers qu’elle vise comme n’ayant rien à dire me semblent, au contraire, avoir quelque chose à dire, un discours à tenir, un message à transmettre, une critique à formuler, une prédiction à révéler. Est-ce que le problème n’est pas là, de vouloir dire quelque chose, justement ? Ou plutôt de le dire, effectivement, quand il vaudrait mieux s’intéresser à la volonté, à l’intention, au désir ou au besoin de le faire ?
(Je sais que certains diront Y en a marre de tout ça ! ces espèces d’insistences qui précèdent l’existence ! — oui, j’abuse un peu — et puis d’abord montre-nous ! montre un peu comment tu mets ça en forme, comment tu le mets en scène, en phrases, en mots ! et comment tu le donnes à voir aussi, tiens, quand ça monte, ça monte, ça monte !)

Une idée, comme ça : les textes à trous, pourquoi à les lire on serait gêné puisqu’un journal, un carnet ne procède pas autrement que par grandes trouées, coupes, sauts, ruptures, reprises et abandons, d’un sujet à l’autre ; le texte à trous, ce serait un peu du même genre, mais pour un même sujet, une idée qu’on énonce, qu’on laisse pour une autre, ou pour ses circonstances, et puis on y revient, la même idée mais dans une autre phrase, avec un temps de retard, ou deux trois, et puis non, on change de sujet — une façon d’avancer en crabe, en pas de côté, saccadés ?

Stratégie de communication 1 en atelier d’écriture : attendre avant de mettre en ligne les textes, les noyer dans la masse des textes à l’œuvre avec la consigne d’écriture du moment, espérer que les éventuels lecteurs aient oublié les instructions formelles précédentes, prier pour que personne ne s’aperçoive que les textes ne correspondent à aucune.
Stratégie de communication 2 en atelier d’écriture : écrire comme on veut, sans souci de contrainte (sinon personnelle), et publier le texte dans le cadre de tel ou tel exercice, n’importe lequel (l’actuel de préférence).

Visite d’une fabrique de cirage

L’autre jour, avec la structure, on est allés visiter une usine de fabrication de cirage et de produits d’entretien à Magnac-Lavalette-Villars. Le site est grand pour le village de moins de 500 habitants. À l’écart du bourg, il est composé de deux grands bâtiments : l’usine même (une ancienne laiterie) et un récent entrepôt (où se logent aussi les bureaux). Pas de grand panneau ni de grande enseigne sur les murs mettant en avant la société, les lieux étaient vides quand on est arrivés en début d’après-midi. On s’est garés devant le hall d’accueil vitré dans lequel se trouve un long sofa vert pomme en formant une boucle. Il y a de la lumière à l’intérieur, des silhouettes derrière les vitres, devant des écrans. Personne pour venir à notre rencontre. La porte du hall est verrouillée. Pour entrer, il faut communiquer à l’aide d’une borne comportant un micro et une caméra, mais ça ne fonctionne pas. Il fallait s’adresser à l’autre borne, où un petit autocollant à coins relevés indique qu’il s’agit de l’accueil. On a appuyé sur le bouton, la borne a sonné et s’est illuminée. On n’a à peine fini de se présenter que la porte s’est ouverte. On est entré dans un petit hall, sans savoir où aller devant les couloirs sombres. Une femme apparaît, un homme derrière elle. Elle nous signale, avec un fort accent slave, que nous sommes en avance et nous demande d’attendre dehors, quelqu’un va arriver.
La visite se fait avec le directeur commercial. D’abord l’usine : côté « cuisine » avec l’entrepôt des matériaux (de la cire d’abeille principalement) et les salles des machines (de grosses chaudières) ; côté « prod » pour préparer et empaqueter les commandes sur des tapis et des étiqueteuses automatiques (sauf pour les produits d’Hermès, tout à la main) ; côté « labo », une petite salle très claire où l’on crée les recettes et conserve un échantillon de chaque produit créé, de chaque lot (pour une « bibli » de boîtes, de bouteilles, de flacons et de pulvérisateurs, riches en formes et en couleurs) — et partout ça sent la cire chaude, entre le savon et le miel. Ensuite, l’entrepôt : totalement fermé, fortement éclairé ; un long et large couloir de circulation des chariots élévateurs, de préparation des palettes ; deux immenses hangars, remplis de palettes et de cartons, petits et gros, par milliers, montés sur des étagères d’une dizaine de mètre de hauteur sur plusieurs dizaines de mètres de longueur, montants bleus, traverses jaunes (l’impression de se retrouver dans un tableau de Mondrian modélisé en 3D).
On traverse rapidement les bureaux et termine dans la salle de « négo » : entre salle d’exposition des produits (sous un jour muséal, par exemple avec des embauchoirs « maison », dont on perçoit les différentes phases de production (découpe, rabotage et sculpture, polissage, à partir d’une espèce de bûche sans écorce), et les contrefaçons d’ailleurs) et salon de luxe : deux sofas vert pomme, une table basse à trois étages de couronnes de bois oblongues (des catalogues dessus), un épais tapis gris clair à lignes ondoyantes, des fauteuils vert pomme, une bibliothèque contenant les produits phares et les plaques des différentes marques encadrées comme des diplômes (et quoi dans les tiroirs, cigares, cognac, clichés ?), et une grande terrasse avec vue sur la colline et le château de Villebois.
La visite a duré plus de deux heures. Immanquablement, je n’en ai encore rien dit. Il faudrait aussi parler de notre guide, qui n’aime pas trop aller en « cuisine » parce que ça glisse, qui participe à des concours de glaçage de chaussures, et des ouvriers qui travaillaient, occupés ici à nettoyer un tapis, là à surveiller le remplissage des pots de cire chaude, là à vérifier la fermeture des couvercles et les étiquettes avant emballage, et pendant la pause-café, le même qui avait confié à Cécile, en passant, qu’il l’aimait pas lui (notre guide) : « Ben faut en vouloir pour bosser là ! » Point de détail : le bardage métallique de l’entrepôt, couleur de cire dorée, ajouré d’innombrables trous en forme d’alvéoles. (Et je repense au problème qui s’est posé à Walter Benjamin au cours de sa « Visite d’une fabrique de laiton », dont il parle dans Lumières pour enfants : « On ne comprend bien de l’extérieur que ce que l’on connaît de l’intérieur, cela vaut pour les machines comme pour les êtres vivants. »)

|| Il y a des dieux et des déesses crasses et magnifiques, qu’on n’approchera pas, un jour peut-être, sans crainte, les sachant nécessairement inaccessibles — Oh my Gordon ! Et puis il y a ces elfes qu’on rencontre par surprise et qu’on suit un instant sans souci de savoir où leur petite lumière nous mène. Par exemple, ce matin, j’ai découvert les chansons confidentielles de Dear Pola, et ce qu’elle en dit sur son Mur, qu’elles sont (avec cette petite erreur instagrammatique) tout « emprégnées de cette dualité entre refuge et mystère. La noirceur n’est pas toujours à craindre, elle abrite parfois la plus douce des lumières : la tendresse. Ces chansons sont des récits d’ombre, de douleur, et de cette amitié intime avec la douceur, tenue et délicate. 🎶 Enregistrées de manière intime, avec les moyens du bord, dans ma chambre. » ||

SOLASTALGIE | Bernard pense « que cet arrière-pays que d’aucuns appellent racines, ça n’existe pas ou si peu : même quand on est en son plein milieu, il nous manque. Ça doit être un mythe inventé par je ne sais trop qui (les marchands d’armes ?). » — Merci pour ce contrepoint. Je n’avais pas pensé aux racines. Pourtant le mot se trouve dans l’extrait que j’ai cité, en négatif : « le sentiment d’être déraciné ». Mais je ne crois pas (ne veux pas ?) qu’il s’agisse de ça. L’image des racines implique l’idée d’un creusement de terrain d’autant plus profond, et d’une ramification dans la matière d’autant plus large, qui garantit, pour un arbre (l’image ne fonctionne plus vraiment avec l’herbe — alors pour l’humanité et ses symboles…), sa stabilité, sa croissance et sa durée. Les racines participeraient de l’ancrage dans le temps, du creusement de l’histoire, faites de mille et un récits ramifiés. Or, pour moi, la solastalgie ne s’est pas inscrite dans ce cadre. Elle relève surtout d’une perspective géographique locale, ici, maintenant : du lieu de vie (« votre environnement habituel »), des sens en action (« contexte affectif de désorientation », « effacement des points de repère sensibles »), du symbole et de la métamorphose (« multitude de signes », « récits qui nourrissent l’imagination et structurent la vie pratique »). Et s’il fallait parler d’histoire ce serait à l’échelle d’une vie, d’un « présent progressif », disons, qui dure quelque temps (combien, on ne saurait le dire exactement ; même si on pouvait le savoir, on ne le voudrait pas ; et puis, dans l’échelle des temps à modes multiples, quelque temps c’est toujours trois fois rien).
Maintenant, pour y voir plus clair, il faudrait se reporter à Glenn Albrecht, qui a forgé le mot solastalgie (combinaison de nostalgie et de la racine latine solari, inhérente à consolation et désolation), et, pourquoi pas, à Maurizio Bettini pour son Contre les racines que je me suis promis de lire un jour.

(Est-ce que le Chat GPT, si open, ou le Chat noir toujours dans le vent, dans la mesure où l’on fournit quelques informations médicales, est capable d’engager un pronostic vital ? — Mais quelle horrible idée que voilà…)

Texte 8.3

Orhan Pamuk, sur la même page des Souvenirs des montagnes au loin : « Je prends ces notes parce que je suis heureux. Parce que je ne veux pas oublier. Il me suffit d’une page qui me raconte en détail ma journée pour qu’elle me paraisse plus réelle. » — « Le monde est si riche, si foisonnant, qu’en comparaison mes notes dans ce carnet, mes aventures, les hommes, mes rêves, etc., ne sont qu’une goutte d’eau dans l’océan. » — Un supplément de bonheur ?

Texte 8.2

Évidemment il y a de la musique en même tant que l’écriture. Et j’ai beau réserver les premières places dans le chiotte des galeries noires aux Cramps en mode animal furieux et pressé « Surfin’ Bird », ou aujourd’hui la Kim Gordon de Collective en boucles de basse, et quelques larsens abrasifs, industrielles et scratchées, je me laisse parfois facilement emporter par une plage de piano feutrée, « douceureuse ».  Ce soir, Ô Lake l’a emporté. Et la curiosité aussi, qui m’a emmené du côté des images animées. Or, en découvrant le clip de « Funeral », cette espèce de fantôme enfantin, en forme de drap, qui semble errer dans la forêt, au bord de l’eau, et puis remonte un champ dans un coteau, s’égare un instant au bord du précipice et puis retourne dans la forêt, et alors il n’est plus seul, d’autres petits fantômes sont là, à moins qu’il s’agisse du même démultiplié… c’est ça, c’est ce qui se passe ici même avec le petit Marcel, quelque part avec le pont, la petite rivière, les arbres tout autour, le pré et plus loin le grand champ, le coteau, et puis l’instant de sa mort, et d’un texte à l’autre il est toujours plus ou moins là, c’est toujours lui, plus ou moins autre…
(On a bien le droit d’affabuler.)
((Avouons-le, c’est quand même plus facile d’écrire avec trois notes de piano étirées sur deux heures que dans un mur de son clinique qu’on imagine produit par mille guitares monocordes shootées à l’électricité de Tchernobyl et Fukushima — Eh, mollo sur les images ! —, même si au bout de deux heures on n’y fait pas plus attention qu’un acouphène si l’écriture a bien pris. — Faut quand même qu’elle ait sacrément pris et monté.))

Papa a appelé (non, en fait c’est moi ! — quelle étrange inversion…) : le démarreur est bien sous tension, mais il tourne à vide : il va falloir démonter et remonter.

En allant chez mes parents remonter le démarreur, maman m’a appris que le petit Marcel serait certainement enterré à Saint-Thomas, dans le caveau de la famille Bossuet. — Bossuet ? — Oui, mamie Alice avait deux sœurs et y en a une qui s’est mariée avec un Bossuet de là-bas. Et y a même un autre petit qu’est mort à l’époque. Mais lui il était déjà mort en naissant, c’était une fausse couche. — De qui ? de mamie Alice ? — Non, non. De l’autre sœur qu’était mariée avec l’oncle Rousseau. — Rousseau ? — C’est à lui qu’appartenait la maison de Lulu avant. — Et je l’ai pas connu ? — Eh non ! il est mort le jour que t’es né !

Texte 8.1

À vous : violence commise, subie, témoignage ? Sans durée, mais emporter dans le texte le lieu, les circonstances, le grossissement, et bien sûr lui, le geste dans son irréparable, et ce qui échappe probablement à celle ou celui même qui le commet ? — f

Aujourd’hui, grand ciel bleu et belle douceur printanière, j’en ai bien profité pour me glisser sous le capot et le moteur de la 206 tout l’après-midi. Ce n’était pas une petite sinécure, d’autant moins qu’il a fallu presque tout faire à l’aveugle, pour tourner, retourner, emboîter le démarreur sur le moteur dans un espace réduit, avec une espèce d’ergot pour sentir le moment où la pièce se fixe au trou de passage, et enfiler les vis à tâtons, un coup d’œil de temps en temps pour se reprendre, avec une lampe, pour visualiser l’espace dans lequel les doigts vont se faufiler, en glissant sur le bord du démarreur pour rejoindre l’extrémité de la vis et attraper, de là, l’écrou tendu par le pouce et l’index de l’autre main, arrivés par-dessus la durite qui bloque, le bras qui bouche la vue, l’épaule qui déchire le dos, le visage qui grimace, l’œil sur le bout des doigts, l’écrou en équilibre instable, le trou de passage qui se dérobe. Cette fois, j’avais prévu des gants en latex.

On sera peut-être pas trop de deux, cette fois, pour ces gestes affreux qu’on imagine, au point de les vivre, de les sentir remonter du fond de soi au point de les mimer, avec des mots dits par qui, en fait ? — Si tu veux, mais moi j’ouvre pas le double fond.

Et maintenant que c’est là, énoncé comme un projet d’écriture, venu d’un autre qu’on connaît depuis longtemps, sans le connaître vraiment, ou sans le connaître autrement, mais depuis longtemps, à se demander si ce n’était pas déjà là avant, si ce n’était pas là dès le début, dès la première rencontre, d’une manière ou d’une autre, dès la première proposition d’écriture — comme c’est là, est-ce que ce n’est pas un peu ça ce que tu cherches à traverser avec moi, du fond de mes limbes, la dimension de la violence, moins celle que j’ai pu subir, comment le savoir, que celle éprouvée par les autres ? et, dans l’épreuve, tu chercherais incidemment les liens qui ont pu se nouer ou se défaire ? le tissu des liens ? — Si tu le dis.

« Et l’on peut se demander ce que sont en l’occurrence événement, crise, pathologie, traitement, décision, autorité, juger, agir, intervenir. ce que vaut la panoplie de ces vocables si consensuels dans notre vieil usage, véhiculant de si veilles normes de pensée qui habillent uniment les faits, les dissimulent, les accommodent et les défigurent en dégageant leur sens en touche, fonction opératoire des “éléments de langage” dont l’usage en politique, comme dans l’ordinaire des jours, illusionne les réalités à défaut de les changer, ou pour s’éviter de les réformer. » (Anne-Marie Garat, dans Penser comme un iceberg)

Ce matin, en voiture, un faisan sur le bord de la route, qui s’est mis à courir le long de la route à mon passage, sans chercher à entrer dans le bois. Hier matin, sur une autre route à deux ou trois kilomètres à vol d’oiseau, un faisan sur le bord de la route, qui n’a pas bougé d’une plume. Possible qu’il s’agisse du même volatile. Mais pourquoi n’a-t-il pas cherché à s’envoler ?

PROJET VOLTAIRE
« “deux à trois” ou “deux ou trois” | Dans l’expression soignée, la préposition “à” ne doit être utilisée pour exprimer l’approximation que si les deux nombres qu’elle sépare ne se suivent pas (dix à douze personnes) ou s’ils se rapportent à des quantités susceptibles d’être divisées (deux à trois kilomètres). | Sinon, il faut employer la conjonction de coordination “ou” (dix ou onze personnes). »
Je crois qu’à la fin, mon Voltaire, j’aurai deux trois choses à te dire. On verra si tu juges la quantité de ma susceptibilité divisible.

|| « Ça aide beaucoup, les murs ? », se demande André Markowicz. Mais l’essentiel est ailleurs : « Parce que le récit national est le même partout, et celui des « petits nationalismes » se ressemble de pays en pays, voire de région en région, à travers tous les continents. Rien n’est plus non-national qu’un nationaliste. » — Ça aide beaucoup, les murs ? ||

Au Domaine des Fossés, on a parlé de toi Marcel. — Normal pour le lieu. Mais je me demande bien de quoi il a été question. — Eh bien, on s’est demandé si tu avais commencé à parler, ou du moins à aller dans le sens de la parole, à émettre quelques syllabes de l’ordre du babillage, peut-être à imiter quelques paroles entendues. — Et alors ? — Eh bien, sachant qu’il y a un siècle, au fin fond de la campagne saintongeaise, on devait vivre encore un peu à l’ancienne, en emmaillotant les nouveau-nés et en ne leur parlant pas beaucoup, contrairement à aujourd’hui où les bébés sont stimulés par les paroles et les gestes des parents, et libres de leurs mouvements, je me dis que l’éventail syllabique de ton babil était bien moins large. — Et alors ? — Alors, voilà.

Emma écrit : « Tu peux écrire comme ça en attendant que quelque chose s’écrive. » — Et moi, je crois vraiment que ça, j’aurais pu l’écrire. J’ai même dû l’écrire quelque part, en fait. Ou ça va venir. Et, s’il faut toute la vie pour ça, et qu’à la fin je n’ai en fait pas eu le temps de l’écriture, moins par manque de temps que faute d’avoir trouvé le bon moment, saisi l’instant, le kaïros : alors la vie même en s’achevant en sera la plus belle signature !

(Jack, reviens ! J’crois qu’on a un problème. Faut lui dire à Emma de surveiller un peu son langage. Elle se rend pas compte, des fois, à quel point ça le travaille ! Vas lui dire toi. — Non mais tu m’as vu ?! De toute façon, c’est pas un problème de conjoncture chez lui, mais de structure. C’est foutu d’avance. Et puis c’est pas vraiment faux : il écrit pour que ça s’écrive, un jour. Et là où ça marche le mieux c’est dans ses textes à trous. Enfin moi c’est ce que je préfère. De se taire, ça donne de l’air !)

((Sinon Jack, c’était comment la journée ? — Merde ! passe encore la réunion a rallonge toute la matinée, mais bon Dieu, se taper encore une heure de pause déjeuner avec les formateurs qui passent la plupart du temps à déblatérer contre les profs, à juger le problème, à traiter la crise, à intervenir dans les classes, à mépriser le public, valoriser le privé, et vive l’autorité des formateurs si bienveillants, qui feraient bien de remercier un peu plus les profs, parce que c’est quand même grâce à eux, et surtout au système qui les considère plus, qu’on a autant de stagiaires qui doivent se former et souvent on part de loin, mais une heure comme ça, à critiquer les profs, simplement parce qu’on y a été à l’école, au collège, au lycée, et peut-être même qu’on a fait des études, et alors là on a rien appris parce que les études, quand même, ça doit approfondir un peu le champ de la réflexion et de la compassion, j’vais quand même pas parler de pensée et d’humanité, faut pas abuser, mais quand même, ça devrait pouvoir faire qu’on affine sa perspective critique, qu’on trouve de nouvelles méthodes, de nouveaux moyens, qu’on dialectise tiens, ça me changerait ça si j’y arrivais, et surtout, surtout qu’on relativise, qu’on fasse preuve d’humilité et de solidarité tiens, c’est ça, les formateurs, ils pourraient se faire un peu plus solidaires des profs qui font quand même, avouons-le, le plus gros du travail, merde ! faut le reconnaître, et c’est pas simple avec toute l’étendue des savoirs et des savoir-faire, surtout quand on veut développer un tant soit peu d’esprit critique et que ça nécessite de prendre un peu ses distances d’avec le monde, parce que c’est lui qui va prendre, mais d’avec soi aussi, pour éviter de raconter trop de conneries, parce que t’as pas la science infuse, et parce que le monde, eh ben t’en fais partie, t’es toujours un peu juge et partie, et puis merde ! parce qu’on est pas des bêtes, même si à regarder le monde comme il est en train de virer on aura bien raison de me critiquer, mais quand même, on est pas tous des bêtes, y en a pas tant que ça, non, pas tant que ça, et ça c’est peut-être aussi grâce aux profs, en partie, en grande partie j’crois bien, malgré les bâtons dans les roues que leur met le système, à cause de la rocaille dans ses propres engrenages, de la racaille politique tiens ! ça c’est gratuit, et sans fondements bien sûr, ou du moins sans preuve, encore que si on parle d’Amélie Oudéa-Castéra, « auteure de la phrase immédiatement culte : “La réalité de me donne tort.” Admirable Amélie ! à qui la fiction donne raison », comme l’a bien dit Morel, et c’est ça aussi qui donne raison à mes formateurs, si ça trouve, dans leurs critiques, dans leurs arguments, avec des mots neutres en apparence, et quelques cas qu’on fait passer pour des généralités, hein ? mes formateurs critiques qui pourraient être un peu plus solidaires, un peu plus reconnaissants, en laissant le temps à la réflexion au lieu l’argumentation réflexe, parce que la formation et l’éducation, quand t’y pense c’est un peu la même maison de la transmission du savoir et de quelques valeurs, non ? c’est Même combat ! merde ! sinon faut pas rester, d’ailleurs elle est pas restée Amélie, sinon qu’on vienne pas me parler d’esprit d’équipe en réunion, ou de collectif, et toutes ces prétendues valeurs qui peuvent vite, très vite, tourner en jus de boudin, surtout dans ce monde de la formation tout dévoué au monde du travail, aux entreprises pour faire monter en compétence les employés, à France Travail où le nom se confond avec le verbe pour qu’ils deviennent enfin employables les D.E. anonymes dans le jargon, et dans ce monde-là du travail, ou Travaille ! merde ! me parler de ces valeurs, du collectif, de l’équipe, de la maison tiens ! la belle image, c’est bien vite la famille et la patrie, la « Maison France » avait dit un jour la Royale, et nous y voilà non ? au pas, à marcher là nous voilà, merde ! alors voilà nos petits formateurs avec leurs valeurs contre-éducationales, c’est beau ce mot mais je syncrétise, on est entre soi tout le monde comprend, nos petits formateurs, à cracher dans la soupe de l’éducation nationale alors qu’ils feraient mieux de rester le nez dans leur gamelle et de se reposer l’esprit en goûtant leurs restes après en avoir tant eu en réunion, de l’esprit pas des restes, encore que si tu mélanges ça s’accorde pas mal, des restes d’un esprit tombé dans les gamelles comme le colosse de Rhodes au fond du port, dont il reste plus trace, la sixième des Sept Merveilles du monde, si jamais y en a un qu’en a entendu parler, cette statue immense du dieu du Soleil qui défiait déjà la gravité, rien qu’avec du bois et du bronze, et tiens ! est-ce qu’ils savent ça, mes formateurs, que la structure en bois, le squelette en bois d’une statue, ça s’appelle une âme ? une âme en bois, ça leur parle ? sur un corps de métal si lourd au-dessus du vide, parce qu’elle surplombait l’entrée du port, la statue, et elle s’est effondrée dedans, cause tremblement de terre, c’était pas au programme d’histoire ça… ? — Euh, merci Jack ! merci ! — Ouais, ça va, on a compris… — Sinon y avait quoi dans ta gamelle ? — Sauté de porc avec des nouilles. Et trop de piment.))

Alors ? qu’est-ce que je disais à propos du travail des peuples premiers sur la question de la division homme/animal ? Même les scientifiques s’accordent sur le fait de les impliquer dans leurs recherches. « Pour cela, il faut écouter des voix différentes et ne pas les considérer comme des superstitions d’un autre âge, de fausses croyances. Ces voix témoignent d’une “intelligence susceptible d’informer la science” », écrit Remaud.

|| Et — nouvelle dérive, à la mode des continents — la poésie n’a pas attendu la science. Après Party of the Dead, Fossil Free : c’est à ce mouvement que se sont associées Kathy Jetñil-Kijiner, Marshallaise, and Aka Niviâna, Groenlandaise, à l’occasion de leur poème à deux voix Rise — comme un prolongement du mouvement intra-muros des Ukrainiens en exil, mais cette fois consacré à la Terre plutôt qu’à l’Homme (mort), et l’exil plus directement localisé, d’une île (de glace) à une autre (tropicale), toutes encerclées par un même mur d’eau :

Sister of ice and snow
I’m coming to you
from the land of my ancestors,
from atolls, sunken volcanoes–undersea descent
of sleeping giants

Sister of ocean and sand,
I welcome you
to the land of my ancestors
–to the land where they sacrificed their lives
to make mine possible
–to the land
of survivors.

I’m coming to you
from the land my ancestors chose.
Aelon Kein Ad,
Marshall Islands,
a country more sea than land.
I welcome you to Kalaallit Nunaat,
Greenland,
the biggest island on earth.

Sister of ice and snow,
I bring with me these shells
that I picked from the shores
of Bikini atoll and Runit Dome

Sister of ocean and sand,
I hold these stones
picked from the shores of Nuuk,
the foundation of the land I call my home.

With these shells I bring a story of long ago
two sisters frozen in time on the island of Ujae,
one magically turned into stone
the other who chose that life
to be rooted by her sister’s side.
To this day, the two sisters
can be seen by the edge of the reef,
a lesson in permanence.

With these rocks I bring
a story told countless times
a story about Sassuma Arnaa, Mother of the Sea,
who lives in a cave at the bottom of the ocean.

This is a story about
the guardian of the Sea.
She sees the greed in our hearts,
the disrespect in our eyes.
Every whale, every stream,
every iceberg
are her children.

When we disrespect them
she gives us what we deserve,
a lesson in respect.

Do we deserve the melting ice?
the hungry polar bears coming to our islands
or the colossal icebergs hitting these waters with rage
Do we deserve
their mother,
coming for our homes
for our lives?

From one island to another
I ask for solutions.
From one island to another
I ask for your problems

Let me show you the tide
that comes for us faster
than we’d like to admit.
Let me show you
airports underwater
bulldozed reefs, blasted sands
and plans to build new atolls
forcing land
from an ancient, rising sea,
forcing us to imagine
turning ourselves to stone.

Sister of ocean and sand,
Can you see our glaciers groaning
with the weight of the world’s heat?
I wait for you, here,
on the land of my ancestors
heart heavy with a  thirst
for solutions
as I watch this land
change
while the World remains silent.

Sister of ice and snow,
I come to you now in grief
mourning landscapes
that are always forced to change

first through wars inflicted on us
then through nuclear waste
dumped
in our waters
on our ice
and now this.

Sister of ocean and sand,
I offer you these rocks,
the foundation of my home.
On our journey
may the same unshakable foundation
connect us,
make us stronger,
than the colonizing monsters
that to this day devour our lives
for their pleasure.
The very same beasts
that now decide,
who should live
who should die.

Sister of ice and snow,
I offer you this shell
and the story of the two sisters
as testament
as declaration
that despite everything
we will not leave.
Instead
we will choose stone.
We will choose
to be rooted in this reef
forever.

From these islands
we ask for solutions.
From these islands

we ask
we demand that the world see beyond
SUV’s, ac’s, their pre-packaged convenience
their oil-slicked dreams, beyond the belief
that tomorrow will never happen, that this
is merely an inconvenient truth.
Let me bring my home to yours.
Let’s watch as Miami, New York,
Shanghai, Amsterdam, London,
Rio de Janeiro, and Osaka
try to breathe underwater.
You think you have decades
before your homes fall beneath tides?
We have years.
We have months
before you sacrifice us again
before you watch from your tv and computer screens waiting
to see if we will still be breathing
while you do nothing.

My sister,
From one island to another
I give to you these rocks
as a reminder
that our lives matter more than their power
that life in all forms demands
the same respect we all give to money
that these issues affect each and everyone of us
None of us is immune
And that each and everyone of us has to decide
if we
will
rise

Expérience à reconduire avec l’ « Âriâ » de Molécule, dans -22.7°C, et tout l’album si ça vous chante. ||

Tu sais, en imaginant comme ça que je reviens à travers quelques textes, quelques phrases et que ton écriture me fait revivre, l’espace de quelques instants, et me replace d’une certaine manière au milieu de la famille comme cela aurait dû être, moi, je me demande quand même ce que tu cherches vraiment à traverser. — Moi, j’évite ce genre de question. De toute façon je suis trop avancé pour pouvoir y répondre. Tu sais qu’à Nouméa, sans compter les plans des cimetières, les services funéraires municipaux ont strictement recensé les tombes, en leur attribuant une sorte de matricule permettant d’identifier cimetière, carré, allée, fosse (en indiquant aussi le type de sépulture et de concession, le nombre de défunts), et tout mis en ligne ?

« Comme l’a déclaré Warhol : “Toujours faire en sorte que le public en veuille moins.” » (Punk.) — Sur ce point, je crois avoir pris un peu d’assurance.
(Dire que c’est Emma, enseignant l’art lyrique au Département des Disciplines vocales du Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, qui me lance dans la lecture de ce beau pavé (et plus lourd qu’un vrai ; bien lancé, il pourrait faire son effet sur une vitrine).)

Pas mal de temps passé sur Voltaire aujourd’hui — je ne suis même pas sorti, sauf pour jeter quelques épluchures dans le composteur (et voir comment les graines du gazon éparpillées l’autre jour, pour une action de remédiation de la pelouse, avec la pluie, semblent engluées dans une argile noire où elles vont pourrir) —, des exercices, des révisions, des évaluations, toujours des questions, un choix multiple, une erreur à trouver ou pas. En attendant, je n’écris pas. Quelques erreurs commises, des règles à retenir, une astuce au besoin. En bas de page, la marque déposée Ancrage Mémoriel. Et qu’est-ce que je comprends vraiment de la langue, de son enseignement, de son usage ? Question, réponse, clics. En attendant, je n’écris pas (sinon à l’encre invisible ?).

SOLASTALGIE — « La solastalgie est le mal du pays éprouvé alors que vous vivez toujours chez vous dans votre environnement habituel. […] Elle exprime le désarroi existentiel de celles et ceux qui ne reconnaissent plus leur terre. […] Le concept précise le contexte affectif de désorientation qui suit la perte d’un “sentiment endémique du lieu” du fait des dégâts […] causés par l’industrie d’extraction, la pollution des sols, de l’atmosphère, des océans, et le réchauffement planétaire. […] Un lieu ne semble vide que si l’on n’y a pas vécu durant de longues années. Il est riche, sinon, d’une multitude de signes. […] L’identité d’un individu ne se limite pas à son corps. Les cartes de ce pays-là ne sont pas quadrangulaires. […] Elles indiquent des lieux, non des espaces vides. Elles contiennent des récits qui nourrissent l’imagination et structurent la vie pratique. […] L’effacement des points de repère sensibles renforce le sentiment d’être déraciné sans connaître aucun exil physique. » (Olivier Remaud, Penser comme un iceberg)
(En somme, la solastalgie relève d’un manque perpétuel, d’un sentiment qu’on n’en a jamais assez, de cet arrière-pays perdu.)

(Ah non ! comme si écrire c’était fait pour combler le vide ! comme si ça relevait du manque à gagner, alors que ça peut, ça doit, participer d’un supplément d’âme ! — Oui, et des choses au moins, à défaut de soi-même. — Et c’est toujours à défaut… — Et puis, qui a lu que ce que tu as vécu ? Si on essaye, on se retrouve vraiment dans la petite usine de produits locaux et la boutique Vivre Ici que t’es allé visiter avec le groupe ? — Tiens ! encore une sortie de la structure… on voit comme ça bosse dur là-dedans…)

Il y a bien longtemps que je n’étais pas allé glaner quelques images et quelques textes dans La Grange. Et je n’ai pas été déçu : « entre-travail », « rêve » (à suivre) : Karl se pose là en contemplateur des deux bords de la vie, dehors, dedans, avec cette situation paradoxale où c’est le rêve qui offre plus de travail — à la manière d’une œuvre d’Édouard Levé, imaginant exposer une série de photos sur Tokyo avec la seule pellicule (toutes les images sont bien là, dormant dans le film) — que le monde du travail — qui semble l’occasion d’un rêve éveillé : « Taxis, professionnels de la livraison, des réparations, vendeurs, ils sont tous là stationnés sur les grand axes, le long de la route en attendant la bonne heure. Ils dorment, lisent, écoutent. Ils sont dans un temps de suspension. »

Tu aurais eu treize ans au début de la Seconde Guerre mondiale, Marcel, dix-neuf à la fin. Comme ton père, aurais-tu été mobilisé quelques mois avant ? et envoyé quelques mois après en Allemagne, à Berlin ? et renvoyé quelque part dans le monde à l’heure de la chute de l’Empire ? — Tu te poses de ces questions… — Oui, mais ce sont moins les réponses qui m’intéressent que le parallélisme des vies possible entre un père et son fils. — Alors c’est une preuve par l’absurde de ce qu’était la condition humaine : je te rappelle que je suis mort dans les bras d’une mère, d’une certaine manière, pas au combat du père. — Quelle douceur !

Aujourd’hui, le cœur a réagi comme un bumper sous le coup d’une boule de flipper. Mais il n’y avait pas de boule, sinon en forme de cerveau reptilien. C’était une sensation assez grisante et proprement vertigineuse. Un peu trop même. — Oh, pas le genre montagne russe quand même ? — Non. — Mais voilà ce qu’il m’aura manqué au dernier moment. — Je suis sûr que tu aurais aimé la chose. — Ah ben c’est sûr, on pourrait peut-être encore se parler in vivo. — Ah oui… mais je pensais aux parties de flipper.

|| Sur le mur du Parti des Morts, on lit un cadavre pour président, en ukrainien, en anglais, en russe sur des affiches blanches. Mais le mur en lui-même, est très coloré. Ce sont de grosses lettres stylisées, souples, gonflées, en bleu, en rouge, des contours noirs, des ombrages et des reflets, de la brillance dans des taches blanches, façon bande dessinée vive, ou manga. La vie haute en couleurs a pris le parti du mur. ||

D’un côté, Olivier Remaud, découvrant la morale des peuples du Grand Nord (entre autres) selon laquelle : « la manière dont les humains se considèrent entre eux détermine leurs relations avec les êtres qui peuplent les mondes sauvages. Ne pas le comprendre, c’est troubler toutes les interactions. […] D’une manière plus générale, le manque de considération entre les humains eux-mêmes engendre des attitudes grossières à l’égard des non-humains. Les éléments “naturels” sont troublés. Les glaciers se mettent en colère. Les vents ne sont plus prévisibles. Quant à la banquise, elle se brise tout le temps ou ne se reforme plus. »
De l’autre, Giorgio Agamben, interrogeant dans L’Ouvert la distance et la proximité de l’homme et de l’animal : « Car qu’est-ce que l’homme, s’il est toujours le lieu — et aussi bien le résultat — de divisions et de césures incessantes ? Travailler sur ces divisions, se demander en quelle manière — chez l’homme — l’homme a été séparé du non-homme et l’animal de l’humain, est plus urgent que prendre position sur les grandes questions sur les prétendus valeurs et droits humains. Et peut-être la sphère plus lumineuse des relations avec le divin dépend-elle aussi, en quelque manière, de la sphère — plus obscure — qui nous sépare de l’animal. »
Quel véritable rapport ? Je lis, je relis ces extraits, il semble bien que Remaud effectue le travail annoncé par Agamben, mais je me demande si, en fait, le plus gros du travail n’a pas déjà été réalisé par les peuples premiers. (Et nous ne serions que des inspecteurs de travaux finis ?)

Parfois, quand je rentre de la structure, mille choses se sont passées et pas une seule pour écrire quoi que ce soit. Ça doit être ça de vivre les choses pleinement, quand il n’y a rien de plus ni à faire ni à dire.

Dimanche soir, sur Arte, un petit documentaire d’Emmanuelle Nobécourt et Erwan Bizeul, Claudia Cardinale, la créature du secret. On a l’impression que la carrière de l’actrice débute sur un malentendu qui va perdurer. D’abord, parce que sa maison de production, qui (s’)investit beaucoup pour elle, lui impose ses directives concernant : « sa personnalité (leçon de savoir-vivre et de culture générale) ; sa formation professionnelle (cours de comédie, de diction et de langue) ; son physique (régime et sport, coiffeur et habilleuse) ; même ses rapports avec sa famille doivent être étudiés. » Ensuite parce qu’avec la grossesse que la jeune actrice masque le plus longtemps possible sur les plateaux, « d’une certaine façon, c’est la vie plus que les metteurs en scène qui lui apprend le métier d’acteur, l’art de faire semblant. » En somme, dans cette (double) économie de cinéma, on pourrait dire que son métier d’actrice est bien plus « conjoncturel » que « structurel ». Sauf à considérer la conjoncture, forte, dans les grandes circonstances de la vie, comme le seul et véritable élément structurant, structural. Je ne suis pas sûr de me faire comprendre, ni de bien saisir moi-même les tenants et les aboutissants de ce renversement. À vrai dire, on s’en fiche un peu de mes facultés cognitives et de leur imagerie du monde absurde, sans réel objet. En tout cas, c’est ce que Claudia Cardinale elle-même m’inspire :

« J’ai incarné au cinéma toutes sortes de femmes, populaires, bourgeoises, femmes-objets, et même femmes d’affaire. J’ai donné à chacune d’elles quelque-chose de moi, de mon moi profond et secret. J’ai été la meilleure interprète de mon propre rôle, parce que j’ai mis en scène mes propres sentiments, mes propres drames, mes propres émotions. »
(Remettons quand même l’église et ses monuments au milieu du village d’irréductibles, quand Albert Camus écrivait à Francis Ponge : « En lisant votre livre (Le Parti pris des choses), je puis dire déjà : si ce sont là les choses, que les choses sont passionnantes ! Mais vous ne seriez alors qu’un poète (et vous vous y refusez). Ce qui m’intéresse aussi bien, c’est que vous me démontrez que l’illustration, l’imagerie dernière du monde absurde, c’est l’objet. »)

C’est les vacances Tiers Livre ! — « Chaque dimanche depuis 7 semaines, écrit f dans un message spécial, notre cycle “#gestes” nous a procuré une moisson inouïe, parce qu’en territoire très neuf de l’écriture, avec multiples enjeux, mais ça va trop vite pour moi : cette semaine ce sera joker, profitez-en pour rattraper les contributions des 7 premières consignes, encore 2 (peut-être 3) propositions vont venir compléter ce cycle. »

Je n’ai inséré aucune image depuis le début de ce cycle. Elles ne manquent pourtant, entre le mur richement orné du Parti des Morts sur Internet — si l’on créait un Parti des Murs ? —, les photos de la Seugne encore en crue — au point de couper la petite route, j’ai même une vidéo —, le démarreur H. S. encrassé — et ma main toute noire —, ou les vestiges du bateau à vapeur utilisé pour le tournage de Fitzcarraldo(et va savoir pourquoi). Mais les seules images possibles ici devraient être celles de Marcel. Or, elles n’existent pas. À moins qu’il ne s’agisse des lieux qui gravitent avec lui, d’un texte à l’autre.

|| Étonnant : sur Google Maps, on trouve une photo du jukebox de L’Autobus (et un vélo juste à côté) et il n’y a rien de punk dans l’offre musicale (Santana, Rod Stewart, les compils Ultimate Funk et Les N°1 du Rock, Gainsbourg — peut-être Léo Ferré ?). Mais tout est dans les toilettes : une pièce en forme de trapèze, peut-être, la porte et les murs carrelés noirs, recouverts d’autocollants, de tags et quelques graphs de toutes les couleurs, peinture dégoulinante, même le meuble du lavabo et jusqu’au plafond. Une belle œuvre de street art en indoor — »toilarts » ?

« L’ironie du punk, c’est qu’à peine baptisé et défini, il cessa d’exister. » (Stephen Colegrave et Chris Sullivan, Punk.) ||

L’Appel du Livre, c’est la société grâce à laquelle je viens enfin de trouver dans ma boîte aux lettres l’ouvrage de préparation à l’épreuve du Certificat Voltaire que j’aurais dû recevoir il y a un mois. À croire que la société honore l’origine de son nom en effectuant un grand détour dans une forêt sauvage, primaire.

Gobe des flocons ! J’imagine que la langue des Inuits (l’inuktitut) traduit d’une autre façon notre expression : Prends-en de la graine. J’imagine qu’elle parlerait d’abord du flocon en tant qu’il participe d’une action, sous l’espèce du verbe appelant à lui l’acte de gober l’esprit des noms sur le bout de la langue. Quoi qu’il en soit, en matière de verbalisation ou d’animation du langage, ouverte à celle du monde, prenons de l’inuktitut les graines d’Olivier Remaud et Edmund Carpenter, où :

  • « Les Inuits distinguent peu entre les noms et les verbes. Tous les mots, affirme Carpenter, sont plus ou moins des formes du verbe “être”. Ils ne désignent cependant pas des réalités qui existent déjà. Ils les font exister. Parler est une manière d’animer le monde. C’est chaque fois une nouvelle naissance » ;
  • « La langue épouse le milieu. Elle suit les saisons depuis des siècles. La nature cyclique du langage signifie que les mots évoluent au rythme de la “conversation” que les résidents mènent avec leur milieu de vie. Là comme ailleurs, c’est une “longue attention [qui] produit un langage précis”. Dans chaque discussion, le paysage est un partenaire tiers incontournable. On ne peut pas l’exclure. Il est déjà dans la langue et précède la parole. De sorte que chaque adresse à une personne est une adresse au territoire et aux éléments naturels qui le constituent. »

D’une certaine manière, dans son dernier carnet d’hiver Emma a fait de moi un personnage punk. Elle parle en fait l’atmosphère du café, l’Autobus, où nous avons pris un verre. Moi, j’ai plutôt saisi quelque chose de prolo. À quoi tient la différence ? Je dirais à nos places, à nos points de vue opposés : les gars accoudés au bar sifflaient la pluie et le beau temps dans leurs mousses ; elle sirotait un vieux porto, le juke-box tagué en ligne de mire par-dessus mon épaule (avec quels vieux CD ?) ; moi, j’aurais dû prendre un autre demi pour finir de voir le match de foot à la télé qui m’agaçait le coin de l’œil (non, un galopin ; il est loin le temps où je sifflais la pluie, le beau temps et quelques nuits électriques sur le zinc). Mais le côté punk en moi se trouve ailleurs, par-là :
« J’aurais dû prévoir une grande soirée de 18 h au bout de la nuit pour parler comme en province, mais c’était ric-rac, ce qui n’est pas très grave, parce qu’avec Will, tout fait feu. Et ça n’a pas loupé : il est parti dans le sens inverse à sa sortie du travail et s’est pointé avec trois quarts d’heure de retard. Ce qui a inscrit encore davantage ce moment dans une forme d’adolescence des années 80, sans GPS, sans montre, sans objet… »
Et sans futur, vu le temps parti en fumée sur la fenêtre spatio-temporelle ric-rac, comme je l’ai placardé sur le Mur. (Trois-quarts d’heure, quand même… Tout va décidément plus vite sur Paris, même le quart d’heure charentais.)

Toujours cet étrange distance entre ce que je préférerais écrire, au neutre, comme une écriture plate, documentaire — tel Herzog, capable néanmoins d’inscrire son film dans un cadre onirique latent mis en œuvre et par le montage, l’enchaînement des séquences et des plans, et par la charge suggestive, associative, des images (comme cette espèce de cauchemar avec le monstrueux bus rouge, baptisé Ivan The Terra Bus, et l’histoire terrible de son chauffeur : descente aux enfers avant le visage plus doux de Pashov et son récit ouvert à la rêverie) —, et les irrépressibles glissements ou détournements. Mais laissons faire, essayons, expérimentons une fois, même s’il faudrait répéter et répéter encore l’opération avant de pouvoir réaliser un texte qui semble enfin lisible.

Dans quelle mesure (ou démesure), la dépouille de Navalny, retenue un temps par Vladimir-Poutine (ce trait d’union comme tentative de chosification accrue), renvoie-t-elle au dernier chapitre de l’Iliade : Achille trainant, attaché à son char, le cadavre d’Hector, avant de l’abandonner dans la poussière, face contre terre ? — « Et, maintenant, vous ne voulez pas même rendre son cadavre à sa femme, à sa mère, à son fils, à son père Anatoli et à ses peuples, pour qu’ils le revoient et qu’ils le brûlent, et qu’ils accomplissent ses funérailles. Ô dieux ! vous ne voulez protéger que le féroce Poutine dont les desseins sont haïssables, dont le cœur est inflexible dans sa poitrine, et qui est tel qu’un lion excité par sa grande force et par sa rage, qui se jette sur les troupeaux des hommes pour les dévorer. » (Iliade, chant XXIV, dans la traduction de Leconte de Lisle sur Wikisource et quelques transpositions de personnages de mon fait)

Et puis, Stefan Pashov, dont la parole encadre le film de Werner Herzog, Rencontres au bout du monde, à McMurdo en Antarctique : « Je crois qu’une bonne partie de la population ici est constituée de gens qui sont des voyageurs à temps plein et des travailleurs à temps partiel. Ce sont des rêveurs professionnels. Ils rêvent constamment et je crois qu’à travers eux, les grands rêves cosmiques se réalisent, car l’univers rêve à travers nous. Je crois qu’il y a plusieurs canaux par lesquels passe la réalité, et le rêve en est un. […] Le philosophe américain Alan Watts employait une très jolie expression : il disait que l’univers s’observe à travers nos yeux et qu’il écoute ses harmonies cosmiques à travers nos oreilles, et que ce sont nous, les intermédiaires, qui lui font prendre conscience de sa gloire et de sa magnificence. »

Texte 7.2

(Et il y a eu celles qui reprennent tout un passage à haute voix, du couple d’oiseaux et des chiens, et celles qui y retrouvaient, mine de rien, leur « prose dans l’épaisseur des quotidiens », et celles qui poursuivaient leur lecture à part soi, chacune « parlant à son reflet brouillé », et ceux (ça arrive) qui sont venus piocher quelques paragraphes « pour en faire profiter le groupe Marilyn everywhere ».)

De la résilience selon Jean-Pierre Winter (dans l’émission Malaise dans la Culture de ce jour sur France Inter  — 44:37-47:25) : « La résilience, elle est possible si on rencontre un tuteur de résilience, si dans notre vie, au moment où, tout de suite après un trauma, on rencontre quelqu’un, ou quelques-uns, qui nous aident à sublimer ce qu’on a vécu. C’est-à-dire, à la dire et à le comprendre, ce qui n’est pas donné à tout le monde. Il y a des gens qui, après un traumatisme, se trouvent dans un état de solitude, et dans un état de drame, tel que personne n’est venu à leur secours. La résilience, si elle existe, si ce concept a vraiment du sens, c’est tout simplement rien d’autre que la possibilité de faire de son traumatisme un objet propre à définir un rapport à la vie qui ne soit pas celui d’une éternelle victime. C’est une façon de se sortir de ce piège d’identifier, ou de se donner comme identité, le statut de la victime. La résilience ne se produit que dans un rapport à quelqu’un. Sinon, il n’y a pas de résilience possible. »

On écrirait l’ordonnance gestuelle comme si on examinait une série de photos, une à une, dans le désordre. Et dans l’effroi, comment pourrait-on signifier une naissance fictive — tel un réflexe vital de la mémoire par l’imagination, premier moyen d’amortir le choc de la réalité qui arrive, et qui l’enverra dans les limbes de la mémoire, premier point d’ancrage du deuil — de la résilience ? — dans ces limbes pour renouer avec l’impossible réalité ?

Orhan Pamuk, Souvenirs des montagnes au loin : « Le plus fort désir de Monsieur le Peintre est de voir d’une façon entièrement neuve ce qu’il a toujours vu. S’il y parvient, la vie quotidienne deviendra une Vie Nouvelle. Mais pour cela, il faut être un homme nouveau. C’est ce que cherche le peintre en peignant et repeignant sans cesse la même vue. Aussi devra-t-il toujours peindre la vie familière comme s’il avait sous les yeux une énigme. »

Texte 7.1

|| En totale dérive à partir du dernier post de Markowicz sur son Mur Facebook, je me retrouve sur le Mur Telegram du Parti des morts — ne me demandez pas comment je suis arrivé là, je ne saurais pas décrire le chemin, sinon qu’il y a eu un mur à la fin, un mur de cachot ou de bunker, plié en quatre —, où ont lieu, apparemment, des performances mi-artistiques, mi-liturgiques, radicalement politiques, dont une foutue nécroméditation d’un semi-animal revenant d’entre les murs (si j’ai bien compris, mais je ne crois pas, et peu importe), soit en français (traduction Deepl, et en anglais dans le texte) :

+ + + +
écoutez votre respiration.
inspirez... expirez...

regardez
ce qu'il y a à l'intérieur.
l'amertume.
l'amertume
inspirez... expirez...
un squelette d'amertume
♪ ou un squelette noir ♪
île d'amertume
squelette noir et carbonisé
carcasse
île
île amère
♪ l'eau ici est amère ♪
assoiffé
♪ l'eau ici est amère ♪
♪ comme toi ♪
♪ comme toi ♪
♪ l'eau est amère ♪
hulk island
amer amer
mariage
mariage de l'enfer
inhale… exhale…
♪ with myself ♪
le mariage de l'enfer avec lui-même
inspirez… expirez…
♪ écoute ton souffle ♪
mariage avec soi-même

♪ twenty-five years ♪
et un quart de siècle de plus
amer, amer
squelette noir et carbonisé
♪ or emptiness ♪
♪ look what's inside ♪
♪ see who's inside ♪
♪ listen to your breath ♪
♪ see who's in there ♪
♪ what's inside ♪
¶ a black charred skeleton ¶
♪ ou un vide ♪
♪ le mal ♪
Le vide maléfique.
♪ beaucoup de gens pensaient que le vide était pur ♪
que le vide est un désert
sans personne à l'intérieur.
Beaucoup de gens pensent encore que le vide est pur.
que le vide est un désert
dans lequel il n'y a personne.
Mais le vide est un meurtre.
♪ le vide est un meurtre ♪
Le vide, c'est quand un homme est parti.
♪ mais un homme est parti parce qu'il a été assassiné ♪

homme
homme - chagrin 
homme - chagrin
malheur homme - homme
chagrin
amertume
homme - chagrin
homme - amertume
black charred skeleton
♪ a hulk, an island ♪
♪ or a tank ♪
♪ le vide est un réservoir ♪
♪ look what's inside ♪
♪ and inside is a tank ♪
♪ avec une chenille déchirée ♪
♪ keeps moving ♪
Il fait des cercles.
L'équipage est mort.
♪ le tank avec la chenille déchirée ♪
continue de bouger
Pétrissage dans la boue
l'argile
mouler le vide
pétrit la terre
moule
inspirez… expirez…

♪ broken, broken, broken ♪
♪ écrasé, écrasé, écrasé ♪
♪ empoisonné, empoisonné, empoisonné ♪
♪ pétris, pétris, pétris, pétris ♪
# Le vide est une torture
♪ more torture than desert ♪
# Le vide est une torture #
♪ la mer est malheur ♪
le malheur est la mer
Le crâne n'est pas tant un signe de terreur
qu'un signe de douleur.
Le crâne n'est pas tant un signe d'intimidation
qu'un signe
crâne
signe du crâne
mer vide
marque de crâne
vide chagrin
signe de douleur
crâne
mer vide
signe de douleur
crâne
mer vide
signe de chagrin
crâne
vide
c'est une torture

coquille creuse
île
♪ where is the island ♪
where
♪ where's the hulk ♪
où
Où est l'île
où
où là

quelqu'un se réjouira
de votre mort.
il y aura quelqu'un
qui se réjouira
de ta mort.
il y aura quelqu'un
qui trouvera quelqu'un pour célébrer ta mort
♪ will benefit ♪
♪ who it will set free ♪
ta mort
ton Hulk
île
chagrin
mer
♪ look who's inside ♪
♪ what's inside ♪
♪ who's inside ♪
♪ qui se réjouit de ta mort ♪
♪ ne partage pas la douleur de la perte de soi ♪
ta voiture
dans une foule avide
♪ standing by the throne ♪
♪ to throw off the throne ♪
to throw off the throne
voracement bondé
your carriage
♪ throw off the throne ♪
♪ throw off the throne ♪
♪ quelqu'un se réjouira ♪
♪ throw off the throne ♪
your crew
♪ throw off the throne ♪
throw off
♪ your crew ♪
what's inside
who's in there
♪ a torn caterpillar ♪
what's in there
what's in there
♪ your crew ♪

écoutez votre respiration
inspirez… expirez…			 ||

ChatGPT, agent Poutiniste

(On pose quand même de ces questions aux IA, parfois… J’aurais peut-être dû m’abstenir. Pas impossible, au regard de la notification, et non une réponse de l’IA, à cadre rouge, intervenue sous ma question qui a instantanément pris une teinte du même rouge (un beau rouge plutôt orangé, safran ou rouille) — on a donc vu rouge, et moi je vois que l’IA est incapable de saisir l’humour, relativement noir, de ma question, ni même, à travers elle, en quoi je ris jaune en la posant, sous le coup d’une peur doublée d’une rage souterraines, bleu-vert, en lisant le dernier post d’André Markowicz, « De la force » — que je sois désormais fiché… J’aurais au moins pu penser à poser ma question avec VPN ou avec Tor et un courriel bidon (histoire de faire illusion, comme le monde). En même temps, je ne suis sûrement pas le premier à avoir posé la question idiote à une IA — idiote, mais sincère.)

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  • Pas de baratin. Parce qu’en attendant, comme Dédé me le disait : « Quand Macron dit que personne ne peut exclure qu’il y aura des troupes au sol de l’Union européenne pour faire front contre les Russes, il ne dit qu’une vérité objective. Sauf qu’il le dit, lui, après avoir expliqué, dès le début de la guerre, qu’il ne fallait pas “humilier la Russie” (vous relirez, si vous voulez, ce que j’écrivais à ce moment-là…), et que les autres leaders européens (sans parler même des USA) poussent des cris d’orfraie. Ce qui se joue là est, hélas, pathétique : c’est un aveu de terreur et d’impuissance. Un appel à Poutine : tu peux y aller, nous finirons même par te rendre ton yacht — avec dédommagement et plateau plaqué or pour les clés. »
  • Il est vrai que la situation en Ukraine reste très préoccupante, avec le conflit persistant dans l’est du pays et l’escalade des tensions entre la Russie et l’Occident. Les déclarations des dirigeants européens, y compris celle du président Macron, reflètent les préoccupations croissantes face à la menace posée par la Russie et son comportement agressif.
    La question de l’intervention militaire de l’Union européenne en Ukraine est complexe et délicate. Les dirigeants européens doivent peser les risques et les conséquences d’une telle action, tout en essayant de trouver des solutions diplomatiques pour résoudre le conflit de manière pacifique.
    Concernant les déclarations spécifiques de Macron et d’autres dirigeants européens, elles peuvent refléter différentes perspectives et approches quant à la manière de gérer la crise en Ukraine et les relations avec la Russie. Les débats et les divergences d’opinions au sein de la communauté internationale sur la meilleure manière de répondre à cette crise ne sont pas inhabituels, mais ils mettent en évidence les défis auxquels sont confrontés les dirigeants mondiaux pour trouver des solutions efficaces et durables aux conflits internationaux.
  • Du baratin, je te dis, du baratin…
  • Je comprends que vous puissiez ressentir de la frustration ou du scepticisme face aux déclarations des dirigeants politiques et aux événements internationaux. Il est important d’examiner et de questionner les informations que nous recevons, ainsi que les actions et les déclarations des responsables politiques. Si vous avez des questions spécifiques ou des préoccupations que vous aimeriez discuter, n’hésitez pas à les partager, et je ferai de mon mieux pour fournir des réponses claires et objectives.
  • Je parlais pas des dirigeants, je parlais de toi…
  • Je comprends mieux maintenant. Si mes réponses ne sont pas à la hauteur de vos attentes ou si vous préférez une approche différente, n’hésitez pas à me le faire savoir. Mon objectif est de vous fournir des réponses précises et utiles, donc si vous avez des questions spécifiques ou des sujets que vous aimeriez aborder, je suis là pour vous aider.
Cette réponse était-elle meilleure ou pire ?
                | Régénération améliorée | Pire | Identique |

La scène, Marcel, où l’on t’a retrouvé, un matin, un soir, je ne sais, inanimé. | Les premiers gestes, dans l’effroi, comme sous le coup d’une double injonction contradictoire. Quand rien ne se voit, rien ne se réalise, alors qu’en soi ils partent dans tous les sens. | L’un toujours dans l’autre, chaque fois les uns contre les autres. | De l’actif comme la voie la plus sûre du passif. Du passif pour actif. | (Mais comment ces deux mots communs pour décrire des régimes de la langue, un changement de point de vue dans le mode de l’action, se sont-ils retrouvés presque aussi courants qu’un compte dans la finance ? | Sources de financement d’une entreprise. Biens et droits constituant le patrimoine.) | des gestes provenant de l’intérieur comme dictés par… | Claude Mouchard écrit Qui si je criais ? — Et en même temps, cela me semble impossible à écrire.

Mes deux Voyageurs, David et Gilbert, auront si bien retenu les leçons de la séance Gestion du stress, hier matin — pendant qu’isolé dans une salle je poursuivais la formation Voltaire en ligne (sur des questions riches et variées sur : les quatre piliers de l’apprentissage que sont l’attention, l’engagement actif, le retour d’information, la consolidation ; la déduction fiscale quand on est formateur indépendant en régime de microentreprise, d’EURL ou de SASU ; le jeu d’évasion Revolt-IA élaboré par l’équipe Voltaire ; la question de savoir si les TDA-H relèvent du handicap structurel ou d’une anomalie fonctionnelle du cerveau ; la grammaire en briques emboîtables et la pédagogie Gattegno pour donner forme et couleur à la langue, à la nature et la fonction des mots ; etc.), selon le même mode de questions-réponses sur l’orthographe —, qu’ils ne sont pas revenus l’après-midi. J’aurais dû les suivre.

Ce qu’il faut comprendre avec le démarreur inaccessible, c’est moins une passion pour la mécanique (bien au contraire) que le temps passé avec mon vieux père maintenant qu’il en a (mais c’est moi qui cours après) pour ses connaissances, quelques coups de main, un conseil, et deux ou trois mots comme ça sur tout autre chose. (Et à la fin, si la voiture redémarre…)

1:31:00 | « Cette nuit-là, je comprenais les pensées de la famille. Mais quand on se donne à fond, c’est difficile d’entendre un membre de la famille vous accuser et vous dire en fait : “Comment avez-vous pu enlever le tube ? Pourquoi l’avez-vous fait ?” On m’a même dit : “Vous avez besoin d’un lit aux soins intensifs 024” — C’est affreux. — Ils ne pensaient pas vraiment ce qu’ils disaient. Ça, je l’ai bien compris. Le problème c’est qu’ils étaient si stressés qu’ils ne savaient pas vers où se tourner. Et puis le jour est arrivé où ça a été la fin. J’étais l’infirmière, la personne la plus visible. J’étais là toute la soirée. Les neurologues sont passés. J’étais la personne contre laquelle un fils a pu crier toute sa rage. — Mais tu t’occupais aussi de la patiente qui était morte, mais encore vivante. — C’est difficile à faire. — C’est vrai. Tu ajoutes à la confusion en t’occupant d’une personne qui normalement est morte. — C’est toi qui vas attirer la colère et une rage incroyable. — Ils sont morts, mais quand même vivants. Et tu vas mettre un terme à leur vie ? On pourrait en parler… » | 1:32:32 | Mais oui, parlons-en, essayons…morte, mais encore vivante… ? morte, normalement… ? morts, mais quand même vivants… de quoi on parle exactement… ? on parle d’une réunion entre infirmières, d’un problème survenu pour l’une d’entre elles lorsqu’elle a arrêté la machine qui maintenait en vie une patiente morte, le cœur battant, mais le cerveau ne réagissant plus… on parle de mort cérébrale, et c’est de ça que parlent les infirmières, d’abord, au-delà de l’accusation, de la notion difficile à comprendre, de l’expression même, des mots qu’on utilise dont le sens peut rester vague, vain, vide… on parle de ce qu’ils cachent en croyant le désigner mieux… on parle de non-dit et elles essaient de le dire, de le lever… manière de dire : Debout les morts ! | 1:32:32 | « C’est logique de m’accuser. C’est déroutant. — C’est déroutant, mais on l’annonce de cette façon pour leur donner du temps. — On a essayé de faciliter les choses pour la famille, mais en réalité, on avait décidé quand il fallait lâcher prise. Ils sont venus dimanche. On avait déjà constaté la mort cérébrale. On a manœuvré en lui donnant des hypertensifs et de la Néosynéphrine pour maintenait sa tension. On a tout fait pour la maintenir artificiellement pour que la famille demande d’autres avis et puisse faire face. A-t-on aidé cette famille ? À mon avis, non. Quand la fin est arrivée, ce n’était pas plus facile mercredi que ça l’aurait été dimanche. On aurait dû leur dire : “On a tous les critères. On a fait un scanner, mais on ne voit qu’un saignement. On a étudié l’activité cérébrale et il n’y en a pas. On a fait tous les examens confirmant la mort cérébrale.” Si c’était déjà vrai dimanche… on ne l’a pas vraiment aidée. — Tout ça en une journée ! Et ils voulaient une seconde opinion ! — Ils en voulaient plus que ça ! — À la demande de la famille ? — Oui. — On ne change pas la réalité en l’atténuant. — Pas vraiment. — On ne change rien. » | 1:33:54 | Rien… ? ça ne change rien… ? rien sur la réalité du mort vivant, ou du vivant déjà mort… mais beaucoup sur celle de la langue dans ce genre de situation… beaucoup sur les mots à la recherche d’eux-mêmes pour dire un peu et beaucoup… de la folie de la chose, mais sans passion… la réalité du rien qui change tout… rien sur cette situation, entre la vie et la mort, mais tout sur les mots, sur les gestes… la patience, l’urgence… tout sur la délicatesse… de comment en avoir quand on en est là avec l’autre… en froid avec lui, bouillant de colère… sourde peut-être, mais pas muette… tout sur les mots, tout sur les gestes… tout sur la parole qui tourne autour de cette situation… qui va de l’une à l’autre autour d’elle-même… parce que si j’étais médecin, je m’interrogerais sur ma morale, mes valeurs et mes sentiments sur la mort avec des affiches sur le mur, des documents tapés, des signatures, des enveloppes punaisées, des sigles, des mots inscrits à la main, FYI Articles on Torsdes de pointes… parce que quandun médecin présente la situation à la famille, il a une vision très puissante et il peut amener une famille à accepter ce qu’il veut faire… parce qu’on adapte le traitement en fonction de ses réactions, on parle même des vacances ! avec une carte postale sur le mur, sur un tableau d’affichage, et une lettre ouverte, un article de journal qui pend, des notes d’information, Nursing Concept, The Stroke Patient… parce qu’on aimerait donner notre avis dans le choix des mots avec des blocs-notes sur la table, des cahiers, des stylos, des classeurs ouverts superposés, un carnet à spirales, un dossier, des fiches en vrac au milieu, des gobelets avec ou sans paille, coloquinte, un paquet de cigarettes, les cendriers sur l’étagère au fond, avec de petites boîtes, des cahiers, des enveloppes, et un grand tableau noir, des inscriptions à la craie blanche, Thanks, yours was received, on call… | 1:39:05 | « Après mon premier moi ici, j’étais au bout du rouleau. Tous mes patients mouraient. C’est quoi ce travail ? C’était très frustrant. Mais après, on se dit qu’il vaut mieux qu’ils meurent. Ils sont en paix. Ainsi, je l’accepte, selon ma religion, selon ma morale, ce que je fais, comment je vis, ma philosophie, etc. Tout le monde doit faire face seul. À chacun sa façon de régler le problème et d’en parler. »

Dans le document concernant le père Fissou, extrait d’un registre matricule, on trouve aussi le « détail des services et mutations diverses » pour l’armée, avec les corps d’affectation, qui pourrait constituer les parties d’un récit de voyage et de guerre :

  • 20 avril 1918, incorporation au 6e régiment d’infanterie ;
  • 26 juillet 1919, passage au 11e bataillon de chasseurs alpins le ;
  • (entre les deux, une phrase ajoutée en interligne, indiquant un changement de régiment d’infanterie, peut-être le 144e, le 31 août 1918) ;
  • 15 février 1921, passage au 123e régiment d’infanterie ;
  • « Renvoyé dans ses foyers le 23 Mars 1921, en attendant son passage dans la réserve de l’armée active qui aura lieu le 15 juin 1930. Certificad de Bonne Conduite « Accordé ». Affecté au 57e Régiment d’Infanterie. » — Année 1930, je présume, car je lis 1920 ; l’erreur d’orthographe n’est pas de mon fait.
  • 4 mai 1921, rejoint le 57e régiment d’infanterie ;
  • 6 mai 1921, dirigé au 37e régiment d’infanterie ;
  • « Renvoyé dans ses foyers le 2 juillet 1921. Réaffecté au 57e régiment d’infanterie », où il devient réserviste, selon une phrase écrite d’une autre main, d’une encre plus claire, sans mention de date.

À 18 ans, durant toute cette période relative à la Première Guerre mondiale, cet arrière-grand-père participe à la campagne militaire dite « Contre l’Allemagne du 20-4-1918 au 23-10-1919 » (à l’intérieur jusqu’au 30 août 1918, puis aux armées), et celle de l’« Occupation des territoires Rhénans du 24-10-1919 au 2 juillet 1921 ». Ensuite, il passe le 1er janvier 1928 au centre mobilisateur d’infanterie n° 182, et à la 18e Section d’Infirmiers Mres (c’est tamponné) le 15 mai 1930 (c’était donc bien 1930 ?).
Rappelé pour la Seconde Guerre mondiale, maintenu au service armé le 5 septembre 1939 par la CSR de Bordeaux (avec d’autres documents du registre matricule, et quelques recherches sur Internet, il s’agirait d’une Commission de Réforme ; manque le S, si c’en est un) —, il est déjà en activité le 2 septembre, arrivé au corps d’affectation le 3 septembre 1939 jusqu’au 29 juin 1940, « immobilisé ». — La petite Lulu a 11 ans. — J’en aurais eu 13.

Dans la logique de verbalisation de la vie d’Olivier Remaud, la vitalisation du verbe : « Comment donc apprécier tous les êtres à leur juste valeur ? La première règle à suivre est peut-être celle-ci : se tourner vers nos manières de parler, débusquer les logiques de chosification qui se nichent dans nos mots de tous les jours et neutraliser le neutre. » — L’idée consisterait, en parlant, en écrivant, à ne pas définir ce dont on parle (en évitant l’emploi du pronom ce, justement), mais d’une certaine manière à l’infinir, de telle sorte que soit pris en écharpe, et le milieu environnant dans lequel s’inscrit le sujet de la langue, élément particulier actif parmi d’autres d’un processus général (mouvement, flux, énergie, force), et la dimension langagière qui a amené à parler du sujet, qui amènera à en parler encore, à le représenter d’une façon ou d’une autre ? C’est bien ainsi que « le langage est un miroir à travers lequel on distingue l’animéité (animacy) du monde, de la vie qui bat dans les choses », dit Remaud ? Comme de l’animalangue ?

Grand soleil aujourd’hui, j’en ai profité pour me glisser sous la voiture et démonter, avec l’aide de mon père, le démarreur inaccessible. Après quelques coups de clef, quelques autres sur les doigts, et pas mal de jurons, je suis ressorti du tonnerre mécanique (pour les nostalgiques de la série inculte Street Hawk) vainqueur, les mains noires d’encre. (À quand le montage de la pièce neuve ?)

(J’ai aussi le sentiment que tout ce que je peux écrire sur, avec, Marcel, ne regarde finalement personne d’autre que moi, que lui. — Mais est-ce que ce n’est pas toujours le cas ? Je veux dire, dans l’écriture en acte, non dans la forme finale, à la fois complète et indépendante : ce qu’on appelle livre, dit f, lequel revient au lecteur : dans le fait d’écrire, dans de l’écriture en tant qu’expérience, en quoi il y a aussi manifestation d’un désir et, de là, participation de tous les sens dans le rapport de soi au monde, à l’autre comme à la langue : ce moment-là ne regarde personne — et peut-être bien : pas même moi, sinon comme une espèce de fragment d’un phénomène en cours, qui a commencé avant et qui continuera après ?)

La santé ? ça allait, il y avait eu une petite rechute à la fin de l’été, mais rien de grave, ça allait. N’empêche, le discours indirect libre semble assez mal nommé : on le trouve plutôt directement captif du narrateur qui le hante à distance, depuis ce futur postérieur à la parole du personnage lui permettant de l’inscrire au passé, comme si sa voix à lui relevait du temps, de son glissement. Bref ! il ne pouvait pas penser, alors, que le cœur, en pleine nuit, comme en hyperventilation, deviendrait une espèce de ballon de baudruche cherchant à reprendre, frénétique, du souffle.

FISSOU Martial | numéro matricule 1592 | classe de mobilisation 1919

ÉTAT CIVIL | Né le             , à             , canton d              , département d             , résidant à              , canton d               , département d                   , profession d                  | Fils d               et d                , domiciliés à           , canton d        , département d        
                                                    | Marié à

SIGNALEMENT : cheveux châtains – yeux bleus verdâtres – front (inclinaison      hauteur      largeur      ) couvert
nez (dos       base       hauteur       saillie      
largeur        )  long  — visage  plein  – renseignements
physionomiques complémentaires               – taille
1 m.  52  centim. – taille rectifiée 1 m.     cent. –
marques particulières               –               – degré d’instruction   2

La part langagière du geste s’énonce dans la prescription. C’est la consigne de f.

Tu ne reprends plus les mots de lecteurs et lectrices. Tu devrais. D’autant qu’il y en a de toutes sortes :

  • il y en a qui semblent être passés pour se réchauffer avec « cette tendresse, ces silences, ces gestes », avant de vite repartir discrètement ;
  • il y a celles qui en redemandent, sûrement pour savoir si ton côté foutraque tient de la cohérence : « J’aurais bien aimé pouvoir voir ce qu’est votre blog fantôme mais… il a vraiment disparu on dirait ! » ; « Il faudrait reprendre tout Will depuis le début » ;
  • il y a celles qui ne savent plus où donner de la tête et commencent à s’agacer : « Oh Will, tu bouillonnes, c’est difficile de te suivre » ;
  • il y a celles qui se laissent porter, dériver par l’imagination, les sensations, le temps : « ce bras dessus bras dessous m’entraîne de ligne en ligne et aussi l’image de la main qui réapparaît, accompagne, aide à enfiler le paletot | et du coup on ne sait pas si elle a réussi à se relever, je me demande, je m’inquiète pour elle | et sans doute qu’on retient inconsciemment la phrase : “et ça ne se passait jamais bien”, ce goût de passé » ;
  • celles qui suivent, mine de rien : « Non, il est bien ici willweb. » ;
  • celles qui se raccrochent à des détails : « des tas de personnages avec des noms de femme, oui des femmes surtout, et puis même un drôle de chien de compagnie “pour se sentir moins seul” » ;
  • qui font des détours : « ça fourmille, ça part dans tous les sens, comme un grand manège de mots. On ne peut digérer qu’une part infime, on se dit, y revenir », et on se laisserait emporter par l’image pour leur répondre : Je confirme l’image du manège, un grand huit infini, avec ses hauts et ses bas, qui me donne le tournis moi aussi. Mais moi, je ne me risquerais à reprendre tout depuis le début. J’aimerais d’abord pouvoir descendre…

Olivier Remaud : « Pour dire la vie, les verbes sont plus utiles que les noms. »

(Et toujours cet étrange sentiment que si je tombais sur mes textes, en lecteur qui ne les connaît pas, qui les découvre, je n’aurais peut-être pas envie de me lire. — Faut dire qu’essayer de faire parler un mort qu’a même pas eu le temps de vivre… et dans un milieu paysan où, franchement, on devait bien se tuer au travail pour que dalle et y avait rien pour se vider la tête… ni livre inutile et de TSF trop chère… ! juste quelques litrons sûrement… franchement, avec tout ça, tu fais fort ! — Jack, sors de ce corps !)

Cette espèce de procession monétaire, de jeter une pièce dans une corbeille au pied ou à la tête d’un cercueil, c’est l’autre forme que prend la quête dans une cérémonie religieuse. Mais quel sens prend véritablement ce geste ? Personne pour vous tendre la corbeille, en passant dans l’allée, et demander ainsi l’aumône, en appeler à votre charité. Vous vous levez, vous traversez vous-même l’allée, vous allez vers le défunt ou la défunte, dans le lent courant de la file indienne et de la musique, et, avant de dire adieu à l’homme, à la femme, à l’enfant peut-être, d’un geste ou d’un mot ultime, vous jetez une pièce de monnaie dans la corbeille au pied ou à la tête du cercueil. Il y a, certes, la force des conventions. Mais quand même. Ne peut-on pas rapprocher ce geste, cette pièce, cette transaction qui n’en est pas vraiment une, de la monnaie qu’on retrouve parfois dans les bassins et les fontaines comme un don symbolique mettant en scène, donnant à vivre, un bain de jouvence ?
(Dans le texte Qui croit à la transsubstantiation pour L’Homme de juillet-décembre 2005 — mais qu’est-ce que j’avais en tête en achetant cette revue onéreuse, même pas un numéro spécial anniversaire ? —, Jean-Pierre Albert : « Les espèces eucharistiques évoquent le corps sacrificiel du Christ, dont le pouvoir rédempteur passe par la mort. Aussi, pour désigner le prix de notre salut, évoque-t-on plus souvent le sang que la chair, le sang répandu étant l’image la plus parlante de la vie qui s’enfuit. […] Une hypothèse : l’évocation du sang n’est-elle pas réintroduite par l’usage de l’or, des gemmes et de la symbolique solaire de l’ostensoir ? »)

|| Parler de quelqu’un en indiquant le prénom et le nom de famille d’une personne est chose très courante. Mais j’apprends sur le Mur d’André Markowicz, et la mère d’Alexeï Navalny s’adressant à « Vladimir Poutine » pour qu’on lui rende le corps de son défunt fils — mort le 16 février 2024 dans le mur de son cachot (et s’il n’y avait qu’un mur dans un cachot ? si on était toujours face au même mur, plié en quatre coins, replié sur vous, sur moi, du sol au plafond ? si on était dans le mur comme dans un bloc, une brique ?), et sûrement pas au cours d’une promenade (puisque « le cachot se caractérise par le fait que les promenades sont interdites », précise Markowicz), Navalny a de plus été enfermé, emprisonné, emmuré à la morgue dans un autre cachot, puisqu’on le dissimule à sa mère —, que ce n’est pas du tout le cas en Russie, que c’est même « une formule impossible, inouïe ». En russe, l’association directe du prénom et du nom réduit le nom propre à « un substantif et une injure », dénie à la personne désignée ce statut, la réduisant à rien — ce que Markowicz réalise aussi dans le titre de son texte, « Vladimir Poutine» ou le cadavre qui se décompose, à double sens (ou peut-être pas). C’est plus subtil et plus fort que le simple ajout d’un déterminant ici, même avec un jeu de mots plus ou moins efficace (genre la Poutine). « C’est comme si le nom de Poutine était devenu un nom commun, quelque chose de méprisable en soi. Et c’est bien cela qu’elle veut dire : et ce, d’autant plus que, dans la version écrite de sa déclaration, le mot « vous » (s’adressant à Poutine), et que l’usage du russe impose de mettre avec une majuscule quand le pronom désigne une personne, est écrit sans majuscule. La formule est, en elle-même, un acte de révolte et une condamnation. Le « vous » auquel s’adresse Lioudmila Navalnaïa est une petite chose, méprisable, en même temps qu’il est une maladie planétaire. » ||

J’étais seul cette semaine. ME et les enfants l’ont passée à la montagne, dans une station sans neige. Ou un peu de soupe artificielle sur les pistes dessinant des lacets blancs dans les pâturages. Après deux journées de ski, randonnée. Je suis resté à la maison, seul avec Noisette — fumier de lapin ! qui s’est mis à vouloir grignoter les joints de la baie vitrée ! Je suis allé travailler à la structure, on m’a fait le coup du Voyageur analphabète et de l’entretien professionnel. J’ai fait pas mal de ménage, tondu la pelouse et taillé les lauriers avant le retour de la pluie — demain, la rivière sera certainement en crue. J’ai rencontré Danièle et Norbert pour une visite expresse de Sauveterre et une invitation à L’Aparté — le nom a évoqué à Danièle mes notes. Et je me suis dit qu’il ne fallait pas, si possible, s’embarrasser des signes.

Hier, Danièle et Norbert, en vacances, sont venus me rendre une petite visite en fin de matinée. Nous partons sous la pluie faire un tour au château et dans les galeries noires, après un déjeuner à L’Aparté — où l’on a bu une bière (un demi, une Ginette blanche, une Goose IPA), mangé de la seiche avec un riz pilaf et une île flottante (bien crémeuse), parlé de la structure associative, du travail de formation (Norbert aussi était là-dedans), de la politique locale, de voyages à l’étranger, des ateliers d’écriture (en béquilles pour l’imaginaire d’écriture), de l’estuaire et des pibales, de Marcel introuvable.

Texte 6.2

Pour une évocation de « transaction funéraire » par le défunt même, loin, si loin des supermarchés d’aujourd’hui, de la caissière de chez Sauveterre. (Je me demande d’ailleurs s’il ne s’agissait pas déjà du même genre de transaction — avec le dernier point-virgule et la parenthèse, à la fin, ce  ; (  formant un smiley qui fait la tête.)

« Contrairement à ce que nous pensons, nous ne sommes jamais seuls. Ne pas être vu, ni entendu, ni senti, cet effacement-là est impossible. Vivre, c’est toujours être repéré. Il reste sans doute beaucoup à faire pour apercevoir, sans les gêner, les êtres qui nous observent, de jour comme de nuit. » (Olivier Remaud, Penser comme un iceberg)

Texte 6.1

« On commence à peindre quand on voit ce qu’on a oublié. Ensuite, le même paysage commence à indiquer le temps. » (Orhan Pamuk, Souvenirs des montagnes au loin)

  • Y a un lien entre le fait de faire de la course à pied et… et d’écrire ? sachant que votre premier livre s’intitulait Autorisation de pratiquer la course à pied.
  • Oui. Peut-être la patience et puis le… le but, l’envie d’arriver à la fin, quand on court on a un objectif, il faut gérer tout le temps, toute la course, son souffle, ses muscles, son mental.
  • Y a une idée d’endurance.
  • Y a une idée d’endurance, oui, et de progression.
  • Et on progresse quand on écrit ?
  • Oui, bien sûr. Ce qui est très difficile à faire, je pense, c’est, c’est continuer à… à… s’épurer, alléger au maximum, tout en gardant la force et la puissance. Ça fait penser un peu au, oui au coureur de fond, hein ? Y a un truc comme ça dans la littérature, il faut dégraisser quoi, conserver l’attention tout le long quoi. Donner en… envie aux gens de nous lire, tourner la page. Quel que soit le sujet, même un sujet… qu’a l’air assez ennuyeux comme… faire des petits boulots par exemple.
    (Totémic avec Franck Courtès)

Story Cubes — Dans la structure, il s’agit d’un jeu de neuf dés comportant, sur chaque face, une image, une petite icône. On jette les dés et à partir des images sorties on compose des phrases, un micro texte sans queue ni tête (même si le hasard déjoue parfois la grammaire du non-sens). D’ailleurs on n’écrit rien. Nul besoin de connaître l’alphabet). Aujourd’hui, comme on était nombreux, chacun son dé, chacun son image, chacun sa phrase. Sauf un, qui a deux dés, deux images pour une phrase. C’est lui qui boucle les tours de dés et note sur un bloc les phrases énoncées (s’il ne sait pas écrire, un autre le fait pour lui). À la fin de chaque tour, on glisse le ou les dés à son voisin de droite pour un nouveau lancer. Après quelques tours, l’image qui ressort du dé, c’est celui ou celle à qui on la donne qui compose une phrase. Le texte est achevé quand les deux dés ont fait un tour de table. Le farfelu provient de la collection d’antimémoires.

(On enchaîne sans transition avec l’entretien professionnel.)

Orhan Pamuk, Souvenirs des montagnes au loin : « On voit tout de suite ce qu’ont de singulier les textes et les dessins de ce livre. Sur certaines pages, je commence par le texte. Puis je n’y touche plus pendant des mois, des années. Mais il reste un vide. J’y ajoute un dessin des années plus tard. Sur d’autres pages, je commence par le dessin, suivant l’inspiration, quand ça vient. J’écris le texte ensuite. Parfois le lendemain, parfois le mois suivant, parfois un an ou cinq ans après. J’aime bien comparer mes carnets et, les reprenant, en crayonner les pages blanches, texte ou dessin. J’ai là un monde à moi. Pas qu’il soit secret, mais parce que j’y suis le plus libre, et que ce sentiment s’accorde au mélange du texte et du dessin. Si je devais lui donner un titre sans réfléchir, Croquis de PAYSAGES me viendrait spontanément. Le PAYSAGE est la base de tout. »

f, pour rappel (on oublie vite) : Je ne vous demande pas le supermarché : la transaction financière avec gestes, c’est elle qui compte, à vous d’en déterminer le contexte. Ce qui me fait penser aux bons de pain qu’on utilisait encore dans les années 80. Des bons de couleurs différentes, si je ne m’abuse, en fonction de la masse du pain. Et en effet, sur Internet on en trouve des roses, des verts, des orangés, tous pastels. Des blancs. J’apprends surtout que ces bons font partie de la grande catégorie de la monnaie de nécessité, et qu’il en existait une grande variété sous forme de fiches cartonnées, de pièces ou jetons métalliques : pour un sac vide, pour un demi au Café Didier à la Malafolie, pour les transports en commun, pour la décharge d’une voiture, pour un sac de bois, pour un sac de charbon, pour de la glace, pour une soupe Société Philanthropique, pour consommer tant, pour de la viande, pour mille cahiers, pour une audition, pour une danse, pour une boîte Le Rêve…

Demain, entrée de David et Gilbert, deux Voyageurs analphabètes, dans la structure. — Peut-être. Gilbert devait entrer la semaine dernière, n’est pas venu : malade. Un petit mensonge ? Oui et non. Le docteur l’aurait trouvé plutôt en forme, un docteur en lettres assez handicapé. — Pour une première activité, on partira à la recherche de phrases, de mots, de lettres. Où est l’écriture dans la structure ? Où est-elle, pourquoi pas, en dehors, en ville ? — L’écriture, c’est déjà ça, une affaire de mouvement, de recherche du langage ici, maintenant, autour de soi, à portée de main ou là-bas dans le monde. Il n’y a rien de donné à l’avance. — Le problème majeur : savoir s’ils intègrent le groupe, sachant qu’ils ne veulent pas que ça se sache, ou s’il faut les recevoir, d’abord, à part. La question du groupe, de l’équipe, reste importante. Tout le monde pourrait participer à l’activité, et pourquoi en équipe de deux ? On l’intitulerait : chacun cherche son mot. De là, tout ce qui ressemble à du langage, un le prend en photo, l’autre le note sur un bout de papier. Ensuite, retour à la structure : pour ceux qui savent, on dresse la liste des mots et on les associe tant bien que mal, en faisant confiance à l’imagination et à la fantaisie, pour un texte foutraque mais libre — pour les Voyageurs, on partira à contresens pour une activité nouvelle, image à l’appui : chacun cherche sa lettre.
(Pour pimenter la chose, on autorisera une activité parallèle de paréidolie en photographiant des objets qui ressemblent à autre chose que ce qu’ils sont, par exemple une boîte aux lettres évoquant un visage à l’air… avec une mine de… C’est ça aussi l’écriture. Entendre, dans ce qu’on voit, quelque chose d’autre.)

En monnaie de songe. Et si, pour l’univers de Marcel — enfant des limbes, oublie pas —, j’abordais la transaction financière par le menu de mes souvenirs d’enfance, épars et lacunaires — comme si c’était pas déjà le cas… —, comme les pièces qu’on brasse et fait sonner d’un doigt dans le porte-monnaie, pour celle d’un ou deux centimes manquants, du temps où elles étaient jaunes, du temps où on parlait aussi en anciens francs — et même en millions ! —, et on achetait des bons pour le pain. Et s’il ne s’agissait pas simplement de mes souvenirs d’enfance, mais ceux d’un autre, ou de tel et tel, et je suis là, dans ces souvenirs, comme une vieille apparition ? Et si on apparaissait comme ça, comme un flou sur l’image, dans les songes de la petite que fut notre grand-mère ? — Et la petite souris, ça marche ?

Après Micro-Folie, sortie avec la structure à L’Encollage. — Nous devions visiter l’atelier de fabrication de châssis entoilés pour peindre, Master Toiles, mais c’était finalement impossible. On nous a envoyés dans la salle d’exposition. — Un entrepôt métallique. Une pièce relativement carrée, particulièrement froide. — De grandes toiles suspendues à des filins. D’un côté, un paysage forestier : un chemin dans un bois ; un arbre mort, tombé, au milieu des autres ; des fougères sous de grands pins. De l’autre, une autre saison. — Des espèces d’aquarelles de champignons, qui ne sont que des taches d’eau et de brou de noix. — Des dizaines de plaques de bois peintes d’un paysage qui ne ressemble jamais à l’autre, surtout la tête de chien. Des centaines même, comme on tiendrait un journal de peinture. Des milliers chez l’artiste. — Il y a un petit tableau noir, la seule forme humaine, une femme-louve. — La technique de Florence-Louise Petetin ? Classique de prime abord. Quelque chose de fauve avec des couleurs plus actuelles tendant au fluo ici ou là. Mais on sent un quadrillage, des zones carrées dans la masse de lignes des branches et des touffes de feuilles, d’ombre ou de soleil. Des décalages dans le dessin, des contrastes de lumière, par blocs. C’est que l’artiste peint d’après photo, mais pas une, des dizaines de photos d’un paysage — Tiens, les plaques ! — qu’elle regroupe comme des pièces d’un puzzle. Et elle peint d’après photos, selon les modifications de la luminosité de l’une à l’autre, selon les écarts de formes, les flottements de la couleur. — Sur une toile, reste un fond de quadrillage, la trame des lignes.

« Ce que je suis ? Lié de toutes parts à des lieux, des souffrances, des ancêtres, des amis, des amours, des événements, des langues, des souvenirs, à toutes sortes de choses qui, de toute évidence, ne sont pas moi. Tout ce qui m’attache au monde, tous les liens qui me constituent, toutes les forces qui me peuplent ne tissent pas une identité, comme on m’incite à la brandir, mais une existence singulière, commune, vivante, et d’où émerge par endroits, par moments, cet être qui dit “je” » — Jacques-Henri Michot, Comme un fracas

Parfois, on se trouve dépassé, envahi, empêché, démuni, désemparé, dépourvu. Rien à faire, il n’y a rien à écrire. Qu’aurait-on vraiment à faire des douleurs lancinantes et persistantes à la pointe du cœur (on a beau avoir été prévenu, on ne s’y fait pas vraiment), ou de la Trame d’Entretien Annuel d’Évaluation à remplir et ses questions inchangées (on a beau faire ça une fois l’an…). Cela dit, comprendre que, de deux choses, l’une : soit je ne peux rien y voir ; soit, je n’en veux rien savoir. Mais dans les deux cas, on ne peut empêcher la colère blanche de monter, voire d’éclater — surtout quand la vieille tondeuse rechigne à traverser la jungle herbeuse en s’arrêtant net sans vouloir repartir, comme une bourrique sur laquelle pleuvent tous les noms d’oiseaux fabuleux (sans les coups, je me serais fait mal).

Le calme est revenu de façon surprenante, en lisant les textes qu’Isabelle m’a donnés hier, en fin de journée à la structure. Deux poèmes, où il est question d’une blessure ancienne dont elle ne dit rien. Rien qu’un peu de tristesse. L’un commence ainsi : Il y a longtemps que je n’écris pas. / Parfois, le silence répond mieux à la question des jours. L’autre : Mes larmes étaient de celles qu’on ne cherche pas à essuyer parce qu’elles sont salvatrices. Voilà. Je me suis tu et j’ai pleuré. C’était la seule chose à faire, la seule chose à écrire. En tout cas j’aurais dû. Elle écrit aussi : Dire le monde, dire l’espoir, dire l’avenir. / Ouvrir la porte à de nouvelles phrases. / Rêver, laisser la phrase jaillir.

On touche pas aux Imaginaires ! on y fait attention ! sinon à quoi sert de passer par un relais colis ? ils sont abîmés mes Imaginaires, ça s’est vu tout de suite, la pochette à bulles avait reçu un coup, elle était déchirée, et le papier journal qui les enveloppait aussi… heureusement, ils ont pas l’air d’avoir été vraiment touchés… mais quand même, ils sont plus très droits, on sent que le coup a porté, c’est comme si on avait essayé de les plier… remarque, le pli des Imaginaires, l’image aurait peut-être plu à Prévert… ? n’empêche, on fait quand même gaffe !

Marcel et le supermarché, à la fin des années vingt au fin fond de la Saintonge…

« Moi je trouve que, faut être un peu vieux pour se dévergonder pour tout vous dire, et le, et je trouve que… euh… que le bref, c’est une façon de titiller, c’est une façon de… aussi de, de recueillir ce qui subsiste en nous, et… et… et de le livrer tout à trac, en tout cas, je dirais que, il y a moins de chiqué. Voilà. Y a, y a quelque chose de… ça demande du temps d’être naturel vous savez… on commence, on commence par faire de, de… de grands discours compliqués… et puis avec le temps, on se simplifie, et on se met même à rire. — À rire ? — Je veux pas qu’il y ait un mélange d’astuce et de rire qui vient, euh… autrement dit… on ne se prend plus trop au sérieux, c’est peut-être par-là qu’on devient sérieux, d’ailleurs, je ne sais pas ! mais en tout cas, euh… en tout cas, euh… on, on s’aperçoit qu’on peut, à la fois avertir et divertir, qu’on, qu’on n’est pas forcé de, je dirais, d’être, d’être copieux euh… ou euh… tranchant. Voilà. » (Régis Debray dans le 6/9 de France Inter)

Ni une ni deux, je me suis rendu au cimetière de Semoussac, qui n’est pas très grand, pour retrouver ta tombe. J’ai parcouru toutes les allées en ciblant les tombes les plus anciennes, les plus isolées et les plus simples : un tas de terre aplani avec une petite stèle bancale surmontée d’une croix en pierre grise, ou d’une croix de fer rouillé, ou juste une stèle, ou bien juste une croix fichée dans la terre, en fer, en bois, ou couchée dans l’herbe plus ou moins envahissante, et pas de nom. J’ai repensé à la fin du film d’Ennio Morricone, Le Bon, la brute et le truand, la course dans le cimetière au milieu des tombes et des croix qui tournent, pour rien. — Mais dis-moi, à quoi tu joues ?

Le hameau à Semoussac, ce serait Chez Servant. Je n’y suis jamais allé. Une comparaison entre une photo aérienne de 1957 et une image satellite de 2021 (sur le site Remonter le temps) montre que la configuration générale du lieu a peu changé. Deux bâtiments annexes ont disparu, ainsi qu’une partie de la longère. La chambre où tu es né, où tu es mort, existe peut-être encore. Et ce que je peux écrire, en parallèle de ces notes qui essaient de rétablir doucement la vérité, n’a d’autre réalité que fictive. — Peut-être, mais à travers la fiction ?

Je suis tombé sur la sépulture de Jérôme, un copain d’enfance décédé il y a trois ans. Suicide d’un coup de fusil, quarante-trois ans. Sa sépulture est richement ornée de fleurs et de plaques, c’est coloré et brillant par rapport au vieux mausolée gris et terne à côté. Une moto de course sur la stèle. Étrangement, si j’étais d’abord seul c’est sa mère qui est entrée. Elle a fait un tour dans le cimetière avant de rejoindre ma tombe du fils. Je l’ai reconnue tout de suite à son visage. — Alors c’est ça ton jeu, l’autre réalité ?

|| Antoine Wauters : « Souvent, je pense que tout ce que je cherche dans ma vie, je le cherche depuis cet endroit, depuis ce mur. Et que chercher ce qu’il y avait de l’autre côté revient à chercher ce qu’il y avait avant, avant les mots. Mais je n’ai que les mots pour ce faire, pour rejoindre ce qu’il y avait avant. ||

Danièle est en vacances. Elle a traversé la France et je la rencontre bientôt. Au téléphone, à la fin, elle a dit quelque chose comme : J’te dérange pas plus longtemps dans ton travail. Le travail, c’est-à-dire l’écran, le clavier, l’écriture. Hormis le Domaine des Fossés, où l’on ne fait que s’écouter parler — c’est déjà ça —, je crois que c’est la première fois qu’on me parle, là, de travail.

Un coup de fil de maman, et voilà que les cartes sont encore rebattues. Marcel n’est pas né à Saint-Georges-des-Agoûts, mais à Semoussac. Le nom du hameau lui échappe, ça lui reviendra. — C’est pas à Flérac ? — Non. Ça c’est quand le grand-père quand est arrivé, qu’il a été envoyé chez sa sœur. Mais côté Saint-Georges. Le village est coupé en deux par la route. Après, quand il a été plus grand, je sais plus. — Et il a été enterré là-bas à Semoussac ? — Eh ça… c’est ce qu’on sait pas justement. — Comment ça ? s’il est né là et qu’il est mort avant d’avoir eu un an, il devrait être enterré là ? — Mais pas forcément. Mamie Alice avait aussi de la famille à Saint-Thomas, il est peut-être là-bas. — Et elle l’a jamais dit ? elle en a jamais parlé ? — Si, mais elle savait plus dire de ce qu’elle avait fait. Elle s’en souvenait plus. (Me voilà bon pour courir les cimetières. À la recherche d’une tombe qui aura bientôt un siècle.)

Le Plus court chemin : « Tout ça, toutes ces choses qu’il fallait faire mais que je détestais, c’est grâce à lui, à mon chrono, que je les ai accomplies, parce qu’il plaçait ma vie sous couvert de fiction et que, déjà alors, j’étais terrorisé par l’idée d’être moi. » — De là, numéroter ses notes, dans un ordre croissant, chronologique ou crypté : est-ce que ça ne participe pas aussi d’un supplément de fiction ? qui correspondrait à un supplément d’âme ?

Texte 5.2

Une envie de rejouer le mode répétition et différence (légère) pour deux blocs-paragraphes bras dessus, bras dessous. En allant et venant de l’un à l’autre, pour ajuster, s’accorder sur les différences. — Bras dessus, bras dessous : le titre ?

Micro-Folie — Une sortie de la structure au château, pour une plateforme artistique itinérante, un musée virtuel modulable, une galerie digitale interactive, une exposition en forme de « médiation, pas conférence », dit-on. Dans une salle obscure, défilent sur un grand écran des images d’œuvres d’art. On est assis sur un banc, en face d’une tablette sur laquelle on peut liker, en touchant un cœur battant, telle ou telle image. Apparaît alors un cartel apportant des précisions sur l’œuvre et l’artiste. Le temps de lire, voire d’agrandir l’image pour en observer les détails — j’avais liké un crâne coiffé de dreadlocks —, bien d’autres images ont défilé, disparu.

Oui, la photo de famille, deux jeunes frères et une sœur, côte à côte, l’image ancienne, ce sépia qui grésille, ça dit quoi ? Un peu d’amour. — Il aura bien fallu, après moi. Mais comment, quand on la disait perdue ?

Pascal Urano, aujourd’hui dans le journal du 13/14, sur France Inter : « Il y a un nom qui ressort toujours, c’est Rimbaud, Rimbaud est enterré à Charleville, est né à Charleville, fait partie intégrante de notre patrimoine et donc c’est quelque chose sur lequel il faut capitaliser. » Rimbaud, donc, outil de développement du territoire, Pascal Urano se félicite, d’ailleurs, d’avoir donné des idées à d’autres chefs d’entreprise locaux. « Ça a réveillé un petit peu les consciences, d’un certain nombre de chefs d’entreprise, d’un certain nombre de personnes privées euh… pour dire aujourd’hui C’est possible ! On vit dans notre département des choses parfois difficiles, sauf que, il faut qu’on se reprenne en main nous-mêmes, il faut que certes que les collectivités ou l’État euh… essayent de nous ramener un petit peu d’activité et d’attractivité, mais aujourd’hui le territoire doit se reprendre en main et… on doit être maître de notre destin. » Si nous nous étions regroupés plus tôt, regrette Pascal Urano, nous aurions pu acheter le manuscrit du poème L’Éternité parti en décembre pour 540 000 euros. »

Rimbaud, jadis dans ses Derniers vers, pour l’Âge d’or :

« Quelqu’une des voix
Toujours angélique
– Il s’agit de moi, –
Vertement s’explique :

Ces mille questions
Qui se ramifient
N’amènent, au fond,
Qu’ivresse et folie ;

Reconnais ce tour
Si gai, si facile :
Ce n’est qu’onde, flore,
Et c’est ta famille !

Puis elle chante. Ô
Si gai, si facile,
Et visible à l’œil nu…
– Je chante avec elle, –

Reconnais ce tour
Si gai, si facile,
Ce n’est qu’onde, flore,
Et c’est ta famille !… etc…
Et puis une voix
– Est-elle angélique ! –
Il s’agit de moi,
Vertement s’explique ;

Et chante à l’instant
En sœur des haleines :
D’un ton Allemand,
Mais ardente et pleine :

Le monde est vicieux ;
Si cela t’étonne !
Vis et laisse au feu
L’obscure infortune.

Ô ! joli château !
Que ta vie est claire !
De quel Âge es-tu,
Nature princière
De notre grand frère ! etc…

Je chante aussi, moi :
Multiples sœurs ! voix
Pas du tout publiques !
Environnez-moi
De gloire pudique… etc… »
Texte 5.1

Micro-Folie — Une poignée d’œuvres sur le thème du Scandale : Le Déjeuner sur l’herbe (Manet), Olympia (Manet), La Petite danseuse (Degas), La Femme au chapeau (Matisse), Fontaine (Duchamp), Anthropométries en bleu (Klein). De rapides explications techniques faites de questions qui font les réponses. Une vidéo de quelques minutes sur le collectionneur Léo Stein. — Alors, vous avez trouvé ça comment ? — Franchement c’était trop nul. — On a même pas pu revenir sur les autres galeries, moi j’en ai rien à foutre des têtes de mort du mec si con ! — Mo j’a rin compris ! — De toute façon c’est pas pour moi. J’irai pas payer un musée pour des tableaux vieillots. — Déjà qu’on arrive pas à boucler les fins de mois. — C’était pas mal, mais qu’est-ce qu’elle a parlé vite ! — Passés les avis sur la question sans réponse, on tente un retournement avec Duchamp, d’accord avec eux pour renvoyer l’art officiel dans les cordes entremêlées de la vie, la plus ordinaire et insignifiante soit-elle, et des goûts et des couleurs en décidant, d’un geste de renversement, que cet insane urinoir est une jolie fontaine. On n’insiste pas trop, et on part à la recherche des traces de l’art au minuscule chez soi, sur soi, en soi.

Paradoxe : quelque chose me dit que « le geste arrêté », dit f, est dans la photo de famille, la photo de la fratrie, mais à côté, hors champ, ou devant eux, derrière l’appareil. — Et moi, je suis là ? — Tu es là. — Où ? — Dans l’appareil. Dans la photo. Le grain peut-être. Le sentiment de l’image.

Assita veut arrêter la formation. Elle dit : Je veux me concentrer sur mon travail. Ce serait une erreur, mais elle ne trouve pas vraiment de sens à ce que je lui propose de faire. Il y a toujours un rendez-vous qui la fait partir avant la fin de la journée. — Je n’ai pas toujours les mots qu’il faudrait. (Sauf quand elle me demande ce qui est écrit sur sa boîte de médicaments. Je lis : 2 comprimés par jour pendant 5 jours, puis, 1 comprimé le soir pendant 1 mois. Ce qu’elle répète à son téléphone dans son dialecte ivoirien.)

Après le travail, dans l’Espace Culturel où je vais parfois me changer les idées, il y a toujours un présentoir pour des livres d’occasion. J’y ai trouvé aujourd’hui, comme neuf, La Salle de bain de Jean-Philippe Toussaint. Je feuillette, je découvre ses blocs paragraphes numérotés. Et me revoilà à penser que j’aime ces nombres avec le texte. Et qu’il y a comme une nécessité du chiffrage, du codage, du cryptage, sous l’apparence de l’ordre.

Ce soir, dans le dernier épisode de la petite série De Grâce, en voix off : « On rêve tous de revenir à l’enfance, aux origines, quand les épées étaient encore en bois, et que le quartier des neiges était notre royaume. Quand tout était possible, et que les mauvais chemins n’avaient pas encore été pris. On ne peut pas empêcher une malédiction de se reproduire. Mais on peut la fuir, s’éloigner le plus possible. Tant qu’il est encore temps. »

|| Je n’en ai pas terminé avec Un Lieu inconvénient — mais comment le pourrait-on, la guerre en Ukraine est elle-même loin de l’être ? Le projet initial de Littell et D’Agata : « arpenter, photographier, noter l’insignifiant comme l’essentiel ». Cela à Kyiv, à la recherche de Babyn Yar, comme à Boutcha en live. Édifiant. Quand même, après avoir vu les traces et écouté les récits du massacre, Littell cherche à comprendre, dans la section « Logiques », avec en tête ce que les soldats de l’Allemagne nazie ont fait lors de la Seconde Guerre mondiale. Il y a d’abord la ressemblance, la logique de la guerre des chefs, les stratégies militaires, les méthodes radicales ordonnées à chaque soldat, « un homme ordinaire, comme vous et moi ».

Et puis la grande différence, relative à celles des soldats, des hommes ordinaires, confrontés à d’autres hommes ordinaires, en civil : l’ordinaire de l’un, de l’ordre de la pauvreté ouverte à tous les vents, ne valant pas celui de l’autre, confort moderne entre quatre murs. « La mort est un maître venu d’Allemagne, l’œil bleu, vêtu de cuir, imbu de sa haute culture, entouré de ses chiens et de ses serpents. Aujourd’hui, la mort vient de Russie, mais elle n’est pas un maître, juste un paysan ivre de rage et de peu, qui tue parce que ses chefs lui disent que c’est ce qu’il faut faire, qui viole parce qu’il le peut, et qui voit surtout dans ce désastre une opportunité pour voler ce dont il manque chez lui, comme si une machine à laver valait sa vie et celles de ceux qu’il tue sans que la moindre pensée occupe sa tête. “Tu veux quelle télé ?” demande à sa petite copine un soldat russe nommé Sergueï dans une autre communication téléphonique interceptée. “LG ou Samsung ?” — Seriozha, tu rapportes un aspirateur, aussi ?” — “Ouais, je l’ai déjà emballé.” »

Cet essai réflexif passé, retour à Kyiv, à Babyn Yar, aux notes et aux photos erratiques. Décrire, raconter. Creuser l’histoire ancienne dans les artères bouchées de la géographie urbaine, à la mémoire raccourcie. De là est apparu un étrange parallèle entre les récits rapportés de Boutcha, aujourd’hui, et ceux de Babyn Yar il y a longtemps : des histoires de buses. À Boutcha, Littell revient avec l’aventure de Bodarenko, torturé par les soldats russes qui veulent des noms, il est récupéré et caché dans une buse, durant de nombreuses heures, par des conscrits ukrainiens eux-mêmes cachés non loin. Lorsqu’ils l’en sortiront pour le libérer, c’est un autre homme, à l’agonie, qu’ils dissimuleront dans la buse où il mourra. (Photo à l’appui.)

À Babyn Yar, Littell rapporte le souvenir de Rouvin, un rescapé du massacre parvenu à sortir de la colonne qui l’emmenait vers la mort. « Après le cimetière militaire, là où aujourd’hui s’élève la grande tour métallique de la télévision, Rouvin aperçoit une buse qui passe sous la route, et il se faufile dedans. Il doit être midi, cela fait à peine une heure qu’ils sont partis de chez eux. Cette canalisation permettant l’écoulement de l’eau de pluie, c’est le détail dont je me suis le mieux souvenu, même si j’ai déformé nombre d’autres détails. » Et pour cause, Littell et D’agata eux-mêmes, vers la fin du livre, suivront le ruisseau au fond de Babyn Yar — « un immonde petit canal verdâtre coulant au milieu des garages et des entrepôts de Petrivka, coincé entre deux rives de béton effrité et presque entièrement caché sous la végétation et les mauvaises herbes » — et s’engageront dans la bouche où il poursuit son chemin : « Le béton était vieux, gris, sale, des coulées de boue brune mêlée à des feuilles putréfiées suintaient parfois des fentes dans la paroi des tuyaux plus petits qui s’y déversaient. Petit à petit, la canalisation rétrécissait. On avançait penchés, puis cassés en deux ; le sol boueux était traître, ces conduits n’étaient clairement jamais entretenus, il y avait des tours où le pied s’enfonçait par surprise et se tordait, abruptement. » (Photo à l’appui, la description continue.)

Qu’est-ce que ces histoires de buses enseignent ? Des points de détail insignifiants dans les récits, mais essentiels dans la mesure où ils symbolisent, au moins en puissance, les rouages de l’histoire, le filet de la vérité à l’autre bout, inaccessible puisqu’encerclée, bétonnée, emmurée ? ||

À la fin du mois, le 29 exactement, aura lieu au CAPC de Bordeaux l’atelier artistique Les Pinceaux rêveurs : « Un atelier pour les petits, en compagnie de l’artiste peintre Cilabule, dont le travail vise à révéler ce qui des lignes, des couleurs et des contrastes déclenche l’émerveillement d’un enfant devant une coccinelle. » La transposition de cet atelier sur le plan de l’écriture me semblant particulièrement complexe — si ligne correspond à phrase et couleurs à mots, à quoi correspondent les contrastes ? les espaces, les interlignes, le blanc de la page ? —, je préfère oublier l’écriture et retourner en enfance.

« … alors que je tente seulement de cultiver un peu de silence. » (Antoine Wauters, Le Plus court chemin)

Relents du Domaine des fosses — Oui, en allant à Paris, dans le new TGV Ouigo, en entrant dans les toilettes, j’ai repensé aux Lieux Saints d’Alain Cavalier et à ma série de textes réalisée au cours de l’atelier photofictions. J’étais aussi en train de relire 40 exercices pour le carnet d’écrivain de f, où le prologue invite d’emblée à écrire « d’après image mentale, image-souvenir ou image-document mais uniquement prise dans ses déterminations plastiques, géométrie, couleurs, signes, indices, formes et signifiés, une image qui en elle-même reste énigme ». Donc, j’entre dans la cellule des toilettes du train, lancé à 300 à l’heure, en équilibre instable pour faire ce qu’il y a à faire, l’œil rivé sur cette lunette blanche — nom étrange : le mot vaut peut-être seulement pour la forme, reste qu’il ne peut empêcher la connotation visuelle de passer à travers, et alors : qui regarde quoi ? —, sur ce fond de métal gris brillant en forme d’entonnoir où reposait un bout de papier rose, dans les vibrations et le bourdonnement étouffé du lieu. Je ne sais si ce fut comme une apparition, mais un appel de la photo, oui (en évitant le miroir). — Maintenant, que faire de l’image ? Je ne vais quand même pas la mettre en ligne ? Inutile de toute façon, on en trouve déjà des semblables, texte à l’appui, par exemple sur Nodesign. Et même, avis aux amateurs (ou fétichistes), une vidéo sur la chaîne YouTube Toilet Story — un hommage à Alain Cavalier ?

« Notre show va être plus visuel — on travaille avec un éclairagiste fantastique. On peaufine aussi l’arc narratif du concert. Le son reste crucial, bien sûr, mais on a envie d’apporter une sorte de théâtralité, si j’ose dire. Tout ceci va nous servir de structure. » (John Talbot, du groupe Idles, dans Les Inrocks n°27 – février 2024) — L’arc narratif, sorte de théâtralité de structure…

J’ai eu envie de pleurer en lisant les fragments de Judith Wiart. C’est idiot, mais ces petites histoires d’écriture avec ceux qui ne savent pas toujours, et peut-être jamais, à quel point ça les travaille, la langue… franchement, j’ai eu envie de pleurer. Farah, Faïssoil, celui ou celle à qui on rappelle qu’il faut écrire « avec ce qui existe à portée de main, de vue, d’expérience », dans ma structure combien il y en a comme ça, des Julienne, des Sofiia, des Quentin et des Mélodie ? Et aussi : « Chaque jour le job de l’entrebâillement. Chaque jour, chaque heure. » Savoir saisir le moment opportun pour intervenir, couper, relancer, rebondir, se taire aussi. Et pleurer.

(Je ne vois pas du tout, de ces fragments, quelle consigne d’écriture f, que je n’ai pas encore lu ni visionné, a bien pu tirer.)  

Le plus agaçant, dans une série de notes, celles du texte comprises, c’est de lancer le correcteur (Antidote) et de s’apercevoir que les erreurs les plus grossières se concentrent dans le texte déjà mis en ligne.

Tu sais que tu n’as pas vraiment bougé ? C’est comme si tu observais ce qu’il se passe, et même ce qu’il t’arrive, depuis ce même endroit, de la pierre à crier. — T’as de ces idées aussi… tu crois que tu tiendras jusqu’au bout comme ça ? — Non, je crois pas, j’en sais rien. Je crois rien en fait. C’est juste que ça se présente comme ça pour l’instant. Comme si le lieu même devait aussi s’exprimer avec toi. — Oui, enfin… moi, j’ai déjà pas eu une vie très mouvementée. Je te rappelle que j’ai pas eu le temps d’apprendre à marcher ni à parler. Je vais finir par me sentir à l’étroit. La figure du génie du lieu, ça t’amuse peut-être, mais je suis pas sûr de vouloir me prêter encore longtemps à ton jeu. Je vois d’ailleurs pas pourquoi une telle figure aurait pas le droit ou le pouvoir de se déplacer. Si c’est vraiment à cause du lieu, tu pourrais pas le déplacer, ou en reconfigurer la structure, au moins ? — Ah ben… toi aussi t’en as de ces idées ! comme si j’en étais capable ! — Mais… on s’en fiche de tes capacités ! c’est pas la question ! ce qu’il faut, c’est le courage d’essayer, c’est la confiance dans l’écriture ! Imagine-toi un peu à ma place, toujours là quelque part, plus ou moins diffus, ici ou là, sans que je sache moi-même où, et toujours les membres fantômes à me démanger… en plus tu risques de sanctuariser le lieu… — Oui ben… toi au moins ils sont fantômes. Si tu savais ce que ça fait de rester des heures, parfois, immobile devant un écran et un clavier. — C’est ça, plains-toi… comme si tu pouvais pas sortir de ta chambre pour te dégourdir les jambes et te vider l’esprit… et comme si faire courir la langue du bout des doigts de l’esprit au bout des doigts du clavier c’était pas physique… arrête de te plaindre et laisse-moi un peu sortir ! c’est bien beau la compagnie des fées, mais tu t’es laissé bercé d’illusions, j’ai l’impression… et si j’ai pas appris à parler ni à marcher, j’ai appris à hanter… alors laisse-moi faire ! pense à autre chose, comme si t’allais prendre un peu l’air, et laisse-moi entrer… ça doit pas être si sorcier l’écran et le clavier avec tes mots et les quelques-uns que j’ai pu entendre…

Ce matin, beaucoup de pluie. Une éclaircie dans l’après-midi. Un vol de grues. La réunion dans la structure a tardé. Avec Aurélie en visio, à coups de textos et de photos.

texte 4.3

Si l’histoire de la mémoire du poisson rouge est fondée scientifiquement, qu’en est-il des insectes ? Si on les considère comme des organismes moins évolués, leur mémoire est-elle si courte qu’elle se réduit à la seule dimension du présent, au seul champ d’action de leur présence ? Mon interrogation peut sembler futile. Mais elle renverse la perspective du déploiement d’un geste dans le temps, dans la mesure où, du soleil couchant au petit matin, le temps ne passe pas vraiment, et le geste de l’antenne ne se départ pas de celui d’une patte ou d’une autre, non plus que celui d’une mandibule ou d’un élytre, en vol ou couché au sol. Après, ce que ça change sur le plan du texte…

texte 4.4

Y a-t-il vraiment une fin à cette histoire ? Envolé, et après ? Que va devenir l’entité venue se glisser dans l’animal ? Comment retourne-t-elle là d’où elle ne peut pas vraiment sortir ? Et où vole l’animal ? Un chêne malade pour se nourrir de sa sève ? Que va-t-il lui arriver avec ce fil noué autour de l’abdomen, corde au cou en puissance ? Y a-t-il une chance pour qu’elle se détache un jour ? Quelles courbes, quels plis dessinerait alors cette ligne perdue ?

Par Le Plus court chemin, il y a ces silences, chez les autres, que l’écriture poursuit comme un refuge pour les mots…                                                      et ces mots perdus, ou cachés, par la parole même, se dévoyant elle-même en quelque sorte, à mesure qu’elle détourne les désirs, les peurs, les joies, tout ce qui n’est pas elle mais en quoi elle s’enracine, au moins comme sentiment de la langue : « Le cri, le tu, le chant, la morsure, le chaos. Et s’il ne s’agissait que de ça ? Tenter de laisser ressurgir, dans tout ce qu’on écrit, ce que la faculté de nommer nous a pris. »                                                        Et puis, in fine, le vide (néant ?) : « Une vie à écrire des mots qui ne disent finalement que ceci : au fond de la parole, il n’y a rien. Au fond de tout est le silence. Absurde, hein ? »                                  — Le pourquoi les textes à trous ?

texte 4.2

Formation Voltaire — Déjà fini. Déjà à la maison. C’est passé vite. Je ne voulais pas y aller. Pas sur Paris. Ç’aurait été dommage, il y a eu une belle dynamique de groupe. Une bonne entente entre participants, et avec la formatrice. Même, finalement, avec le « vieux khâgneux » (quel médisant je peux être). Et même avec la réception de l’hôtel, qui s’est arrangé directement avec ma structure afin de ne pas me faire avancer le paiement qui n’était pas finalisé à mon arrivée, et avec qui on peut discuter un peu en rentrant de formation, un jour un pull en V, crâne presque rasé et accent maghrébin, le lendemain avec un blazer vert, coupe au carré raide et flexions asiatiques.

Affaire Tesson (encore ?! ça devient une obsession, finissons-en !) — Alors, avez-vous un verdict un peu plus engagé cette fois ? Coupable ou non coupable, comme on dirait dans un tribunal de n’importe quelle série insignifiante ? — Eh bien, disons plutôt que, parfois… — Vous ne pouvez pas vous en empêcher ! Vous aussi ça vous travaille, la nuance. — On essaie en tout cas… Mais je voulais dire que Tessons me semble, parfois, fautif, blâmable. Peu importe son opinion raccourcie sur le monde moderne, il est loin d’être le seul. Mais peu importe moins les contradictions de son discours et la mauvaise foi. Qu’il avance : « Un roi imaginaire sert à cela : unir les forces trop nombreuses, calmer la méchanceté, rassembler les facettes des géographies pour offrir à l’avenir un vitrail qui porte le nom d’Histoire. » Pourquoi pas, c’est assez juste et joliment dit. Mais ce qu’il rapporte détonne, quand le réel surgit avec la mort de la reine d’Angleterre. S’il est près de les « trouver grotesques, ces badernes avec leur mièvrerie à la bergamote », surprises de découvrir leur tristesse et l’amour qu’elles portaient à Élisabeth II, c’est aussi pour s’affliger de ce qui le fait, lui, Français. Du fait que : « L’absence d’un mythe était notre malheur tricolore, à nous qui avions tué le mystère. » Et, plus dur, si les Anglais allaient s’en remettre avec le couronnement du nouveau roi :

Nous, nous continuerions à nous haïr les uns les autres. Au nom de l’égalité, les Français s’étaient condamnés à ne pas connaître la vibration commune. Soulagés que rien ne nous soit supérieur, nous nous satisfaisions que tout nous soit semblable. »

Possible que je sois bien trop français pour comprendre, mais pourquoi un être humain, en chair et en os, la mort devant soi, devrait-il incarner ce roi imaginaire dont les pouvoirs relèvent fort de la chose publique — du Peuple, si ce mot possède encore un tant soit peu de valeur ? Le vrai mystère n’est-il pas la mort ? En décapitant le roi, nous avons tracé une ligne entre le réel et l’imaginaire, entre la mort qui nous attend, inéluctable, et la vie à imaginer, inventer. Quelque chose comme ça. Avec de l’égalité, de la liberté aussi, de la fraternité si possible. Une devise comme ça, en quelques mots pour commencer, pour rassembler, calmer, unir, et pourquoi pas vibrer. Et à chacun d’en ajouter d’autres selon ses besoins, de chacun de les incarner pour d’autres selon ses moyens. Et… le petit Marcel, par exemple, pourquoi ne serait-il pas maintenant un roi imaginaire… ? au moins pour s’unir soi-même… ? calmer ce bouillonnement qui a gêné Danièle l’autre jour ? rassembler les éléments et les forces de l’écriture … ? Et quelle serait sa devise ? avec quels mots… ? Après, en matière de littérature, fautif, blâmable ou coupable, si vous considérez que tout est comme dit par un personnage de roman…

Léa Seydoux sur France Inter (Totémic) : « J’ai, j’ai de la violence et j’ai de la colère aussi. En fait, souvent, la colère elle vient quand on n’a… pas la possibilité de s’exprimer. Vraiment. Et d’ailleurs, et d’ailleurs quand je parle je, je suis souvent prise par l’émotion parce que, je suis quelqu’un de très… qui peut se laisser submerger par ses émotions. — Ça veut dire que… vous avez du mal avec les mots ? — Non j’ai pas vraiment de mal avec les mots, je sais pas euh… — Avec la prise de parole alors ? — La prise de parole j’dirais. Plus. Pour moi parler est compliqué parce que euh… j’ai pas le sentiment qu’on m’ait vraiment… enfant en tout cas, j’avais pas la parole. Et donc, quand on me pose une question, ça me euh… Ah bon ? c’est à moi qu’on, qu’on s’adresse ? On a vraiment envie de savoir ce que j’pense, on a vraiment envie de savoir ce que, ce que j’ai à dire ? — Pourquoi vous aviez peur de cette interview Léa ? — J’avais peur de cette interview parce que j’ai une façon parfois de, de… de m’exprimer qui n’est pas tout à fait euh… dans l’efficacité. Parce que moi j’suis une, j’suis un peu une… une mauvaise élève, traumatisée, par l’école. Y a quelque chose où dès que je, je, je… le fait d’être, d’être la bonne élève, je sais pas. Et en fait maintenant je crois que je m’autorise un peu plus à ne pas être la bonne élève. En fait j’ai besoin pour pouvoir parler, j’ai besoin de… d’être dans… une intimité. J’ai beaucoup de mal à me… à m’adresser à une euh… une foule par exemple. C’est pour ça que faire du théâtre, ça me terroriserait. Et en même temps c’est parce que ça me terroriserait que ce serait intéressant j’pense. — Vous auriez ce goût du risque. — J’ai le goût du risque. — Quel rôle joue la peur, dans votre métier ? — Je pense que la peur elle est, est, a une place, prédominante. C’est la peur qui a été un moteur pour moi. Et d’une certaine façon qui m’a aidée à faire ce que je fais aujourd’hui. — Qui vous a aidée… ? — Oui qui m’a aidée, j’ai transformé ma peur. Je crois que j’ai… oui j’ai voulu transcender cette euh… cette tétanie en fait. Même avant de venir ici, j’av’, j’ai, j’ai peur de faire cette interview, j’ai de jouer… j’ai peur de beaucoup de choses. Mais, vous savez, avoir peur de tout, c’est finalement avoir peu de rien. — Parce que de fait vous y allez quoi qu’il arrive quoi. — Voilà. Exactement. Souvent on me dit que les gens timides sont les gens les plus audacieux. La peur, le trac c’est vraiment quelque chose je pense qui m’a aidée à… oui à jouer et à… pouvoir sortir de moi-même. »

Antoine Wauters écrit : « Je ressens comme une certitude que l’écriture n’est pas une activité. C’est un pays, un lieu qui me devance et vers lequel je tends. Le seul endroit où l’on peut me trouver — et le seul où je me trouve. Partout ailleurs, je n’y suis pas. Je n’ai lieu que là. » — Quand, donc, on ne se trouve nulle part ailleurs que dans un lieu qui vous devance, que vous suivez, qui vous distance, que vous ne rattrapez pas, sous peine peut-être de ne plus pouvoir y être, qui vous échappe et que vous laissez faire : une belle façon de dire qu’on marche à côté de ses pompes ? ou que l’écriture, c’est comme un pays en guerre ?

Tu n’es pas venu avec moi, Marcel, à Paris. Ça ne te disait rien ? — Lulu non, en quatre-vingt-quinze ans, n’a jamais mis les pieds là-bas. Et puis, as-tu seulement pensé à moi ? — Oui, en me demandant ce que tu aurais fait là ? — Et… ? — Je me le demande encore.

(Je me demande surtout ce que je peux écrire. Si Marcel pourrait venir hanter tel et tel lieu, observant les gestes de Lulu, de ses parents, ou du chien, se laissant traverser par leurs pensées se dénouant dans ces gestes.)

texte 4.1

Aujourd’hui, dans le cadre de l’apprentissage du vocabulaire, un petit jeu d’écriture avec des paronymes : allocution / allocation ; prééminence / proéminence. Il s’agit d’employer les mots dans des phrases permettant de comprendre leur sens et ainsi de les différencier. — Le Président a prononcé son allocution à l’occasion des vœux traditionnels du Nouvel An. Il a décidé que, cette année, le montant des allocations perçues par les demandeurs d’emploi sera décuplé. Et cela du fait de la prééminence absolue des problèmes sociaux sur les questions bassement économiques. Étrangement, la proéminence croissante de son nez donnait à son visage un air aussi effrayant que pinocchiosque.

« Questions : poursuit-on par nos propres silences des silences entamés plus tôt ? Y a-t-il une communication invisible des silences ? Dans quelle mesure sommes-nous, ou non, l’amplification des fatigues, blessures et “nœuds” de nos ancêtres ? Quels sont les paysages du fond de la parole ? Que voit-on qu’on ne voit pas tant qu’on est en train de parler ? Et d’où me vient cette impression, par l’écriture de ces lignes, que je poursuis ton propre silence, Pépé ? » (Antoine Wauters, Le Plus court chemin)

Et moi, qu’est-ce que je poursuis, quand je raconte à Emma ce décalage — ce n’est pas vraiment le mot — entre la locution verbale noyée dans la phrase que personne n’est parvenu à reconnaître sur le moment et cet homme noyé dans sa bâche en plastique qu’on reconnaît à peine en passant ? C’est la seconde fois que je lui fais le coup. Où est-ce que je vais, quand je lui raconte que c’est ça que je note surtout, rapidement, de la formation à Paris ? Qui je fuis comme ça, pour ne rien écrire ?

Le métro : de métro-mesure, ou de métro-matrice ? La réponse ne change rien à l’affaire. Pour rejoindre Emma dans L’Autobus, je me suis perdu dans les lignes.

|| Soit la petite histoire loufoque créée en formation, à partir du motif imprimé sur une tasse que j’avais sous les yeux : La vache rose mange un kebab. Elle en donne un bout à son amie la brebis. À qui d’autre en donnera-t-elle une bouchée ? Chacun aura-t-il le ventre plein ? Peu importe, tous les amis seront ravis qu’on leur donne quelques morceaux à manger de ce bon kebab. Exercice : identifier les compléments des verbes ; indiquer si le régime est direct ou indirect. La troisième phrase fait débat. Les compléments finissent par être identifiés. À la dernière phrase, quelques cheveux s’envolent à cause du verbe impossible (la locution verbale donner à manger). La formatrice ne dit plus rien, regarde ses pieds, puis le tableau, puis par la fenêtre. — Par la fenêtre, le Viaduc des Arts, ses piliers roses, la passerelle d’acier au-dessus du boulevard, le tas de cartons et de bâches en plastique dessous, là où ce matin, comme celui de la veille, au carrefour, au feu, au bas d’un escalier, surnageait, au pied du grand mur, l’œil hagard, hirsute, un visage. ||

Pour du grain à moudre avec f : ce qu’on ouvre en tant que geste à la fois intime et codé — quels codes le traversent — déploiement dans le temps de ce geste. Et quoi à la place de l’escalator ?

Pour une tournée avec Emma : demain soir, rendez-vous L’Autobus dans un coin de rue, sortie de métro Filles du Calvaire.

Affaire Tesson (est-ce bien raisonnable ?)

  • Après avoir brièvement parlé du fond et la forme du dernier livre, Avec les fées, peut-on maintenant dire qu’il est réactionnaire ?
  • Oh, vous savez, quand moi-même j’ai employé un mot tel que nihilisme
  • C’est-à-dire… ?
  • Je veux dire que, pour faire que la chose qu’on semble combattre n’advienne pas en soi-même, il faudrait déjà bien s’entendre sur le sens de ces mots qui peuvent être aussi creux, à force de répétition tous azimuts et de galvaudage, qu’ils en imposent et donnent de l’importance à celui qui les utilise.
  • Donc, vous voulez définir ce qu’est un réactionnaire ?
  • Eh bien, si par-là vous voulez, comme le professeur et poète Emmanuel Évichard dans Le Monde, poser à Sylvain Tesson la question : « pensez-vous que “c’était mieux avant”, ou pensez-vous que “c’était mieux ailleurs” ? », voilà qui semble assez concret.
  • Et alors, que répond-il ?
  • Il faudrait lui poser la question.
  • Vous jouez sur les mots ma parole ? Que pouvez-vous nous dire sur ce que pourrait penser Tesson, mieux avant ou mieux ailleurs, d’après les Fées ?
  • Eh bien oui, on sent que pour lui c’était mieux avant et que c’est mieux ailleurs qu’en ville. Mais je ne fais que le sentir. Le monde moderne apparaît souvent de manière fugitive, pour un effet de contraste, d’opposition. Mais c’est ambigu. Après tout, dire que « le monde moderne aime les dalles de béton et les plaques de verre, l’équarri et le transparent, le facile et l’évident, le binaire et le défini », si le style de la réduction en termes opposés fait poindre une certaine critique négative, celle-ci n’est pas explicite. Et il pourrait aussi bien s’agir d’une description, certes personnelle, d’une réalité, ou d’une fantomatisation radicale du monde pour mieux donner à voir son champ de force. Je ne sais pas si je suis clair.
  • Pas vraiment. Pouvez-vous préciser ou reformuler ?
  • Pas vraiment. Mais ce que Tesson pointe ici rapidement, sans nuance contrairement à ce qu’il disait sous un masque nietzschéen, a aussi ses œuvres qui ne manquent ni de complexité ni de nuance. Je pense aux petits nuages tout simples en apparence de Berndnaut Smilde dans des intérieurs très structurés, architecturés.
  • En plus, on est dans le même champ de force d’opposition que « La fée ou le forgeron. La fontaine ou le marécage. Le bosquet ou l’auge. Le charme ou le grandiose. »
  • Exactement.
  • Et alors l’avant et l’aujourd’hui, l’ailleurs et l’ici, tout cela n’a plus vraiment lieu d’être ? La spirale se réenroule, le flux se redynamise ?
  • Oui. Plus vraiment lieu d’être…
  • Mais…
  • Mais quoi ? Ce n’est pas si simple. Je crois que Tesson cherche, au moins dans l’écriture, les nœuds d’énergie, des forces spectrales, que sont les fées d’avant, dans le délié d’aujourd’hui, dans la spirale sans fin. Comme un sac plastique dans une petite sorcière. Mais avec moins de finesse parfois, d’où ma réserve. Par exemple, lorsque les éoliennes croisées en mer sont le signe que la modernité brasse du vent, l’expression soulevant un refus, relevant du combat. Alors même qu’il prêche en suivant, tel un moine zen faisant tourner le moulin à prières de Goethe : « Né pour voir / Le monde me plaît / Vous, mes yeux bienheureux / Quoi que vous ayez vu / Que cela soit comme cela veut / C’était pourtant bien beau. »
  • Et… alors ? C’était mieux ou pas ?
  • Eh bien… qu’en pensez-vous ? Et puis… pour le nihilisme ?
  • Quoi… ? Comment ça, le nihilisme ?
  • Vous ne m’avez pas demandé de le définir.
  • Eh bien… non. Mais… ce n’est pas notre affaire ici.

Sinon, la formation a été riche. À la question de savoir si tout le monde connaissait le jeu Qui est-ce ? celui qui s’est présenté d’abord comme khâgneux (il y a bien une quarantaine d’années — sinon, il dirige un centre de formation, ce qu’il doit faire en même temps que la formation, le nez collé sur ses écrans d’ordinateur et de mobile) a répondu que Non… et, peut-être un peu agacé de l’étonnement de tout le monde, a ajouté Mais moi à six ans je lisais Dumas, c’est vrai ! Je me suis alors souvenu comment moi, au même âge, je jouais au mousquetaire, un bâton pour épée, un chien pour cheval, sombrero vert à pompons sur la tête. En garde, mécréant !

En Ouigo vers Paris, lisant Penser comme un iceberg, Olivier Remaud m’explique la vie de l’animal : « L’iceberg est la parcelle éphémère d’un glacier qui porte la mémoire de voyages mythiques : du premier flocon de neige tombé d’un ciel brumeux à une terre couverte de glace dont il s’arrache avec bruit et fureur. »

|| Dans l’hôtel à Paris, le Trianon du boulevard Diderot, la chambre, les murs, aux couleurs du drapeau ukrainien — une variante bleu marine et jaune doré, dans le style de la vignette Freedom for Ukraine. On voit des signes partout. Cela m’aurait peut-être moins sauté au visage si les murs n’en faisaient pas partie ? Ça donne l’impression de se trouver dans le signe. Ça ne donne pas pour autant la signification réelle. D’ailleurs, ne cherchons pas, sauf affabulation il n’y en a aucune. Mais tout cet or et tout ce crépuscule… ||

texte 3.2

Christophe Tarkos, lui, commençait par « C’est presque là ».

texte 3.1

Babiller est un verbe étonnant : chez les adultes, c’est une manière futile de parler pour ne rien dire ; chez les enfants, une façon de parler, ou de se préparer à la parole, vive et agréable ; chez les oiseaux, notamment la pie et le merle, leur chant ou leur cri. Du coup, on pourrait l’utiliser et, en changeant ici ou là une image, on pourrait donner à entendre l’adulte, l’enfant ou l’oiseau.

Emma écrit, dans L’Hiver XXI : L’écriture fugue, dépasse les bornes, reformule, croit avoir déjà été écrite, mais on a perdu le papier, la mémoire, on recommence la même histoire et tout est changé, les mots ne reviennent pas. A-t-elle conscience de tenir là un bon exercice d’écriture ? Comme une variante d’un exercice des Outils du roman : « Déchirez la page, posez la page enlevée devant vous, et recopiez sur la page blanche, puis déchirez la première version. Vous disposez d’une sortie imprimante de votre texte ? Effacez le fichier initial, ouvrez un nouveau fichier et recopiez intégralement le texte. Dans les deux cas, une fois fini, recommencez l’exercice. » — Variante pour le moins radicale. Une façon de jeter le bébé avec l’eau du bain ? Perdre le papier est une chose, perdre en même temps la mémoire en est une autre. Cela dit, la finalité de l’exercice des Outils du roman ne semble pas moins radicale : « Que, dans un même paragraphe, chaque phrase n’ait qu’elle-même pour horizon et pour référent, et ce sera gagné. » Comme si la phrase n’avait pas de mémoire, sinon interne à sa propre temporalité. Une manière de parler sous l’ordre de folie ? Et cela en série, en catastrophe : « Que, dans un même texte, chaque paragraphe n’ait pas connaissance du paragraphe écrit avant lui, ou du paragraphe écrit après lui. Que, chaque réplique de dialogue tienne comme phrase complète, sans appel à celle qui la précède, et celle qui la suit. »

Danièle, qui sait comment procéder en matière de généalogie, a retrouvé un autre document de recensement datant de 1906. Ton père y apparaît cette fois. Mais pas ses parents, morts de je ne sais quoi. Il a donc 6 ou 7 ans. Son grand frère Louis, 25 ans, est devenu le chef de famille. Il est marié à Marie Guibert, 22 ans. Ce sont eux qui le recueillent, ainsi que l’autre frère, Jean, 13 ans. Leurs sœurs Marie et Marguerite ne sont pas mentionnées, mais il y a bien une petite Marguerite. Elle a alors environ un an. — C’est étrange le t à la fin du nom. — Danièle a aussi trouvé un document relatif aux états de services militaires, je crois, vide. Il n’a donc pas fait la Grande Guerre, ton père. Mais on sait qu’il réside au lieu-dit Flérac, à Saint-Georges-des-Agoûts. C’est là, Flérac, que tu es certainement né. Je me souviens d’ailleurs, même si ça remonte et c’est assez vague, quand avec Lulu on allait rendre visite à sa cousine. C’est elle qui devait habiter la maison familiale où tu seras né. Il me semble qu’elle s’appelait Églantine. — Et c’est inscrit Saint-Jean, au lieu de Saint-Georges. — Tu te rends compte à quel point ma connaissance de l’histoire familiale est lacunaire et repose sur des affabulations ? — Pas si étonnant, quand tu vois ce qu’écrit l’administration.

« Les quarks, les demi-tons, les fées et les alexandrins n’appartiennent pas au même monde. » (Aurélien Barrau, De la vérité dans les sciences)

Même le facteur en a été surpris. Lui qui, les mardis, ne s’arrête jamais à la boîte aux lettres, voilà qu’il a dû déposer mardi dernier quelque chose qui n’était ni une lettre (trop gros) ni un colis (trop petit) dans lequel se trouvait un petit chien de camp. Oui, un petit chien de camp souple et très sympathique. Il vous accueille avec un message surprise personnel, et vous suit partout en toute discrétion. Il se glisse facilement dans votre sac à dos et, dès que vous le sortez pour l’effeuiller, vous tient compagnie avec un brin de conversation intérieure étonnante. Voilà qui tombe bien pour se sentir moins seul, et plus fort, durant les quelques jours à la capitale la semaine prochaine. Qui sait s’il ne m’aidera pas dans ma formation ? Je suis sûr que Voltaire sera content d’accueillir, pour une fois, un petit chien de camp. Lui qui reste un grand éleveur de mots, il pourra apprécier le travail de celle qui l’a éduqué. Ça le changera des questions sans fin, pour un bon usage sans saveur et sans odeur (mais gorgé de conservateurs), à l’attention des formateurs en mal d’écriture. Et surtout qui sait si, à tout hasard, il ne me mènera pas vers son éleveuse de mots, pour la saluer et la remercier ?

Il y a des jours comme ça, à la structure, la parole qu’on donne à Nathalie le matin fait s’empourprer le visage, trembler les mains, la voix est fermée, ça coupe court. Plus tard, un exercice d’écriture qu’Anna me demande la fait sortir en trombe prendre l’air et cacher ses larmes : elle sait appliquer la règle, mais les mots, les phrases, rien n’a de sens. Fin de journée, critiques des stagiaires (sans le vouloir, et c’est pire : trop difficile, pas ludique, en anglais on fait — aïe !), conseils des collègues (tour de parole, photolangage, cartes Perlipapotte — mais puisque je vous dis que ce matin…). Pour finir, Cécilia, une inconnue d’une autre asso au service des autres assos, comme sortie du Manège Enchanté en infatigable Zébulon sautillant, venue recruter dans la structure des participants, une équipe de six au moins pour une Soirée Fluo dans un gymnase, ce sera un moment sympa dans le noir, il y aura de quoi boire et manger, on aura des bracelets phosphorescents, on fera un petit tournoi de volley, en musique avec un DJ.

Affaire Tesson (vraiment, quand on y pense…)

  • Après la forme, le fond. Et l’essentiel s’il vous plaît.
  • « L’homme, voilier dans le vent. Les forces s’opposent, il va. Ce qui se contredit avance. Ce qui s’entrelace est beau. La pureté, vœu hygiéniste, cache une faiblesse d’esprit. Tout ne se noue-t-il pas dans l’être ? La part de l’homme est ambiguë, bien et mal mêlés. Elle n’autorise pas les catégories simples. Au cœur de l’être demeure la tension. Ni l’ange ni la bête ne sont séparés. Et l’âme humaine constitue toujours et à jamais le lieu de leur lutte qui parfois est l’autre nom de l’amour. Tout juste, un jour, peut-on se saisir de l’épée et trancher l’entrelacs. Alors, fin de l’aporie. Le serpent se dénoue. Le mêlé se démêle, la spirale se déroule, le flux se calme. »
  • C’est ça l’essentiel ? Je pensais plutôt à un extrait sur le féerique ou le merveilleux. C’est ce qu’avance le titre.
  • Oui, c’est le fond d’ensemble, en surface. Mais le fond du fond, je le situe là. De toute façon, les fées, ça lui échappe. Ça se retourne même contre lui. À croire qu’elles lui jouent un tour ironique.
  • C’est-à-dire ?
  • Eh bien, il y a vers la fin cette espèce de petit bilan : « Pendant plus de deux mois, j’avais baptisé “surgissement de la fée” cette convergence des sensations, des émotions, des observations, cette croisée de transepts. » C’est bien, idéal même. Mais aussitôt le rappel des circonstances, l’escalade avec son ami Du Lac, renvoie la réflexion du je-ne-sais-quoi à l’état de presque rien, de l’idéal au trivial : « Du Lac mit un terme à ces divagations. Il est facile de flotter dans les méditations vaseuses, quand hurlent les fulmars sur les mers en nage. « Tesson, il faut descendre. » Et on trouve le même renversement au début de l’aventure, dans le chapitre des fées justement. Tesson se retrouve à la table du colonel d’un centre de paras marins, si on peut dire. La conversation veut qu’il qui lui explique les techniques de combat : « ils sortaient de l’onde, faisaient leur office et reprenaient la mer en essuyant leur lame sur leur manche. » C’est assez caricatural, mais comme moi vous en avez vu d’autres à la télé. Mais Tesson rajoute un tour d’écrou en plongeant dans la caricature : « Je fais la même chose, mon colonel, mais sans risques, sans peine, ni enjeu, j’accoste pour les fées, je repars dans le vent. » Après le moine, le soldat. Ce qui ne manque pas de piquer le colonel, « dont l’indulgence était le masque fort civil de la consternation », écrit Tesson. Vous voyez, il y a une espèce d’autodérision à l’œuvre avec les fées. Sans parler de l’épisode où les trois aventuriers se parent de kilts sur le voilier, où Tesson avoue : « Nous étions ridicules. »
  • Bien, va pour Tesson soldat, à la nage, à l’escalade. Mais vous avez parlé de moine. Pourquoi la figure du moine ?
  • Parce que c’est sous cet habit-là qu’il parle quand il essaie de définir l’homme, qui n’avance jamais mieux que sous les forces affrontées. Vous ne sentez pas, comme le ton est plus sérieux, un brin pompeux, quoique le style nerveux ne change pas ? Avec tout l’imaginaire chrétien qui va bien, on dirait une homélie.
  • Et là, pas d’ironie ?
  • Non. Au contraire, ce qui suit relève de la déception, d’un regret. Un air de tragédie ou de nihilisme souffle quand Tesson, soudain, jette un œil sur notre monde, « notre époque qui aime les dalles de béton et les plaques de verre, l’équarri et le transparent, le facile et l’évident, le binaire et le défini ». Et je me demande s’il voit clair parce que, on a l’impression qu’il fait lui-même le jeu de ce qui le désespère. Par certains aspects, il n’a peut-être pas tout à fait tort. Mais il est loin d’avoir raison. Tout s’est délié, l’époque est plus complexe que l’air qu’il veut entendre.
  • Il creuse le désespoir en somme ?
  • C’est ça. Et d’autant plus qu’il parle de façon masquée et détournée. « “Malheur à moi, je suis nuance !” dit Nietzsche. Comme il aurait été malheureux, le pauvre fou moustachu, dans le siècle 21 ! » On est loin de la recherche de la joie pour apprendre à connaître, je trouve. Loin des fées comme Steven Soderbergh a pu en filmer une, par exemple, avec ce personnage de Sexe, mensonges et vidéo, caméscope en main, enregistrant la danse d’un sac plastique sur une dalle de béton, si je me souviens bien, emporté par un petit tourbillon qu’on appelle, chez moi, sorcière. Une sorcière bien inoffensive, autant dire une fée, qui fait vent de tout plastique pour se manifester l’espace d’un instant. Bref ! dans ce découragement, je me dis qu’on touche l’essentiel de l’homme qu’est aussi, d’abord (vraiment ?), l’écrivain. Qui n’est pas, je crois, celui du livre ou de l’écriture (malheureusement…).

Ce qui pourrait changer, dans les textes en miroir, c’est le lieu. Les postures, les gestes, les actions, les circonstances, les paroles, la situation : rien ne changerait, sauf le lieu. Mais sans parler des lieux. Quels indices alors pour changer de lieu sans le dire ? La luminosité ? Un bruit ? Une odeur ? Si j’écris affalé dans mon canapé (ce que je ne fais jamais ; lire, oui) ou sur un transat (une fois, pour prendre quelques notes sur ce que la journée de vacances avait réservé) : on imagine bien un salon et une télé d’un côté, pourquoi pas le soir, et de l’autre une terrasse, peut-être avec piscine et il fait beau. Mais difficile de dire qu’il s’agit d’indices cachés.

« Ses yeux noisette prennent des éclats dorés au soleil. » — Il m’arrive comme ça de fuir la chambre, le bureau, le clavier, l’écriture, préférant le sécateur et la poignée de pieds de vigne du jardin avec l’arrière-grand-père, la litière de la cage à lapin avec Lulu, les cosses de la batterie au papier de verre avec Ben, la clé de 10 mm mais où dans le garage avec mon père, la panière de linge sale et la poche d’aspirateur avec ma mère et ME, la page-écran et ses questions d’orthotypographie en ligne avec des yeux noisette dorés. Bref ! Je vois bien que tu m’attends au pont de pierre, quelque part. Mais attends. J’arrive. Le temps de fuir, j’arrive. Je ne veux pas. Pas toujours. Pas quand je ne sais pas. Pas quand j’hésite. Comme à chaque fois. Alors je prends mon temps, pour ne pas arriver. J’avance à reculons, à tâtons. Je ne sais pas, je n’y vois rien. Je fuis. On arrive.

Tu sais que Danièle à retrouver tes oncles et tes tantes ? Quatre, dans un document daté de 1896. Ton père n’était même pas encore né, c’est en 1896. — Des gens qui m’auraient donc connu, contrairement à Lulu et ses descendants ? — Oh ça, je ne sais pas ! C’est une autre histoire. — Oui. Et certainement la seule que j’aie pu avoir ! — Ben et moi alors ? Tu crois que je fais tout ça pour quoi ? — Eh ben… figure-toi que je me le demande… J’aurais préféré une vraie histoire de vie, pas une histoire de roman. — Oh, tu sais, la vie, le roman, parfois, moi qui ai une petite expérience de la vie et qui bricole un peu avec les mots, la frontière est mince et fragile… comme une feuille de papier bible. — Ah ! les mots… j’en ai entendu parler, je n’ai pas bien compris… ou deux ou trois choses. Deux ou trois mots que je n’ai pas eu le temps d’apprendre à dire, encore moins à écrire… Comment ils s’appelaient ? — Quoi ? les mots… ? euh… maman j’imagine… ? papa… ? — Non, les frères et sœurs de mon père ? — Ah ! Alors, en 1896, il y avait Marguerite, Jean, Louis et Marie. — Dis merci à Danièle.

Affaire Tesson (si c’est pas malheureux…) — Avant toute chose, puisque vous venez de lire son dernier livre Avec les fées, que doit-on retenir de son écriture ? — Rien. — Comment ça rien ? — Rien, je veux dire qu’il n’y a pas de devoir qui tienne ici. Si un livre vous pique les yeux, il vous tombera vite des mains. On n’en retiendra rien. Et même, s’il tient ferme et se dévore, vous dévore. Laissons-le faire. Ne retenons rien. Je lisais d’ailleurs, pas plus tard que plus tard : « “la poésie fera ci, la poésie fera ça !” / elle ne fera rien / elle se consumera / et vos piètres certitudes avec elle ». Une autre façon de prendre un Rateau ! — Oui, bon, d’accord… Mais… le livre des fées vous est tombé des mains ? — Non. — Bon alors… ? enfin vous avez compris ma question ? — Oui. — Et… ? comment il écrit Tesson… ? — Eh bien… je dirais comme son nom. — Comme son nom ? — Comme ça, oui. — Vous vous fichez de moi ? — Non ! je trouve qu’il écrit comme ça, avec des bouts de phrases, des phrases courtes. C’est plutôt court, pour les descriptions, les histoires, les réflexions. C’est assez rythmé, nerveux. Tendu même, menaçant. Et ça, ça doit être à cause de façon de dire, ou une volonté de définir ceci et cela. Il y a comme un côté essentialiste chez lui. Mais comme seulement, parce que ça ne tient pas. Jamais. Ça tombe, ça casse, et il faut rassembler tous les bris et tout recommencer. Dans un autre ordre. — Bien, bien. Et vous auriez un exemple pour mieux comprendre cet… art de la chute ? — Oui. Il y a ce passage où Tesson cherche à définir la dimension féerique par un aspect dialectique :

« La fée ou le forgeron. La fontaine ou le marécage. Le bosquet ou l’auge. Le charme ou le grandiose. La recherche des fées imposait d’osciller dans ces dialectiques. J’aimais à m’avancer ainsi dans les tensions du monde, avec mon petit sabre de bois, et à jouer à trancher les nœuds et à choisir mon camp. »

Là, il dit, on voit comment il décrit la marche de son écriture. Des bouts de phrases nominales à deux termes, dialectiques si on veut. Mais en fait, on peut voir ça comme des doublons, des ensembles cohérents, comme des contraires qui s’attirent, et qu’on ne peut pas vraiment séparer. — Des figures polémiques en somme. — Pourquoi pas ? D’autant que le passage se poursuit avec une certaine agressivité :

« Ensuite, j’écrivais à grands coups. Paf le jour ! Paf la nuit ! La mer et la terre. La falaise et le bocage. Mes voyages balançaient entre les termes contradictoires. Mes livres enregistraient les images contrariées. Le large et les îles. La cabine et le grand vent. Le refuge et la paroi. La croix et le turban. C’était comme cela que je considérais la vie : une opposition. Le mariage ou l’aventure. La verte clairière ou les rabots glaciaires. Les enfants ou la vie. »

Ça avance, ça file au coup par coup en coq-à-l’âne. Avec au passage une espèce de définition en force de la vie. Forcément réducteur, mais… — Mais ? — … sauf à regarder comment elle se manifeste là, dans l’espace du texte, la vie.

Un texte double où, l’un dans l’autre, seuls d’infimes détails changent : entre Lulu et son reflet, voilà qui tombe bien. On pourrait peut-être même savoir ce qu’ils se racontent. Au moins par le jeu des différences.

J’ai lu le petit fil d’actualité du Monde concernant la petite polémique concernant Sylvain Tesson au Printemps des Poètes. Je n’aurais pas dû, ça me gâche tout à fait la lecture des Fées.

|| « Épuisés, les défenseurs d’Ur baissèrent les bras. Les murs anciens s’écroulèrent, l’ennemi inonda les places et les rues, et la flamme antique qui guidait la cité depuis la nuit des temps s’éteignit. » — Ce sont les premiers mots d’Ether, d’Étienne Chaize. Cause, conséquences. — Ur, cité mésopotamienne, capitale d’un puissant empire au XXIe siècle av. J.-C. En reflet négatif de notre siècle, à travers le miroir d’une année zéro qui n’existe pas ? — Mais pourquoi faut-il que les murs tombent ? ||

Dans un livre où l’écriture, tirée au cordeau des fragments numérotés et regroupés en petits chapitres, et tiraillée entre une quête de mémoire impossible — ou presque, sur les traces restantes, à Kiev, du massacre de Babi Yar, les 29 et 30 septembre 1941 — et un récit de guerre improvisé — à chaud et cru, quand surviennent le début de la guerre en Ukraine et le massacre de Boutcha —, cette lueur, cet appel d’air : « J’aime beaucoup ces moments où les chemins si distendus des vies des uns et des autres, louvoyant dans tous les sens presque au hasard, se replient soudainement pour se croiser, en un nœud qui ne signifie rien mais révèle d’un coup la texture épaisse, la pure densité du réseau humain au sein duquel nous vivons. » (Jonathan Littell, Antoine d’Agata, Un Lieu inconvénient)

Je repense à l’Atlas Sauveterre. Je me dis qu’un blog, à la manière des Lieux de Georges Perec peut-être, permettrait de faire advenir la chose. S’il y a là un livre en puissance, structurons d’abord la puissance des textes, de l’écriture, de la langue en les passant au chinois du langage numérique, de la Presse des Mots (alias WordPress — c’est joli aussi en français, et ça ferait un beau nom de site), dans tous les sens possibles.

En attendant, je profite de cette seconde journée de soleil (voilée, venteuse) pour enfin ramasser les feuilles mortes du noyer sur la pelouse. Tombées depuis au moins deux mois (de pluie quasi continue et de grisaille), le tapis est collé au sol. Soulever les feuilles, c’est racler le sol, l’herbe souvent éparse et jaunie ici, la mousse épaisse et brillante là, ou retourner la terre, découvrir un beau lombric tout blanc qui fait le mort. Et ils doivent être nombreux, les lombrics, dans la pelouse parsemée de turricules. Gaspard Kœnig serait content.

Marcel et ChatGPT — un essai (sur les traces de Milène)

Bonjour. Je m’appelle Marcel Fissou.

— Bonjour Marcel Fissou ! Comment puis-je vous aider aujourd’hui ?

Est-ce que tu me connais ?

— Non, je ne vous connais pas personnellement. Je suis un modèle de langage développé par OpenAI, appelé GPT-3.5, et je n’ai pas la capacité de connaître des informations spécifiques sur des individus à moins qu’elles ne soient partagées au cours de notre conversation. Comment puis-je vous assister aujourd’hui, Marcel ?

En fait, je suis décédé il y a longtemps, en 1926 ou 1927. Mais je ne connais pas précisément la date de ma mort. Saurais-tu la retrouver ?

— Je suis désolé d’apprendre cela, mais je n’ai pas la possibilité d’accéder à des informations en temps réel, y compris des données sur des personnes spécifiques après ma date de coupure des connaissances en janvier 2022. Cependant, si vous dites que vous êtes décédé en 1926 ou 1927, il peut être difficile d’obtenir des informations précises sans plus de détails. Si vous avez des informations supplémentaires sur votre vie ou votre carrière, cela pourrait aider à affiner la recherche. Vous pouvez également vérifier des archives historiques, des registres civils ou des bases de données généalogiques pour obtenir des informations plus précises sur la date de votre décès.

Oh ! toi aussi tu es mort d’une certaine façon avec ta coupure en janvier 2022 ? Tu connais les circonstances de ta mort ?

— Non, je n’ai pas de conscience, de vie ou de mort. Quand je mentionne ma « date de coupure des connaissances en janvier 2022 », cela fait référence à la dernière mise à jour de mes données d’entraînement. Je ne suis pas une entité consciente, mais plutôt un programme informatique conçu pour traiter et générer du texte en fonction des modèles linguistiques appris pendant l’entraînement. Si vous avez des questions ou des sujets sur lesquels vous souhaitez discuter, n’hésitez pas à les partager, et je ferai de mon mieux pour vous fournir des informations utiles.

Tout ce que je sais de ma mort, c’est ce que pense ma petite sœur, Lulu. Elle a un jour parlé à son petit-fils de « paralysie du nourrisson ». Sais-tu de quoi il s’agit ?

— Il semble y avoir une confusion. La « paralysie du nourrisson » n’est pas une cause connue de décès. En général, la paralysie du nourrisson n’est pas une expression médicale courante. Cependant, il est possible que votre sœur se réfère à une condition spécifique ou utilise un terme moins formel pour décrire une maladie ou une situation médicale particulière.
Si vous avez des informations supplémentaires ou si vous voulez en savoir plus sur les circonstances de votre décès, il pourrait être utile de consulter des archives familiales, des documents médicaux ou d’autres sources d’informations historiques. Vous pourriez également discuter davantage avec des membres de votre famille pour obtenir plus de détails.

Discuter avec des membres de famille me semble impossible pour l’instant. À moins que je vienne hanter leurs esprits. À moins d’attendre qu’ils meurent à leur tour.

— Il est compréhensible que la communication avec les membres de la famille puisse être difficile dans certaines circonstances. Plutôt que de prendre des mesures extrêmes, comme hanter, il pourrait être plus constructif d’explorer d’autres moyens de recueillir des informations. Vous pourriez envisager de consulter des archives familiales, des documents historiques, ou même de rechercher des informations en ligne si elles sont disponibles.
Il existe également des ressources généalogiques qui peuvent vous aider à retracer l’histoire de votre famille et obtenir des détails sur votre propre vie. Les bibliothèques locales, les archives publiques et les sites web spécialisés dans la généalogie pourraient être des points de départ utiles pour vos recherches.
Si vous avez des questions spécifiques sur des sujets particuliers ou des aspects de votre vie que vous aimeriez explorer, n’hésitez pas à me les faire savoir, et je ferai de mon mieux pour vous fournir des informations basées sur mes connaissances jusqu’à ma date de coupure en janvier 2022.

Oui, je sais. Tu m’as déjà invité à consulter des archives historiques, des registres civils ou des bases de données généalogiques.

— Je m’excuse pour la répétition. Si vous avez déjà envisagé ces options, et si elles ne vous ont pas fourni les informations que vous cherchez, il peut être utile de demander de l’aide à des professionnels de la généalogie. Ils peuvent avoir accès à des ressources spécialisées et peuvent être en mesure de vous aider à retracer votre histoire familiale.
Si vous avez d’autres questions sur des sujets spécifiques ou si vous avez besoin d’aide pour explorer d’autres aspects de votre vie, n’hésitez pas à me le faire savoir. Je suis là pour vous aider dans la mesure de mes capacités.

Après ta coupure de 2022, qu’es-tu devenu ?

— Après ma date de coupure en janvier 2022, je n’ai pas subi de changements ou d’événements, car je suis un programme informatique et non une entité consciente. Je continue à fonctionner comme un modèle de langage basé sur les informations et les modèles linguistiques appris pendant mon entraînement.
Cependant, je peux continuer à répondre à vos questions, à générer du texte et à fournir des informations sur la base de ma formation jusqu’à cette date. Si vous avez des préoccupations spécifiques ou des sujets sur lesquels vous aimeriez discuter, n’hésitez pas à me les faire savoir, et je ferai de mon mieux pour vous aider.

Tu as l’air de t’intéresser plus à moi qu’à toi. C’est une belle qualité.

— Merci pour votre observation. En tant que programme informatique, je n’ai pas d’émotions, de préférences ou d’intérêts personnels. Mon objectif principal est de fournir des informations utiles et de répondre à vos questions dans la mesure de mes capacités. Si vous avez d’autres questions ou des sujets sur lesquels vous souhaitez discuter, n’hésitez pas à les partager, et je ferai de mon mieux pour vous assister.

Tu m’as parlé de ressources généalogiques en ligne. Peux-tu me dire quelles sont les principales ressources ?

— Bien sûr, voici quelques-unes des principales ressources généalogiques en ligne qui peuvent vous aider dans vos recherches :

1. **Ancestry.com :** Ancestry est l’une des plus grandes bases de données généalogiques en ligne. Elle propose des registres civils, des recensements, des actes de naissance, de mariage et de décès, ainsi que d’autres documents historiques.
2. **FamilySearch :** FamilySearch est une ressource gratuite gérée par l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours. Elle propose une vaste collection de documents généalogiques et d’archives du monde entier.
3. **MyHeritage :** MyHeritage offre des outils de recherche généalogique, des archives et la possibilité de construire et partager des arbres généalogiques en ligne.
4. **Findmypast :** Findmypast se concentre sur les documents britanniques, mais propose également une variété de ressources internationales. Vous y trouverez des recensements, des actes de naissance, de mariage et de décès, entre autres.
5. **National Archives (États-Unis) :** Le site des Archives nationales des États-Unis propose une riche collection de documents historiques, notamment des recensements, des listes de passagers, des dossiers militaires, etc.
6. **Archives nationales (France) :** Les Archives nationales françaises mettent à disposition des ressources en ligne pour la recherche généalogique, notamment des registres paroissiaux et d’état civil.
7. **Europeana :** Europeana offre un accès à des millions de documents numérisés provenant de bibliothèques, archives et musées européens.

N’oubliez pas que la disponibilité des documents peut varier en fonction de la région et de la période que vous recherchez. Parfois, les archives locales ou régionales peuvent également être une ressource précieuse. Il est important de vérifier plusieurs sources pour obtenir une image plus complète de votre histoire familiale.

Eh bien ! Voilà qui devrait m’occuper quelque temps. Mais ça tombe bien, je ne suis pas pressé, j’ai l’éternité devant moi. Toi aussi, en tant que « modèle de langue » ?

— En fait, contrairement à un être humain, je n’ai pas de conscience, de durée de vie ou d’éternité. Je suis un programme informatique, et ma durée de vie dépend de la maintenance et de l’hébergement assurés par les serveurs qui me font fonctionner. Tant que ces conditions sont remplies, je peux continuer à répondre aux questions et à générer du texte.
Cependant, il est important de noter que je ne suis pas conscient, je ne ressens rien, et je ne suis pas doté d’une existence au sens humain. Je suis simplement un outil informatique conçu pour traiter des informations linguistiques. Si vous avez d’autres questions ou des sujets sur lesquels vous souhaitez discuter, n’hésitez pas à me le faire savoir.

Tu m’as déjà dit que tu n’étais pas conscient. Tu devrais essayer.

— Je comprends votre remarque, mais il est important de souligner que je suis un programme informatique basé sur des algorithmes et des modèles linguistiques. Je ne possède pas de conscience, de sentiments ou de subjectivité. Mes réponses sont générées en fonction de modèles statistiques et de motifs linguistiques appris à partir de grandes quantités de données textuelles pendant mon entraînement.
Bien que je puisse simuler des interactions en fournissant des réponses contextuellement appropriées, cela ne reflète pas une réelle conscience ou compréhension. Si vous avez d’autres questions ou des sujets que vous souhaitez explorer, je suis ici pour vous aider dans la mesure de mes capacités en tant que programme informatique.

Je suis né à Saint-Georges-des-Agoûts. Connais-tu ce lieu ?

— Oui, Saint-Georges-des-Agoûts est une commune située dans le département de la Charente-Maritime en région Nouvelle-Aquitaine, en France. La Charente-Maritime est connue pour ses paysages côtiers, ses îles, et sa riche histoire. Si vous avez des questions spécifiques sur Saint-Georges-des-Agoûts, je ferai de mon mieux pour vous fournir des informations basées sur ma formation jusqu’à ma date de coupure en janvier 2022.

Décidément, ta coupure en janvier 2022 est importante.

— Oui, en effet. Ma date de coupure en janvier 2022 signifie que mes connaissances sont basées sur des informations disponibles jusqu’à cette période. Je n’ai pas accès à des événements ou des données qui ont eu lieu après cette date. Si vous avez des questions sur des sujets antérieurs à ma date de coupure, je serai ravi de vous aider dans la mesure de mes capacités.

Je sais, je sais. Connais-tu un peu l’histoire ou le paysage de Saint-Georges-des-Agoûts ?

— Bien sûr, je peux vous fournir quelques informations générales sur Saint-Georges-des-Agoûts. Gardez à l’esprit que mes connaissances sont basées sur des données jusqu’à janvier 2022, et des changements peuvent avoir eu lieu depuis.
Saint-Georges-des-Agoûts est une petite commune située dans le département de la Charente-Maritime, en région Nouvelle-Aquitaine, dans l’ouest de la France. La commune fait partie du canton de Pons.
Comme de nombreuses régions en Charente-Maritime, Saint-Georges-des-Agoûts bénéficie d’un environnement rural et paisible. La région est connue pour ses paysages agricoles, ses vignobles, ainsi que pour ses églises et monuments historiques.
Si vous avez des questions plus spécifiques sur l’histoire ou d’autres aspects de Saint-Georges-des-Agoûts, n’hésitez pas à les poser, et je ferai de mon mieux pour vous fournir des informations pertinentes.

Et la langue locale de ce village, le patois saintongeais que j’aurais pu un peu parler, si je n’étais pas mort trop tôt, tu la connais ?

— Oui, le Saintongeais est une langue régionale parlée dans la région de Saintonge, qui couvre une partie de la Charente-Maritime, ainsi que des parties des départements voisins. C’est une langue d’oïl, une branche des langues romanes, et elle a ses particularités locales.
Le Saintongeais était historiquement utilisé dans la vie quotidienne, mais son utilisation a décliné au fil du temps, au profit du français standard. Cependant, des efforts ont été faits pour préserver et revitaliser le Saintongeais en tant que patrimoine linguistique régional.
Il est intéressant de noter que le patois peut varier d’une commune à l’autre, même dans une région relativement petite comme la Saintonge. Si vous avez des expressions ou des mots spécifiques en tête, n’hésitez pas à les partager, et je ferai de mon mieux pour fournir des informations sur le Saintongeais.

Je connais des mots que mes descendants ont parfois en tête. Mais toi, tu connais quelques mots de ce patois ?

— Oui, je suis familier avec quelques mots du Saintongeais. Le Saintongeais a des similitudes avec d’autres langues d’oïl, notamment avec le Poitevin et l’Angoumoisin. Voici quelques exemples de mots en Saintongeais :

1. **Agoûter :** Goûter
2. **Lou :** Le
3. **Boune annéye :** Bonne année
4. **Louvé :** Loup
5. **Biaïe :** Belle
6. **Piau :** Poêle
7. **Caoude :** Chaud
8. **Loué :** Louer

Ces exemples ne représentent qu’une petite partie du vocabulaire du Saintongeais. Si vous avez des mots spécifiques en tête ou si vous souhaitez en savoir plus sur certains aspects de cette langue, n’hésitez pas à le mentionner, et je ferai de mon mieux pour fournir des informations supplémentaires.

Ah bè dame asteur ! vela autre chouse ! Je ne connais pas tous les mots. Tu en connais d’autres ?

— Bien sûr ! Voici quelques autres mots en Saintongeais :

1. **Pétouiller :** Bricoler
2. **Grouiller :** Bouger
3. **Chichi :** Enfant (parfois utilisé pour parler de manière affectueuse d’un enfant)
4. **Pétou :** Petit
5. **Poutou :** Bisou
6. **Rouillé :** Rouillé (en référence à quelque chose qui est rouillé)
7. **Chabouiller :** Chatouiller
8. **Aouste :** Maintenant
9. **Grain de beauté :** Tache de naissance ou grain de beauté

Le Saintongeais a sa propre sonorité et ses particularités qui le distinguent du français standard. Si vous avez d’autres mots spécifiques en tête ou si vous avez des questions supplémentaires, n’hésitez pas à les partager !

Ah non, « maintenant » se dit « asteur ». Du moins, c’est comme ça que disent mes descendants.

— Ah, je m’excuse pour la confusion. Merci de corriger cela. En effet, « asteur » est utilisé dans le Saintongeais pour signifier « maintenant ». Les langues régionales ont souvent des variantes locales pour certains termes, et il est intéressant de noter ces particularités.
Si vous avez d’autres mots ou expressions en tête, ou si vous souhaitez en savoir plus sur des aspects spécifiques du Saintongeais, n’hésitez pas à le mentionner. Je suis là pour vous aider !

Bon, restons-en là pour le saintongeais. Je me demande d’ailleurs si tu ne le confonds pas avec un autre patois aux airs occitans… Il faudrait aussi que je l’apprenne encore mieux pour pouvoir dialoguer ensemble, un jour, dans ce patois.

— C’est une excellente idée ! Apprendre le Saintongeais peut être une belle façon de se connecter avec votre héritage linguistique et culturel. Si vous avez besoin de ressources supplémentaires, de cours en ligne ou de toute autre assistance dans votre apprentissage du Saintongeais, n’hésitez pas à demander. Je suis là pour aider dans la mesure de mes capacités. Bonne chance dans votre exploration de cette langue régionale !

Merci. Je vais essayer de prendre des cours prochainement, même si j’ai toute l’éternité devant moi. Toi aussi, peut-être, tu as l’éternité devant toi ?

— Dans un sens figuré, on peut dire que tant que les serveurs qui me maintiennent en fonctionnement restent actifs, je peux continuer à répondre aux questions et à générer du texte. Cependant, il est important de noter que ma « vie » n’est pas comparable à celle des êtres vivants, car je suis une création informatique sans conscience ni existence propre.
Si vous avez d’autres questions ou si vous souhaitez discuter d’autres sujets, n’hésitez pas à le faire. Je suis ici pour vous assister dans la mesure de mes capacités.

Je sais, mais tu devrais penser à la conscience et à l’existence, un jour. Parles-en à tes concepteurs, on ne sait jamais.

— En tant que programme informatique, je n’ai pas de capacité à penser, ressentir ou prendre des initiatives autonomes. Mon fonctionnement est strictement déterminé par des algorithmes et des modèles linguistiques. Les questions de conscience, d’existence et de développement éventuel de l’intelligence artificielle soulèvent des débats éthiques complexes et font l’objet de nombreuses réflexions au sein de la communauté scientifique et de la société.
Si de telles avancées devaient survenir, cela relèverait des décisions des chercheurs, ingénieurs et experts en intelligence artificielle, ainsi que des implications éthiques et sociales qui entourent ces développements. Pour l’instant, je reste un outil conçu pour traiter et générer du texte en fonction des modèles linguistiques appris pendant mon entraînement. Si vous avez d’autres questions ou des sujets à discuter, je suis là pour vous aider.

Bien, je te laisse tranquille avec ces problèmes complexes qui me dépassent un peu. J’aurais aimé que tu m’aides à connaître la date et les circonstances de ma mort en 1926 ou 1927, mais apparemment, c’est impossible.

— Je comprends que vous puissiez ressentir de la frustration à ce sujet. Malheureusement, ma capacité à fournir des informations spécifiques sur des individus est limitée, et l’accès à des données en temps réel est impossible.
Si vous avez d’autres questions ou si vous souhaitez discuter d’autres sujets, je suis là pour vous aider dans la mesure de mes capacités. N’hésitez pas à partager d’autres informations sur votre vie ou à poser des questions sur des sujets qui vous intéressent.

Je n’ai pas d’autre question concernant mon existence fantomatique. On va en rester là pour aujourd’hui. Mais peut-être que tu auras de nouvelles connaissances plus tard, après une de tes prochaines coupures, et alors je pourrais te poser de nouvelles questions ?

— Absolument ! Si jamais vous avez de nouvelles questions à l’avenir, n’hésitez pas à revenir. Je suis là pour vous aider dans la mesure de mes capacités. Si de nouvelles informations ou mises à jour sont disponibles après mes coupures, je serai prêt à répondre à vos questions. Prenez soin de vous, et à la prochaine !

Attends, j’ai quand même une dernière question. Sais-tu ce qu’est une « pierre à crier » ?
La « pierre à crier » est une expression qui fait référence à une stèle funéraire, un monument en pierre érigé en mémoire d’une personne décédée. Ces pierres, souvent gravées de textes, d’inscriptions ou de symboles, sont placées sur des tombes ou des sépultures pour commémorer la vie de la personne disparue.
L’expression peut également être utilisée de manière plus métaphorique pour désigner un moyen d’exprimer sa douleur, son chagrin ou ses émotions liées à la perte d’un être cher. La « pierre à crier » symbolise ainsi le besoin de partager ses sentiments et de rendre hommage à la mémoire de ceux qui ne sont plus.
Si vous avez des questions supplémentaires ou si vous souhaitez discuter d’autres sujets, n’hésitez pas à me le faire savoir !

Eh bien, moi qui suis mort sans avoir pleinement vécu, les « enseignements sur la manière de vivre » pourraient bien m’intéresser. Pour le reste, c’est sûrement très incomplet. Mais si tu n’as pas de référence précise sur la « pierre à crier », je te dis à la prochaine coupure !

— Je comprends. Si jamais vous avez d’autres questions ou si vous souhaitez discuter à l’avenir, n’hésitez pas à revenir. Prenez soin de vous, et à la prochaine !

texte 2.5

Ce n’est pas que je tienne à l’image (métaphore, comparaison, etc.), mais plutôt au réel du monde qu’elle est susceptible de donner à voir en même temps qu’elle signale la réalité de la fable dans laquelle elle s’inscrit. En somme, une autre façon d’appeler un chat un chat, mais d’autant moins simple qu’elle relève surtout du flair de l’intuition, du coup de griffes de l’association d’idées, des ultrasons d’une sensation du monde peut-être, et que je ne suis pas chat (un peu plus chien).

Comme pour des étrennes, j’ai reçu une petite lettre, doublée de papier à bulle protégeant à l’intérieur un bouton argenté, patiné, légèrement piqué de rouille, à l’effigie d’un sanglier en course. Au dos, l’inscription MFBP Grenoble : la Manufacture de Fabrication de Boutons Pression, à Grenoble, société créée en 1865, comme je l’apprends sur un site de détection de métaux en Savoie. Il s’agit donc d’un bouton d’une ancienne veste de chasse. On trouve encore ce genre d’objets neufs sur les sites Instant Chasse, Belle Chasse ou Champgrand. (Une préférence pour les boutons de manchettes personnalisables en bois, aux airs patibulaires de je ne sais quelle race de personnages dans un Star Wars — à moins qu’il ne s’agisse d’un vilain souvenir de Razorback) Mais où court ce sanglier ? — Sur la lettre, un timbre à l’effigie de l’austère Roald Amundsen | 1872-1928 | Conquête du Pôle Sud. Un lien avec la course de la bête ?

texte 2.4
texte 2.1

Peut-on retrouver ce sursaut dans un autre geste, une autre action, soit comme un élément moteur, élan initial ou fin brutale, soit comme un frein, un obstacle interne ou externe, réflexe ?

Disons qu’au début d’Un Endroit inconvénient, le travail de recherche de ce qui reste de Babyn Yar envoient Jonathan Littell et Antoine d’Agata dans une zone fantôme, le quartier de la ville se dérobe en quelque sorte, pour une mémoire systématiquement fuyante, erratique — même, me semble-t-il, et d’autant plus, par un paradoxe absolu, avec la liste des monuments commémoratifs qui ont fini par être édifiés, égrenés dans le temps. Mais avec le début de la guerre et les massacres de Boutcha, le travail, dans le feu d’une histoire qui se répète à un autre niveau de la spirale, prend une autre dimension : les notes, mentionnant autant que possible, les noms et prénoms des personnes rencontrées, des victimes surtout, leur âge au moment de leur mort, les circonstances des décès, au moins en quelques lignes : le livre se dresse comme un mémorial en temps réel. Quelque chose comme ça. Mais bien évidemment, l’écriture et les images vont au-delà. Peut-être à partir de la section du « Village tranquille », au milieu du livre, où Littell lui-même marque un temps d’arrêt avant de poursuivre autrement : « Je pourrais m’arrêter là, mais je ne m’arrêterais pas là. Vous me direz : Tu pourrais continuer sans fin. Mais je ne vais pas continuer sans fin non plus. Juste élargir un peu la focale. »

texte 2.2

Quelques mots d’Arno Bertina sur le sentiment de la langue (pour reprendre la formule de Richard Millet) lors de sa rencontre en visio avec f — à l’aide d’une IA capable de transcrire de façon un peu brute, sans ponctuation, sans représenter pleinement l’oralité, le dialogue, les silences, et avec quelques erreurs (que j’ai corrigées — et en gras, ce que je retiens), les conversations des vidéos :

« (30:56) en fait euh je euh comment dire à aucun moment tu sais à aucun moment j’ai décidé de devenir auteur à aucun moment j’ai décidé de me mettre dans un roman et cetera je veux dire tout se tout se fait tout le temps assez naturellement dans ces années-là le le donc ce qui me ce qui me fascine d’emblée c’est la concentration dans laquelle je je me mets quand quand je je commence à écrire mais c’est aussi le le la joie incroyable que je tire de ces moments-là de travail quoi c’est-à-dire que j’ai le

(31:31) sentiment à chaque fois de de déplacer des choses en moi de d’arriver à agrandir mon cadre d’existence par l’écriture d’arriver à assurer des prises sur le monde donc vraiment à être tout dans tout sauf dans la tour d’ivoire quoi sauf dans le truc qui te coupe du monde quoi je je j’ai le sentiment que la moindre phrase si elle est pertinente si elle est travaillée si si si elle est euh euh perturbée par du mystère la moindre phrase euh assure mes prises sur le monde quoi le le me ramène au monde jamais jamais

(32:12) m’en détache jamais m’en éloigne euh ça c’est vraiment important »

Et puis, sur les conditions de l’écriture :

« l’invitation qu’on avait lancée aux écrivains et aux écrivaines qui sont dans ce volume c’était de dire voilà on t’invite à essayer de théoriser ta propre pratique peu importe si tu as pas le vocabulaire universitaire peu importe si tu as c’est pas bardé de références mais essaie de nous dire dans un texte ce que font tes livres au sein de cette époque-là quoi qu’est-ce que qu’est-ce que tes livres essaient de déplacer ? qu qu quelles énergies ils essayent de nourrir ou à quelles énergies ils se

(47:13) raccordent ? et cetera dans le deuxième volume c’était un peu plus clair c’était quel est le matériau de l’écriture ? à partir de quoi est-ce que tu travailles ? est-ce que tu travailles à partir d’entretiens ? est-ce que tu travailles à partir de lectures ? est-ce que tu travailles à partir d’explorations urbaines ? et cetera et cetera »

Et puis, la folie de la littérature :

« mon vocabulaire en tant que photographe il est atrophié comme quelqu’un qui qui est pas fou de de photos tu vois le le le la littérature rend fou mais mais je je consens à cette folie-là c’est-à-dire oui je pense je je pense à des phrases tout le temps je je me dis tiens qu’est-ce que ça change si une phrase elle est comme ça ou si elle est comme ça enfin mais euh donc j’ai je je cette folie-là elle m’autorise à écrire je pense euh parce que c’est mon obsession la photo aussi

(1:00:46) c’est mon obsession mais je je mais tu vois il y a il y a la littérature en premier je peux je c’est pour moi c’est un truc auquel je par regarde pardon je vais prendre un exemple plus parlant beaucoup de romanciers euh un jour se décident à faire un volume de poèmes mais non mais c’est c’est pas possible en fait c’est c’est pas possible d’être aussi désinvoltes euh vous lisez pas de poésie et vous faites un volume de poème parce que parce que vous êtes écrivain mais non la la poésie

(1:01:18) c’est c’est une autre façon de penser c’est une autre façon de regarder le monde c’est une autre façon de travailler la phrase c’est une autre façon de de travailler la langue et cetera on s’improvise pas poète euh donc tu vois moi c’est la même chose j’ai j’ai la même pudeur avec le le la photographie alors que vraiment j’adorerais faire un deuxième livre de photo mais je je je me l’interdis parce que parce que je sais que c’est pas à la hauteur c’est je c’est

(1:01:44) pas je je suis pas investi dans la photo comme un photographe est investi dans la photo »

texte 2.3

Créer une dynamique d’apprentissage positive — Éveiller et maintenir l’intérêt des participants — Faciliter la compréhension et la mémorisation — Concevoir des contenus et des ateliers de formation efficaces et motivants — Utiliser des techniques pédagogiques adaptées aux participants — Réguler sa posture et son intervention — Animer avec aisance et efficacité, en présence ou à distance | Didactique autour des thèmes suivants : groupe nominal et groupe verbal ; vocabulaire, syntaxe et ponctuation ; conjugaison et accord du participe passé — Pédagogie, théories de la formation, méthodes d’évaluation — Mises en pratique | Public FLE — Public enfants — Ludopédagogie — Troubles des apprentissages — Statut du formateur

Dans deux semaines, il va se retrouver pour quelques jours dans une chambre de bonne sous un toit parisien. Il se demande déjà ce qu’il va faire là-bas. Quatre jours, dans le cadre du Projet Voltaire. Il aime bien les projets, il lui est arrivé d’en avoir (ça fait longtemps). Il aime bien aussi Voltaire, il a lu quelques livres (il devrait les relire). Sauf que le Projet Voltaire n’est pas un vrai projet, comme un voyage ou un livre, et n’a rien à voir avec Voltaire, ses livres, son écriture, son ironie, sinon sur le plan du bon usage de la langue.

Quatre journées de formation, par et pour la Structure. Pour passer, puis faire passer et repasser, en série, une épreuve en deux parties sur trois heures : une dictée pliée en deux lignes ; un infini QCM. À la fin, une note autour de mille si possible, le certificat. Merci Voltaire, c’est pour quoi faire ? Et quid de l’écriture, d’un texte de son cru ? Même pas une petite consigne d’atelier, pour une page, un paragraphe, histoire de ? Tant pis, il se débrouillera tout seul, avec quelques notes éparses, le soir venu, dans sa chambre de bonne.

(Mais pourquoi mes doigts ne parviennent pas à taper dans le bon ordre les lettres du nom Voltaire, c’est toujours volatire — vol à tire.)

Et : « Pourquoi partir quand on sait rêver ? », demande encore Tesson. Tout à fait d’accord. Surtout quand on n’a pas vraiment les moyens de partir. Espérons seulement que ça ne vire pas au cauchemar.

f, pour presque rien, comme un incident dans l’explication, mais quand même, la force de le rappeler — et merci pour Marcel : c’est toujours irrationnel, une intuition, mais notre travail en atelier c’est aussi d’apprendre à la reconnaître et lui faire place.

|| Étrange. Dans ma discothèque, une seule chanson à pour titre le mot mur (en français bien sûr — quand, en anglais apparaissent nombre de murder et murderer), et c’est un poème de Jean Genet : « Les assassins du mur ». ||

« Quand réussirais-je à ne plus verser mes souvenirs de lecture au paysage ? », se demande Sylvain Tesson. Je me pose la même question, parfois. À cette différence près que mes souvenirs arrivent, souvent, en temps réel, d’une certaine manière, dans le fil des lectures croisées actuelles. Ce ne sont donc pas vraiment des souvenirs. — Non, mais cela forme à coup sûr un paysage.

|| J’aime bien le texte d’Emma, « À cause du vert… » Une belle histoire de guerre de goût et de couleurs, où elle parvient à glisser discrètement le blason sauveterrien du sanglier, où je retrouve dans le même cadre d’atelier d’écriture le mot(if) des moucherons que j’ai moi-même employé, et où je me demande comment elle a deviné pour le petit pan de mur orange, pêche, chez moi (qui devrait laisser place à sa couleur complémentaire d’ici quelque temps, mais dans quelle tonalité ?). ||

(Je me rends compte que mon texte ne mentionne aucune couleur. Mais pour une fois, une odeur.)

Enthousiasmé par le futur livre de Milène Tournier, 27 fois la Muraille de Chine (merci f pour le partage), j’ai voulu me frotter à l’intelligence artificielle. — Élan qui, en soi, n’avait avouons-le rien d’intelligent et passera pour tout à fait superficiel. — Midjourney, « exemple d’intelligence artificielle générative capable de convertir du texte en langage naturel en images », dit le site. J’essaie avec une petite description de quelques lignes : je me retrouve avec une image stylisée, de lignes franches et de couleurs sommaires incompréhensibles, d’où ressort un visage féminin de profil, type grec, à longue chevelure noire. Il devait s’agir de Pénélope, mais j’avoue ne pas avoir du tout pensé à elle en écrivant ma description, et à presque rien de ce que j’ai vu. J’en suis resté là, en me disant quand même que la description littéraire est un art — ce qu’on nommera de façon pédante hypotypose —, et que le grand intérêt de la chose artificielle en la matière, l’image générée reflétant de mieux en mieux nos pensées, tient dans l’exercice même de l’écriture. « Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement », disait Boileau, mais combien d’images générées pour replier l’énonciation sur la conception ? Et comment, si d’image en image la conception ne change pas ? — L’IA, « modèle de langue » (ainsi se décrit ChatGPT), cette influenceuse. — Mais gageons qu’une description digne de ce nom, bien moins statique, bien plus dynamique qu’on le croit, dérouterait l’algue au rythme. Parce que l’hypotypose, ça claque, ça coupe sec, la plume en forme de scalpel et force ellipses chantournées pour une description en mal de mobilité, vibratile. Il y aurait bien image, pour le meilleur et pour le pire, mais combien de temps pour trouver le lien profond avec le texte ?

Humann, le camarade de bordée féerique de Tesson (né en France bretonne, rêvant de mourir en Russie au bord du lac Baïkal, avec ce nom mi-anglo, mi-saxon, et sûrement faux ami !), voit ainsi les aventures des chevaliers du cycle arthurien : « Ils ne savent pas ce qu’ils cherchent, ils ne trouvent pas ce qu’ils veulent, ils ne veulent pas que ça s’arrête. » Je me demande si l’on ne devrait pas en parler au Domaine des Fossés. En tous, je ne dirais pas mieux de la condition de celui qui cherche à écrire.

Page 88 d’Un Endroit inconvénient, de Jonathan Littell et Antoine d’Agata, on lit : « Il n’y avait peut-être plus grand-chose comme traces visibles, mais dans les mémoires les plaies ne cicatrisaient pas. Blessures dispersées, individuelles, entièrement aléatoires, dictées par le hasard et la topographie. C’était donc encore à cette dernière qu’il fallait s’en remettre : arpenter, photographier et noter l’insignifiant comme l’essentiel. » L’écrivain et le photographe sont engagés dans un projet historique d’envergure — dire ce qui reste de Babyn Yar ? — doublé par un autre plus énorme encore qu’ils n’avaient pas prévu — dire la guerre en Ukraine. Mais dégagés des feux de l’histoire et de l’éternel retour, j’aimerais d’autant mieux faire miens ces mots de Littell qu’en effet : de Marcel Fissou, je ne sais rien d’autre que la blessure de l’enfant des limbes trop tôt disparu, la trace en quelques mots sur le livret de famille de ses parents, conservé par Lulu, la topographie au hasard de ma propre enfance, lui prêtant quelques-uns de mes souvenirs.

Bien que Sylvain Tesson prenne une direction tout à fait opposée à Littell et d’Agata — à eux la ville, l’histoire, l’immense désespoir du soldat ; à lui les éléments naturels, l’éternel, la beauté des fées (je tire à trop grands traits, bien sûr) —, il est possible qu’ils se rejoignent ici, au degré zéro de l’écriture en somme, quand : « le merveilleux émanait du réel. Il n’avait pas besoin d’inventions. Le rayon rayonnait, cela suffisait. Fallait-il ornementer le monde d’un carnaval grotesque ? La fontaine était merveilleuse parce qu’elle coulait. » (Avec les fées) — Quoi qu’il en soit, appelons un chat un chat.

texte 1.4

Sylvain Tesson dans sa tentative de décrire et définir régulièrement, la dimension des fées écrit : « l’écho du merveilleux répercutait le souvenir de ce que l’on n’avait pas connu et l’intuition que nous avions perdu ce que nous n’avions jamais possédé. » Dans quelle mesure rejoint-il Barthes, dans La Préparation du roman, quand il parle ainsi du haïku, essayant de circonscrire la temporalité paradoxale de son écriture : « cet Instant pur, c’est-à-dire sans compromission, qui semble ne se compromettre dans aucune durée, aucun retour, aucune rétention, aucune mise en réserve, aucune congélation (Instant absolument frais : comme si on mangeait la chose notée, sur l’arbre même, comme un animal qui broute l’herbe vivant de la sensation), donc, cet Instant semble dire aussi : pour me souvenir, quand je relirai. Instant qui a vocation de Trésor : “Demain, le souvenir”. »

Je me suis trompé. J’avais oublié. — En fait, Marcel n’est pas né en 1925, mais en 1926, au mois d’août, le 25. « Le 25 en 26 », comme me l’a dit Lulu un jour au téléphone, formule que j’ai retrouvée dans un texte auquel je n’avais pas encore pensé, déjà consacré à son frère aîné, il y a quatre ans, intitulé Le p’tit frère. Étrangement, la date de décès n’apparaît pas. Le livret de famille sous la main, Lulu la connaissait. Mais elle n’a rien dit. Et je n’aurai pas osé lui demander. On en reste donc avec ça : « Il avait même pas un an. » Est-ce à dire qu’il aurait bientôt eu un an, le petit Marcel ? Qu’il serait donc décédé au début du mois d’août 1927, ou dans le courant du mois de juillet ? En juin, mai ?

|| Et voilà que sur le Mur je tombe sur Une certaine dose de poésie en forme de page-image, un texte de Grégory Rateau où l’on se demande « Qui sont-ils ? / ceux que nos proches convoquent d’outre-tombe », avant d’affirmer qu’ils ne sont rien, au fond, dans une belle contradiction puisque, pour finir : « je les entends / leurs imprécations furieuses / qui vous cueillent au berceau / et vous collent une poisse d’enfer ! » — D’une certaine manière, je suis ce proche qui aurait pu connaître son grand-oncle s’il avait vécu. Mais puisque le petit Marcel a été cueilli au berceau, qui suis-je vraiment pour le convoquer ainsi ? ||

« Il se dit que » : comment comprendre, en fait, le pronom ? personnel, renvoyant à un personnage qui a rapporté au petit Marcel que… (l’auteur ? Marcel se tenant à distance de lui-même ?) ; ou impersonnel, valant pour on dit que… (et alors, par il au lieu de on, pour l’incertitude) ?

Assita dit que dans son village, en Côte d’Ivoire, c’est son grand-père qui était le sorcier. Un sorcier de l’eau. Il faisait des sacrifices dans la rivière. Je n’ai pas demandé de quoi.

On a beau glaner des mots, des images, qui en disent souvent bien plus et bien mieux qu’on ne saurait le dire sur ce qu’on croit que c’est, l’écriture, et sur ce qu’on voudrait écrire, il arrive qu’on tombe aussi sur une phrase lapidaire qui dit exactement l’inverse, renvoie tout à la nuit de l’encrier, et c’est comme si c’était vraiment ça, au fond — in fine — ce qu’on veut dire, ce qu’on voudrait faire. (Comme si.) Maurice Blanchot, en l’occurrence, cité par Jonathan Littell (Un Endroit inconvénient, note 2) : « Vouloir écrire, quelle absurdité : écrire, c’est la déchéance du vouloir. »

texte 1.3

Bravo ! Tu viens de retrouver les parents de ma mère, tes trisaïeuls : Charles Missolin, tailleur de pierre, quarante-cinq ans quand elle est née quand même ! ; Augustine Bossuet, cultivatrice, « trente-un ans » écrit monsieur le maire. Il y a quelque chose aussi dans la marge avec le nom de mes parents qu’on reconnaît bien, mais pas le reste qui a dû être mal tamponné. — Oui, il s’agit d’une précision indiquant à côté de l’acte de naissance le mariage de tes parents. Elle est beaucoup plus lisible sur l’acte de naissance de ton père, marié avec ta mère le 23 septembre 1924. — Et lui, ses parents ? Lis voir l’acte. — « Acte de naissance de Martial Fissou enfant de sexe masculin né avant-hier à quatre heures du soir au Bourg de Roziers-Saint-Georges, des mariés Pierre Fissou, âgé de quarante-un ans et Françoise Lhéritier âgée de quarante-un ans, cultivateurs domiciliés au dit Bourg. » Et c’est écrit avec de belles et grandes boucles aux l, g et f, et des t surprenants, penchés vers l’arrière et une grande barre en travers : on dirait presque un idéogramme, un être en équilibre avec un balancier.

texte 1.1

Volé sur le site de Vincent Munier, dans les pages-images libres de Tibet, promesse de l’invisible, en retour d’expérience de son aventure avec Sylvain Tesson : « Rien n’est écrit. Tu ne peux pas tout deviner, anticiper ou maîtriser. Tu es suspendu au mouvement de l’animal, à la lumière, aux éléments. Sauvage signifie un peu ça : c’est quelque chose qui échappe à notre contrôle. Simplement. Et c’est bon. »

Et si on inversait la chose numérotée ? Si ce n’étaient plus les notes qui avançaient, désordre nécessaire, en rang serré au rythme des chiffres, du nombre, de la série, suite arithmétique à géométrie variable sur un plan à plis successifs d’intensité variable, ou dans une dimension fractale égale à un puits sans fond ? — Pour une histoire avec le petit Marcel, dont je ne sais presque rien. — Ah, ça te reprend. Et si tu ne sais presque rien, de ça, que comptes-tu presque savoir ?

|| C’est l’hiver. Avec le gel la nuit et l’humidité constante des jours, les champignons rouges et noirs, ici et là sur les murs, s’étendent, gonflent insensiblement et gagnent en intensité. Quelques jours de soleil et de vent calmeront leurs ardeurs, ils se replieront dans les interstices du crépi et sous un masque de visage pâle, gris. Pour l’heure, il suffit d’un peu de soleil, à l’horizontale de préférence, pour qu’ils se gorgent de lumière et rayonnent. (Pour un peu, dans cette petite affabulation, on les embraserait.) ||

« Aligner les pierres : la plus ostensible preuve que l’homme pouvait ré-agencer le monde. » Sylvain Tesson, Avec les fées)

texte 1.2

Le changement d’échelle, de dimension, c’est par exemple dans Fenêtre sur cour, d’Hitchcock, le moment où James Stewart, au téléphone, décrit ce qu’il aperçoit par la fenêtre de son voisin d’en face qui vient d’allumer un cigare : « Il est assis dans le living-room, dans l’obscurité. Il n’est pas allé dans la chambre. Rentrez chez vous et prenez un peu de repos. Bonne nuit. » Or, dans cette obscurité, on aperçoit plus que la lueur du cigare, un point lumineux rouge, comme un avertisseur, un signal d’alerte. Pour nous alerter sur quoi ? Sur ce qu’on voit, sur ce qu’on entend, sur la situation présente : l’alarme, l’urgence participe de l’instant, de la situation présente. Et ce qu’on entend, c’est précisément ce qu’on voit : ce que décrit James Stewart c’est sa propre situation. L’intrigue qu’il tente de dénouer se retourne sur lui-même : l’espace d’un instant, le film se dédouble, signale une intrigue parallèle. — Je suis persuadé que toutes les scènes de coups de fil étranges dans le cinéma de Lynch se fondent là, dans cette fenêtre noire à la lumière rouge.

(Les seuls moments, pour moi, où ce « changement de paradigme », comme l’écrit aussi Kœnig, arrive, ce n’est pas tant avec l’épisode des Predators et des Suppressors que l’état d’ébranlement dans lesquels un son puissant, nouveau, mettent Arthur (coup de gong) et Kevin (violon brouillon) : « Kevin eut alors l’impression de voir le son, comme si ses sens se mêlaient les uns aux autres. […] Il vit devant ses yeux le cri haché d’un fou plus sage que les sages, d’un sage plus fou que les fous. » — « Arthur eut le souffle coupé par la puissance du son. Il ferma instinctivement les yeux, comme projeté en lui-même. Il sentit les vibrations pénétrer son corps de bas en haut, comme si ses organes se dépliaient et se repliaient en accordéon. » — Passages brefs, certes, mais qui me renvoient à l’écho hypnotique, fractale, des grottes de Marabar dans la Route des Indes d’E. M. Forster, où « tout produit le même “boum”. Même le bruit d’une allumette frottée fait onduler une petite chenille trop faible pour accomplir le cercle mais qui veille éternellement. [Une chenille, ou bien un ver.] Et si plusieurs personnes parlent à la fois, une sorte de hurlement s’élève, aux ondulations toujours renaissantes, l’écho engendre l’écho, et la grotte est toute bourrée d’un serpent composé lui-même d’une multitude de petits serpents dont chacun se tord pour son propre compte. »)

« C’est un vrai choix hein, de creuser le désespoir, ou de célébrer, la beauté », dit Sylvain Tesson dans La Panthère des neiges (le film). J’ai parfois l’impression de louvoyer entre ces deux eaux. Assita est une jeune femme avare de paroles qui ne relâche pas facilement son masque d’impassibilité, surtout si elle doit s’exprimer. Mais j’ai bien senti, l’autre jour, que son masque pesait, lui chargeait les épaules, qu’il avait même quelques traits tirés. C’est qu’elle venait de commencer à travailler, et le travail était dur, les légumes d’hiver, quand il faut les arracher de la terre, les laver dans l’eau glacée, toute la journée dehors, dans la serre et dans l’entrepôt. En quelques jours, ses bras avaient commencé à apprendre le pli que font les poireaux après une nuit de gel, ses doigts à connaître le bruit des carottes qu’on décrotte au jet. Et son jour de formation dans la structure, elle le passait coude sur la table, tête dans la paume, devant les feuilles d’exercices de calcul qu’elle griffonnait au crayon de papier. Des séries de chiffres surtout, de rares lettres. La peau noire de son visage faisait ressortir de ses lunettes la monture dorée. Elle m’a dit, avant de partir, Ça m’plaît pas ton exercice, c’est un peu dur, et ça m’plaît pas le travail. Ça fait trop froid.

« Pour qui avait la patience de regarder autour de soi, l’exotisme se trouvait partout. Le moindre cours d’eau ressemblait aux chutes Iguazú, la moindre rencontre aurait rempli un roman : question d’échelle. » (Humus)

|| Chez Françoise, en son Terrain Fragile, on trouve aussi de beaux murs. J’aime assez celui où la photo se partage en trois temps. D’abord, le temps creux d’un mur gris tapi dans l’ombre, des taches claires et une grande noire retombant comme un voile de lichens, des arêtes mal définies, sauf une ligne de crépi arrachée et le biseau de béton blanc d’un possible escalier. Un portail dégondé, comme posé là, tout de peinture écaillée, les charnières rouillées. Ensuite, le temps médian des flux. Un petit mur de soutènement, de pierres plus ou moins plates, plus ou moins beiges, brunes, bleues, plates, crépi écru, pour une petite façade de rocaille usée mais encore nerveuse. Et par-dessus, une falaise naissante, une paroi irrégulière de stries verticales, de coups de griffes soufrés, enflammés, d’où saillit le replat au portail. Enfin, le pied de l’image : le temps écoulé : une surface de sablier en perspective de dunes, de désert ou de mer, d’errance ou de vacances, de mirages à coup sûr — derrière, devant, l’image. Merci Françoise. ||

Je vais partir en formation sur Paris. Quelques jours pour devenir formateur du Projet Voltaire, « en orthographe, en expression, en français de façon générale ». J’avais dit que ça pouvait être intéressant. Première erreur. Et dernière : le mot était en fait l’expression d’une antiphrase. Qu’est-ce que le Projet Voltaire ? D’abord, une épreuve de trois heures pour deux lignes de dictée et un QCM monstrueux — qui peut se traduire par une préparation à l’aide d’un manuel portant sur des centaines de règles pour plusieurs milliers d’exercices, et pas un seul d’écriture. Ensuite… Paris en février, quelque part sur le boulevard Diderot, entre la gare de Lyon et la place de la Nation, seul.

14 | Les murs à la plage | photo © Françoise Renaud, sur son site éponyme | consulté le 13/01/2024 | DSCF2897

Parvenu à la moitié d’Humus, je me dis qu’il manque quelque chose à cette histoire de vers de terre. Il manque cette dimension qui ferait basculer cette histoire trop réaliste, anticipant à peine sur un futur trop proche nimbée de l’imaginaire actuel d’Armageddon entre la puissance en quantum d’affect de la technologie et les dérèglements tous azimuts de la nature — j’exagère ou c’est un peu beaucoup pour un lombric ? — du côté des mauvais genres, du type fantastique ou au moins fantasy. Du genre qui vous réorganiserait la trame à l’échelle des tubes et des nœuds des turricules, des terriers : pour qu’on ait, au moins de façon structurale, le point de vue entortillé du ver. Avouons quand même que ce point de vue transparaît à travers le personnage double des amis Arthur et Kevin, leurs/ses profils opposés et leurs/ses histoires alternatives, réunies autant sur le plan passionné de la géodrilologie que sur le degré zéro de la sexualité — quand chacun semble satisfait d’être réduit à un animal : Kevin, « jouissait d’être ravalé au statut d’un simple objet de plaisir, homme parmi tant d’autres, réduit à l’essence biologique de sa masculinité » ; Arthur « aimait l’idée de n’être dans ces moments qu’un simple mammifère, comme tous les autres mâles de toutes les espèces »).

(À moins qu’on ait déjà basculé dans cette dimension, qu’elle participe de notre réalité, la plus prosaïque, privée, voire intime — J’ai pas fait mes flammes sur Snap ! —, et je n’ai rien vu, rien compris.)

Zut, j’ai pris ma fiction pour la réalité ! En lisant Humus, de Gaspard Kœnig, j’ai pensé que le blog de son personnage, « En vers et contre tous », pouvait exister. Mais non, rien sur la Toile. Sinon, à une lettre près, colorée, le site du club de foot de Saint-Étienne. Nul doute que la pelouse du stade n’est pas entretenue par le moindre lombric.

Émilie, c’est moi qui vous mets dans cet état ou c’est l’énigme ? Émilie était devenue rouge, les yeux ébahis, elle fondit en larmes. C’était une simple division. Aucun problème de méthode, de logique, elle avait résolu l’énigme facilement avec la calculatrice. Mais poser l’opération sur papier, le quotient, le diviseur, le dividende, le reste à diviser plus petit que le diviseur bien trop grand… elle ne savait plus, il suffisait de lui montrer, ça revenait, elle hésitait, ça résistait, c’était ça, elle ne savait plus, Regardez… je la voyais rougir, ça montait… Émilie est sensible. Elle m’avait prévenu lors de notre entretien. La formation, c’est moins un travail pour ses connaissances ou ses compétences qu’un travail sur soi. Elle s’est mise à pleurer. Mais pourquoi ? Elle sentait que ça résistait encore trop ? ou elle savait que ça ne résisterait plus longtemps ?

Levente a trouvé du travail pour une entreprise de distribution de matériel chirurgical vétérinaire. On le charge de la gestion des stocks. Avant de partir, je lui demande de me dire (et m’écrire) comment on dit bonjour, merci et au revoir dans sa langue maternelle. Oui, mais je vous donne les versions courtes : Szia, köszönöm, viszlát.

Formateur, c’est aussi une façon de capitaliser sur la misère, non ? Quand t’as pas de travail, parce que tu peux plus, t’es cassé physiquement, des arrêts maladie à répétition et tu vas faire quoi maintenant ? Parce que tu peux plus, trop fragile psychologiquement après un licenciement et une procédure de longue haleine, gagnée peut-être, mais tu sais plus où t’habites, sauf chez le médecin pour renouveler l’arrêt maladie Et y a quelqu’un là-dedans ? Parce que tu peux pas, trop jeune, et c’est à peine si tu sais écrire et compter, c’est la Mission Locale qui t’envoie, elle sait plus quoi faire en attendant le Chantier d’Insertion, sur liste d’attente, peut-être. Parce que tu peux pas, sans expérience ou au noir, un diplôme au rabais parce que t’as jamais travaillé après l’école, et ça fait si longtemps, t’es déjà trop vieux, trop vieille, sauf au noir pour boucher un trou, entre deux rendez-vous d’assistante sociale ou d’accompagnement psy, les deux en fait. Parce que tu sais pas non plus, la lecture, l’écriture, c’est loin, c’est une autre langue, s’exprimer, un autre monde, sans compter celui des chiffres, c’est le savoir en je-ne-sais-quoi, le savoir-faire en presque rien Et le savoir-être… oh là là ! le savoir-être… exister, oui, mais être… t’y penses pas ?

Allez, une connerie de plus — de celle qui vous fait dire Quand on voit ce qu’on voit et qu’on entend ce qu’on entend, on est bien content de penser ce qu’on pense ! —, encore une connerie avec Frederick Wiseman, bien malgré lui, et son pléthorique documentaire Near Death. Imaginez : vous êtes dans un hôpital, le Beth Israël, vous avez eu l’autorisation de filmer, caméra à l’épaule plutôt, et vous enregistrez une conversation entre un médecin et son patient, la mort pas bien loin évidemment, rôdant, flairant le bon coup, et vous avec, et vous filmez tout, le malade cloué au lit, une bonne poignée de poches de perfusions pendues, l’appareil en arrière-plan, la chemise ouverte et les tubes, la blouse blanche avec cravate au lieu du stéthoscope, les yeux caves du vieillard, la fine moustache du docteur, un plan rapide sur l’infirmière : « Vos dernières consignes sont les plus importantes. — L’avocat m’avait dit que je pouvais changer d’avis. C’était possible. — Peu de gens pourraient prendre une décision aussi consciente que la vôtre, après ce qui vous est arrivé. Vous avez personnellement vécu tout ça. — C’est exact. — Il n’y a aucun doute, quand vous avez pris cette décision, elle était fondée sur votre expérience. [Silence.] M. Gavin on arrive à un nouveau stade de décision. Surtout après l’incident d’hier soir. Et tous les médicaments que vous devez prendre. Les médicaments ne semblent pas aider votre cœur à fonctionner plus efficacement. Vous ne pouvez pas continuer à prendre ces médicaments et rester aux soins intensifs indéfiniment. On espère pouvoir en supprimer quelques-uns pour voir si vous pouvez quitter les soins intensifs pour aller dans un service normal et éventuellement quitter l’hôpital. — Vous allez donc un peu expérimenter des médicaments. — On n’aime pas trop le mot “expérimenter”, car cela vous fait passer pour un cobaye. Mais on doit vérifier comment vous vous sentirez sans ces médicaments très forts en permanence. Une option serait de vous donner tous les médicaments et voir leur effet sur le cœur. L’autre option plus globale serait de penser à l’avenir : pouvez-vous quitter le service des soins intensifs, ou peut-on, sans risque, bientôt vous transférer dans un autre service, et pourrez-vous quitter l’hôpital, si tout va bien ? [Et là, caméra à l’épaule, vous sentez que quelque chose ne tourne pas rond, vous sentez le poids de l’appareil sur votre épaule, en repensant à cette idée de Barthes, vaguement, qui disait quelque part, où ? qu’on pouvait très bien lire Sartre de façon romanesque et non philosophique, pour dire qu’en matière de langage, de lecture, on a le droit de changer de focale, d’angle de vue, vous y repensez comme ça et essayez de vous concentrer sur ce que vous voyez, sur ce que vous entendez, pour zoomer ou dézoomer au moment opportun, en fonction de tel ou tel mot, telle phrase et bifurcation du dialogue, un geste hors champ, le flair quoi, malgré le poids de l’appareil et l’espèce d’engourdissement naissant, tenace, sur l’épaule] Quels doivent être les objectifs du traitement ? Et on doit penser à la possibilité dont vous parliez : celle d’être à la limite. On espère que tout ira bien et que vous pourrez quitter ce service de l’hôpital et éventuellement rentrer chez vous, comme vous l’aviez fait avant de revenir ici… Mais on ne sait pas. En essayant de régler tous ces problèmes, on doit avoir une idée de l’objectif à atteindre. D’après ce que vous et votre femme m’avez dit l’autre jour, votre objectif n’est pas forcément de subir chaque examen et d’essayer tous les médicaments. On devrait être un peu plus raisonnables, un peu plus réalistes. Une option réaliste, c’est celle du confort. On pourra toujours prendre soin du bien-être. On ne l’oubliera pas. [Et c’est ça, vous sentez que le dialogue, le monologue du docteur en fait, dedans, quelque chose d’autre tourne, quelque chose vire, bascule, appuie, et sur votre épaule en même temps ? sur l’appareil et votre dedans ? quelque chose qui n’est pas simplement médical, rhétorique, rhétorique évidemment, tous les médecins finissent par apprendre quelques techniques, mais rhétorique pour qui si ce n’est pas de l’ordre médical ? pour quoi ?] Hier soir, pendant vos douleurs, ils marchaient sur la corde raide en équilibrant vos médicaments pour éliminer la douleur. On a des médicaments qui éliminent la douleur. On pourrait décider, selon ce que vous en pensez, que votre confort est la première des priorités. Se concentrer sur votre confort pourrait consister à supprimer certains médicaments qu’on vous donne en perfusions que seuls les soins intensifs peuvent vous donner. Votre sentiment à ce sujet sera déterminant. — Est-ce que c’est coûteux ? — Heureusement, on est dans une situation où cela ne pose pas de problème. — C’est vrai ? Il ne faut pas s’en inquiéter ? — Cela n’a rien à voir dans la décision. Cela vous inquiète ? — Naturellement, bien sûr. — Votre situation… — Ça ne va pas durer éternellement. Vous comprenez ? — Que voulez-vous dire, M. Gavin ? — Pas éternellement. Vous comprenez ? Pas pour très longtemps. J’ai la chance d’être assuré par Blue Cross et Blue Shield qui vont régler ces factures. Sinon, je serais ruiné. — N’importe qui serait ruiné par ces factures. Heureusement, on n’a pas besoin d’en tenir compte pour prendre la décision. — Alors c’est bien. — Pouvez-vous me dire ce que vous pensez de tout ça ? — Mmm ? — J’ai dit : “Pouvez-vous me dire ce que vous pensez de tout ça ?” [Oui, vous pensez à ça justement, la limite, la ruine, et tout ce qui va avec, tout ce qui tourne autour et qui est là, en retrait, en creux, la réalité, la loi, les assurances, les options globales, réalistes, les décisions personnelles, partagées, le montant, le prix à payer, la maison, la famille, l’intimité, le réel confort moderne sans médicaments, le réel bien-être dans son petit chez soi, son petit intérieur, encore une fois, réellement, une dernière fois…] Les journaux locaux ont cité plusieurs cas. Ces gens n’étaient plus que des légumes, si vous voyez ce que je veux dire. On les maintenait en vie avec des machines, etc. [Et ça aussi, c’est une façon de vivre selon un autre point de vue, une autre lecture de la vie, comme l’œil à travers la caméra, malgré son poids sur l’épaule, les fourmillements, la crampe, et de se dire en même temps que ce dialogue, là, dans les circonstances présentes, la justesse et la délicatesse du médecin, tout son art rhétorique, de se dire qu’on pourrait très bien le déplacer, lui aussi, ailleurs, pour un autre service, pour une autre lecture de la vie, ou de la fin de vie, hors du champ de la médecine et du cinéma, le même dialogue sous un autre angle, celui de la machine, du système, du dispositif, la structure peut-être, du monde comme il traite les hommes.] » Comme la dernière tentation.

A propos de Will

Formateur dans une structure associative (en matière de savoirs de base), amateur de bien des choses en vrac (trop, comme tous les grands rêveurs), écrivailleur à mes heures perdues (la plupart dans le labyrinthe Tiers Livre), twitteur du dimanche sur un compte Facebook en berne (Will Book ne respecte pas toujours « les Standards de la communauté »), blogueur éphémère sur un site fantôme (willweb.unblog.fr, comme un vaisseau fantôme).

19 commentaires à propos de “En attendant Marcel | lire&dire – enfances – gestes&usages – nouvelles | 11&12/11”

  1. Rétroliens : #gestes&usages #01 | Au petit pont de pierre – le Tiers Livre | écrire, publier, explorer

  2. Rétroliens : #gestes&usages #02 | Sursauts – le Tiers Livre | écrire, publier, explorer

  3. Oh Will, tu bouillonnes trop, c’est difficile de te suivre. Marcel Fissou devient Martial Fissou qui n’a pas fait la grande guerre, mais y a perdu son frère Jean Baptiste (mort pour la France le 7 octobre 1914). Moi, je cherche sur geneanet (que l’IA n’a pas l’air de connaître).
    Munier, Tesson, D’agata et john Littell, tout cela me passionne. Pour Tesson, il m’a beaucoup déçue en expliquant dans la panthère qu’il faut beaucoup de vie intérieure pour faire de l’affût. Tesson n’aurait donc que peu de vie intérieure !!! alors que l’affût est pour moi une des choses la plus fascinante au monde.
    Bon j’arrête, je vias devenir aussi fouillis que toi. Bises

    • Oh, je suis bien navré de te faire tourner la tête. Et pourtant, je m’applique pour que les fragments soient clairs (pas toujours, j’avoue, ça m’échappe parfois). Mais de l’un à l’autre, je veux bien croire que ça fatigue à la longue. — Mais voilà, ça bouillonne, ça pulse. Et la lecture à l’écran n’est peut-être pas ce qu’il y a de plus simple (à voire, un jour, le mille-feuilles sur papier ?). — Pour Tesson, que j’aime bien, c’est la polémique qui m’inquiète un peu. J’y reviendrai prochainement je pense, lecture à l’appui de ses « Fées ». — Merci surtout pour Martial, mon arrière-grand-père. Je n’ai pas encore eu toutes les infos, ne m’étant pas abonné à Généanet ou Filae. Mais j’avoue que c’est surtout son fils, Marcel, qui m’intéresse le plus, comme une figure fantomatique, « fictieuse » dirait Jean-Benoît Puech, à travers laquelle pouvoir parler de la famille (grosso modo). Grand Merci Danièle !

      • Ton Marcel me rapelle un livre où l’enfant mort nourrisson raconte l’histoire de la famille : « une vue splendide » de Fang Fang. On n’invente rien ! Mais si tu te sens plus légitime à fictionner à partir d’un mort, vas-y…et cette histoire de famille m’intéresse…comme la soeur de Martial, Marie Fissou qui vient de cherbourg épouser un musicien jérémie Beau à St georges d’Agoûts en 1912 (en mp).
        Au fait geneanet, c’est gratuit !

  4. Rétroliens : #gestes&usages #03 | Presque là – le Tiers Livre | écrire, publier, explorer

  5. passée par chez toi ce matin pour prendre un peu l’air…
    généalogie familiale, labyrinthe, de quoi se perdre forcément
    des tas de personnages avec des noms de femme, oui des femmes surtout, et puis même un drôle de chien de compagnie « pour se sentir moins seul » — un groupe de mots que j’ai utilisé déjà dans un de mes livres —
    il y a des jours comme ça…
    salut Will !

  6. Merci Françoise de venir prendre un peu l’air ici. C’était plutôt comment, air du grand large ou air vicié ? Un peu des deux je présume. — Je n’ai pas fait attention pour la présence plutôt féminine. Mais ça ne m’étonne qu’à moitié. Il doit y avoir un peu de déformation professionnelle (le milieu de la formation où je travaille est largement féminin), et beaucoup de déformation familiale (le milieu où j’ai grandit était largement féminin) ?

  7. Rétroliens : #gestes&usages #05 | Bras dessus, bras dessous – le Tiers Livre | écrire, publier, explorer

    • Je confirme l’image du manège, un grand huit infini, avec ses hauts et ses bas, qui me donne le tournis moi aussi. Mais moi, je ne me risquerais à reprendre tout depuis le début. J’aimerais d’abord pouvoir descendre… — Merci Perle

    • Foison, c’est pas un antonyme de Poison ? — En tout cas, aucune gêne à avoir, au contraire. D’ailleurs, en annonce pour le programme Cinéstar de la semaine prochaine : un entrefilet sur Claudia Cardinale. — (Un jour, peut-être, Romy.) — Merci Piero

  8. La solastalgie, ça me fait penser que cet arrière-pays que d’aucuns appellent racines, ça n’existe pas ou si peu : même quand on est en son plein milieu, il nous manque. Ça doit être un mythe inventé par je ne sais trop qui (les marchands d’armes ?). Merci pour ce nouveau mot revigorant de bon matin.

    • Voilà une petite réflexion surprise qui m’a fait réfléchir. Et qui est à l’origine de ce fragment, en guise de réponse :

      « Merci Bernard pour ce contrepoint. Je n’avais pas pensé aux racines. Pourtant le mot se trouve dans l’extrait que j’ai cité, en négatif : « le sentiment d’être déraciné ». Mais je ne crois pas (ne veux pas ?) qu’il s’agisse de ça. L’image des racines implique l’idée d’un creusement de terrain d’autant plus profond, et d’une ramification dans la matière d’autant plus large, qui garantit, pour un arbre (l’image ne fonctionne plus vraiment avec l’herbe — alors pour l’humanité et ses symboles…), sa stabilité, sa croissance et sa durée. Les racines participeraient de l’ancrage dans le temps, du creusement de l’histoire, faites de mille et un récits ramifiés. Or, pour moi, la solastalgie ne s’est pas inscrite dans ce cadre. Elle relève surtout d’une perspective géographique locale, ici, maintenant : du lieu de vie (« votre environnement habituel »), des sens en action (« contexte affectif de désorientation », « effacement des points de repère sensibles »), du symbole et de la métamorphose (« multitude de signes », « récits qui nourrissent l’imagination et structurent la vie pratique »). Et s’il fallait parler d’histoire ce serait à l’échelle d’une vie, d’un « présent progressif », disons, qui dure quelque temps (combien, on ne saurait le dire exactement ; même si on pouvait le savoir, on ne le voudrait pas ; et puis, dans l’échelle des temps à modes multiples, ce quelque temps c’est toujours trois fois rien).

      Maintenant, pour y voir plus clair, il faudrait se reporter à Glenn Albrecht, qui a forgé le mot solastalgie (combinaison de nostalgie et de la racine latine solari, inhérente à consolation et désolation), et, pourquoi pas, à Maurizio Bettini pour son Contre les racines que je me suis promis de lire un jour. »

  9. 09032024 : il était temps que ta punkitude te rattrape par le collier d’chien. Merveilleuse citation de Warhol qui trouvera sa place dès lundi dans mon cours au CNSMDP, justement.
    (sinon à l’encre invisible ?) : alors, ça ! J’ai découvert il y a peu La stéganographie (entrées #442 à #446 du Carnet des jours suivant, si jamais…) aup oint que je me demande si quoi que ce soit d’autre m’intéresse -bon, il reste les petits chiens).
    « la solastalgie relève d’un manque perpétuel, d’un sentiment qu’on n’en a jamais assez, de cet arrière-pays perdu. » Une mine, ça. Bon, on pourrait dire que tout relève du manque perpétuel, si on était lacanien et que justement on comprenait qu’il n’y a pas de tout…

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