#P10 | Hic et oc

Il a la barbe sombre des conquistadores et son message c’est plutôt de ne pas les aimer, eux les conquistadores, d’aimer plutôt les autres. Les autres, ceux qui parlent les langues indiennes. Il a la peau qu’on attrape sûrement après des jours et des jours à grimper dans la montagne, par tous les soleils. Dans le rabat du livre qu’il a écrit il y a sa photo avec des lunettes qui renvoient le soleil, celles qu’on porte en alpinisme. On dirait qu’il rit tout le temps quand il parle mais le monde le met de plus en plus en colère. Jamais contre les gens, sa colère, même quand ils arrivent en retard, qu’ils bavardent entre eux, toujours contre le monde conquistador, sa colère et il se pourrait qu’on jour il lâche tout et parte juste avec une guitare comme Atahualpa Yupanqui. Ou un autre instrument. Pour Atahualpa Yupanqui, orthographe incertaine. Lui, quand même, il a dû beaucoup écouter les gens d’ici, l’oreille tendue vers le vent. Pour se préparer à la montagne peut-être, il a appris à dire quand ça vient des Pyrénées et que ça annonce la pluie : l’Autan bufa…

Elle s’appelle Cogoreux ou Astoul, Delpech peut-être, un nom qu’on peut lire au cimetière du coteau en tout cas. Elle a traversé tout le village au rythme d’une vie et n’est jamais allée beaucoup plus loin. Mais elle connaît son rythme, au village, et connaît les mots à dire à chaque pause qu’on peut y faire quand on le traverse. Devant l’ancienne épicerie par exemple. Il y a toujours accroché là le grand thermomètre offert par le chocolat Révillon dans les années trente sans doute puisque aucun record n’a été homologué depuis. Il est grand, le thermomètre, on peut y lire la température du jour même quand on a la vue qui baisse. Et puis c’est là qu’on peut croiser l’ancienne épicière et comme toujours avant, quand on venait au magasin, il y a l’interrogation vague, ce alavetz ?… qu’elle fait traîner, sans doute pour montrer qu’elle serait prête à tout accueillir. Mais quand même, entendre en réponse, va plan, en s’appuyant sur le plan comme on l’a fait de tout temps, ça la soulage, ça dit que ça va bien, elle peut le dire en écho et le renvoyer même vers le haut, en direction du thermomètre et c’est tant mieux.

Il ne pouvait pas le faire, son pâté maison, à Aubervilliers. Alors, maintenant qu’il est revenu au village, il en profite. La machine à mouliner est installée en permanence dans ce qu’on appellerait ailleurs le salon de la maison. Au lieu de montrer un beau vase, si possible surélevé par une de ces colonnes d’albâtre qu’on va acheter en Espagne. Son meilleur fauteuil est à côté de la machine, comme ça il peut mouliner à l’aise et il accueille ses visiteurs dans une permanente fragrance de viande fraîche. Il connaît même ce mot, en fait il en connaît plein. On dirait qu’il les teste, avec sa façon de ponctuer chaque phrase d’un qu… vaguement interrogatif. C’est peut-être qu’à Aubervilliers, il a fallu essayer de perdre l’habitude de dire con à tous les bouts de phrase. Il n’y est jamais parvenu complètement. Mais il a affûté ses réparties contre toute personne qui le prendrait pour un pec… Il sait les menacer du connu et de l’inconnu. Ce qui fait le plus frissonner certains, c’est quand il évoque les créatures au nez pointu qui traîneraient du côté du petit torrent et qui raconteraient toujours les mêmes rengaines, à rendre fou. Il a alors cette moquerie en coin, un qu qui cette fois commence et, à sa façon alors il promet qu’il te les fera entendre, il promet de ce terrible et mystérieux : qu… t’endras eras hadas…

2 commentaires à propos de “#P10 | Hic et oc”

  1.  » il a fallu essayer de perdre l’habitude de dire con à tous les bouts de phrase ». Un air de Gironde, de Bordeaux ?
    Admirative en tout cas de toutes ces évocations qui me parlent et me transportent. Merci
    Marie

    • Ouh que ça fait plaisir !
      Mais, de mon côté, ça ne vient pas de la Gironde… Il faudrait remonter la Garonne jusque vers là où le Tarn vient la rejoindre…
      Mon grand-père y parlait des « vents de l’Adlantique » mais ils ne parvenaient pas à porter jusqu’à nous les senteurs de l’océan… Et les parfums de copeaux frisés et sans doute les effluves de résine fraîche sont restés pour moi de ponctuels souvenirs de vacances…
      D’autant embellis peut-être… et me faisant d’autant me réjouir de ce message de quelqu’un se trouvant « au milieu »…
      Merci pour le bel encouragement,
      Philippe